Question de M. LEFÈVRE Antoine (Aisne - UMP) publiée le 29/11/2013

Question posée en séance publique le 28/11/2013

M. Antoine Lefèvre. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.

Monsieur le ministre, l'édition d'hier du Monde soulignait l'étonnante unité transpartisane contre la mise en application de la loi relative à l'élection des conseillers départementaux, notamment contre l'institution du curieux tandem paritaire, ce nouvel élu à deux têtes sur un même territoire, mais surtout contre le redécoupage cantonal. En effet, force est de constater qu'un bon tiers des découpages proposés par les préfets recueillent des avis défavorables des assemblées départementales, même lorsqu'elles sont dominées par votre majorité. La Nièvre ne fait pas exception, non plus que mon département, l'Aisne, que je prendrai ici pour exemple.

Dans l'Aisne, seuls les parlementaires ont été informés par le préfet des grands principes de l'élaboration de la carte, le président du conseil général bénéficiant, semble-t-il, d'une écoute différenciée… Le projet de découpage n'a été communiqué à l'ensemble des élus qu'une petite semaine avant l'assemblée plénière. Il laisse pantois tous les maires.

Cette méthode ne peut qu'éveiller la méfiance des élus minoritaires. J'ai réalisé une projection à partir des résultats du dernier scrutin présidentiel dans ce département tenu par votre majorité, qui détient deux tiers des sièges au conseil général : vingt-huit sur quarante-deux. Que voit-on ? Avec le découpage actuel, votre majorité remporterait vingt-trois sièges, contre dix-neuf à l'opposition ; nous ferions donc presque jeu égal. Avec le découpage que vous proposez, il n'y aurait plus que vingt et un cantons, et votre majorité remporterait les trois quarts des sièges : quinze, contre six à l'opposition. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac. Tiens, c'est bizarre !

M. Antoine Lefèvre. Voilà un résultat bien troublant… Vous ne pouvez cacher les conséquences politiques de ce redécoupage, qui vise sans nul doute à vous assurer une majorité de sièges au conseil général et un contrôle sans partage du département.

Par ailleurs, la division par deux du nombre de cantons – leur superficie sera parfois multipliée par quatre – va de facto raréfier l'offre de services publics, en particulier dans les milieux ruraux. Vous annonciez la désertification certaine de nos territoires lorsque l'ancienne majorité proposait la création du conseiller territorial, mais, en divisant par deux le nombre de cantons, vous leur portez le coup de grâce ! Quelle jolie pirouette, monsieur le ministre !

M. David Assouline. Il y aura enfin des femmes élues !

M. Antoine Lefèvre. Les territoires ruraux seront non seulement sous-représentés, mais aussi sous-dotés.

L'ultime conséquence de votre redécoupage sera la disparition de nombreux chefs-lieux. Or le titre de bourg-centre rendait les communes concernées éligibles à la dotation de solidarité rurale, ce qui leur permettait d'assumer une partie des charges de centralité et d'aménagement du territoire, liées au maintien d'une agence postale, d'une perception, d'une caserne de sapeurs-pompiers, de collèges et d'autres équipements jouant un rôle économique et de service aux populations essentiel en zone rurale.

Même si vous avez récemment annoncé le maintien de l'éligibilité à la dotation de solidarité rurale de ces communes jusqu'en 2017, qu'en sera-t-il après cette date ? Monsieur le ministre, ma question est simple : si nous avons bien compris que vous aviez pleine conscience des avantages électoraux que devrait vous apporter le redécoupage cantonal, avez-vous aussi conscience de tous les effets négatifs qu'il aura sur la vie des territoires ? Si oui, quel cynisme ! Nous ne pouvons le croire… (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

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Réponse du Ministère de l'intérieur publiée le 29/11/2013

Réponse apportée en séance publique le 28/11/2013

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Je voudrais d'abord réparer une omission. En répondant tout à l'heure à M. Dantec, j'ai oublié de préciser que c'était mon collègue Philippe Martin qui allait présider la table ronde sur les espèces menacées. (Rires.)

Un sénateur de l'UMP. C'est nous, les espèces menacées ?

M. Manuel Valls, ministre. Concernant la nouvelle carte cantonale, l'article du Monde auquel vous faisiez allusion, monsieur Lefèvre, évoquait une résistance non pas au mode de scrutin lui-même, mais à la mise en place de la parité. Le conseil général de l'Aisne compte aujourd'hui six femmes sur quarante-deux membres. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Fauconnier. Peut mieux faire !

M. Manuel Valls, ministre. Est-ce acceptable ? Non. Demain, avec le scrutin binominal, elles seront vingt et une. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

MM. Ronan Dantec et Claude Dilain. Bravo !

M. Manuel Valls, ministre. La loi du 17 mai 2013 apporte des réponses que je crois concrètes. Elle instaure la parité dans les élections départementales. Elle vise également à faire en sorte que la voix de chacun de nos concitoyens ait la même valeur. Quel que soit le type de découpage, ces principes constitutionnels doivent s'appliquer.

Un travail est réalisé dans chaque département à partir de critères connus : ceux que le Conseil constitutionnel a définis dans sa jurisprudence et qu'il a rappelés après avoir été saisi par vos soins. Le premier principe, c'est la prise en compte de la démographie, pour garantir l'égalité du suffrage. Le remodelage s'appuie sur la carte des EPCI lorsque la configuration le permet. C'est nettement le cas dans le département de l'Aisne.

Les principes sont transparents. Ils sont connus de tous. Nous consultons effectivement les présidents de conseil général. Nous recevons également les parlementaires qui le demandent. À ce jour, cinquante-cinq projets de découpage ont été transmis aux conseils généraux, et trente-six votes sont déjà intervenus.

Le Conseil d'État examine ensuite chacune des propositions faites, au regard des principes inscrits dans la loi et dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Sur les trente-deux projets transmis au Conseil d'État, vingt-quatre ont déjà été approuvés à ce jour. Je peux ainsi vous indiquer que le Conseil d'État a validé le projet de décret relatif à la nouvelle carte cantonale de l'Aisne, se bornant à y apporter une modification marginale portant sur une seule commune, au titre du respect du critère démographique.

Vous le voyez, le remodelage de la carte cantonale se fait dans le strict respect de la loi et des principes fixés par le Conseil constitutionnel : la loi, rien que la loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

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