Question de M. JEANNEROT Claude (Doubs - SOC) publiée le 13/12/2013

Question posée en séance publique le 12/12/2013

M. Claude Jeannerot. Ma question s'adresse à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, mais elle concerne également M. le ministre chargé des affaires européennes.

Mes chers collègues, vous le savez, l'emploi reste la première préoccupation des Français.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il faudrait qu'elle soit aussi celle du Gouvernement !

M. Claude Jeannerot. L'emploi constitue également la priorité du Gouvernement. Néanmoins, alors que le niveau du chômage reste élevé, l'Europe n'est pas toujours perçue par nos compatriotes comme une alliée sur le front du travail. On se souvient du projet de directive Bolkenstein, dite « du plombier polonais »,…

M. Francis Delattre. Allô, allô ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Claude Jeannerot. … qui risquait non seulement d'aggraver le chômage, mais aussi de faire reculer la situation économique et sociale des salariés.

Or voilà qu'au cours des dernières semaines une nouvelle inquiétude a surgi sur le front social. De quoi s'agit-il ? Une directive européenne de 1996 indique qu'une entreprise peut détacher ses salariés dans un autre pays de l'Union européenne,…

M. Alain Gournac. Ah !

M. Claude Jeannerot. … à condition de respecter les règles du pays d'accueil en matière de salaires et de conditions de travail, tout en acquittant néanmoins ses cotisations sociales dans le pays d'origine.

Cette réglementation avait précisément pour but d'organiser et d'encadrer les conditions de la concurrence. Toutefois, dans la pratique, elle a été largement détournée, créant ainsi d'inacceptables situations de dumping social.

De fait, pourquoi recruter un salarié français quand on peut disposer d'un travailleur détaché venant d'un autre État membre ? Les économies ainsi réalisées peuvent atteindre 30 % du coût total, comme le montre le rapport rédigé par notre excellent collègue Éric Bocquet au nom de la commission des affaires européennes du Sénat.

Monsieur le ministre, le 9 décembre dernier, lors du Conseil des ministres de l'emploi européens, vous avez obtenu un accord assurant à l'évidence les contre-feux nécessaires et apportant, pour l'avenir, toutes les garanties nécessaires.

Néanmoins, au-delà de ce nouvel épisode, nous pressentons tous ici quelle est la véritable question : celle de l'avenir même d'une Europe sociale, source de progrès, de développement et d'emploi pour tous. Quand assistera-t-on, enfin, au retour de l'Europe sociale ? Je vous remercie par avance de bien vouloir nous éclairer quant aux perspectives concrètes issues de cet accord. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE. – Mme Annie David applaudit également.)

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Réponse du Ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social publiée le 13/12/2013

Réponse apportée en séance publique le 12/12/2013

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le sénateur, la directive « détachement », que vous avez citée, date de 1996. Comme vous l'avez rappelé rapidement, mais à juste titre, elle représentait alors un progrès.

M. Claude Jeannerot. Bien sûr !

M. Michel Sapin, ministre. Cette disposition a encadré une situation qui, sinon, n'aurait bénéficié d'aucune règle. J'en suis persuadé, nous sommes tous, dans cet hémicycle, favorables à la réglementation et à l'encadrement plutôt qu'à la loi de la jungle !

Toutefois, depuis 1996, l'Europe s'est élargie et, au cours des dernières années, la crise économique a frappé chacun de nos territoires. Aussi, cette directive a favorisé une forte augmentation du nombre de travailleurs détachés. Il s'agit, somme toute, de travailleurs en situation d'intérim : des ressortissants polonais, roumains, bulgares ou slovaques sont employés ici ou là, en France, au service d'une entreprise de droit français. Surtout, cette directive a favorisé une hausse exponentielle des abus et des contournements.

Au fond, cette directive est devenue le support d'une fraude organisée. Aujourd'hui, certains salariés sont surexploités. Cette situation est déjà, en tant que telle, extrêmement condamnable. De surcroît, les entreprises dont ces travailleurs sont originaires bénéficient de prix totalement déconnectés du marché. Oui, aujourd'hui, la directive « détachement » est le support d'une concurrence déloyale, d'un dumping social. Cet état de fait est préjudiciable aux travailleurs étrangers concernés, aux salariés français, qui risquent de perdre leur emploi parce que des marchés sont perdus, et aux entreprises françaises, qui jugent, avec raison, cette situation scandaleuse. (M. Antoine Lefèvre acquiesce.)

L'Europe a réagi, pas plus tard que lundi dernier. Toutefois, contre une majorité d'États membres, un certain nombre de pays se sont opposés jusqu'au bout à toute réglementation supplémentaire. La Grande-Bretagne et la Hongrie, notamment, sont restées sur leurs positions.

Une telle réglementation n'en est pas moins nécessaire au niveau européen. Il faut lutter contre cette fraude organisée, contre cette cascade de sous-traitants qui, progressivement, créent une réelle opacité. Celle-ci fait obstacle à la mise en cause du premier des responsables, à savoir l'entreprise qui donne des ordres.

Mme Annie David. Tout à fait !

M. Michel Sapin, ministre. Or on ne peut lutter contre ce fléau que si l'ensemble des pays européens disposent des mêmes outils.

Voici ce qui a été décidé : créer une meilleure capacité de contrôle associée à une meilleure capacité de punir. Il nous faudra transcrire très rapidement ces règles dans le droit français, et je sais que des parlementaires prendront des initiatives en ce sens. Nous le ferons, avant même que la directive ne soit adoptée par le Parlement européen.

Nous devrons renforcer les contrôles sur le territoire - j'étais ce matin même sur un chantier -, pour faire en sorte que la loi française soit respectée, comme les droits des travailleurs, d'où qu'ils viennent, et que la libre concurrence, non faussée, soit défendue. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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