Question de M. LENOIR Jean-Claude (Orne - UMP) publiée le 19/12/2013

M. Jean-Claude Lenoir attire l'attention de M. le ministre du redressement productif sur la nécessité de prendre des mesures pour enrayer le phénomène massif d'exportation de grumes qui est en train d'appauvrir dramatiquement la filière bois française.

Ce phénomène est doublement pénalisant, d'une part, parce qu'il prive notre industrie de transformation des matières premières dont elle a besoin ; d'autre part parce qu'il expose notre industrie à la concurrence des produits chinois fabriqués à partir des grumes que nous exportons. Outre qu'il nous prive d'une valeur ajoutée qui permettrait de créer des richesses et des emplois dans notre pays, ce phénomène prive aussi la filière bois de tout retour sur investissement, alimentant un cercle vicieux dont il faut trouver les moyens de sortir.

Cette situation aboutit à un gâchis d'ordre à la fois économique, écologique et structurel face auquel l'Europe et la France, en particulier, sont démunies de tout moyen d'action, tandis qu'autour de nous d'autres zones de production s'organisent. Il lui demande, en conséquence, quels moyens les pouvoirs publics comptent mettre en œuvre pour que notre pays ne reste pas impuissant face à ce phénomène qui menace le potentiel de développement de notre filière bois.

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Réponse du Ministère du redressement productif publiée le 19/02/2014

Réponse apportée en séance publique le 18/02/2014

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le ministre, par ma voix, ce sont les professionnels de la filière bois qui lancent un cri d'alarme. Ce secteur d'activité est, en effet, brutalement touché par la hausse du prix des grumes, qu'expliquent les exportations massives de la France vers des pays tiers, en particulier la Chine.

Tout cela est la cause d'un grand gâchis.

C'est d'abord un gâchis économique, car nous nous privons ainsi de la création d'une valeur ajoutée dans ce secteur. En effet, ces grumes sont utilisées par des industries, notamment chinoises, pour fabriquer des meubles et des parquets qui nous reviennent ensuite massivement, et à des prix compétitifs. Voilà donc une valeur ajoutée qui nous échappe.

C'est ensuite un gâchis énergétique, car nous nous privons de ce bois, qui traverse les océans pour aller dans des contrées lointaines, mais qui constitue une partie de la ressource qui nous est nécessaire dans le domaine de l'énergie.

C'est aussi un gâchis au regard de l'économie circulaire, monsieur le ministre, car le bois, planté il y a des dizaines d'années, s'inscrit dans un cycle que l'on connaît bien, mais qui se trouve aujourd'hui compromis.

C'est un gâchis structurel, enfin, car, ironie du sort, comme l'activité des exploitants est soutenue par le Fonds forestier national, au bout du compte, nous subventionnons une activité qui permet à des pays tiers, notamment la Chine, de disposer d'une ressource de qualité, toutes les essences étant concernées, pour mieux nous faire ensuite une concurrence inacceptable.

L'activité du secteur est doublement pénalisée : non seulement les professionnels subissent une hausse très forte et très brutale du prix de la matière première - 25 % en quatre mois, c'est tout à fait considérable -, hausse qu'ils ne peuvent pas répercuter sur les clients, mais encore des produits concurrents aux leurs arrivent sur notre marché à des prix nettement inférieurs.

Nous sommes obligés de constater, monsieur le ministre, que l'Europe se défend mal. Beaucoup de pays ont pris des dispositions pour se protéger. C'est le cas d'un tiers des pays du G8 et de deux tiers des pays du G20. Nous, nous ne faisons rien !

Dès lors, je me tourne vers vous, monsieur le ministre. Parmi les plans de reconquête que vous avez définis pour l'industrie française, le plan Industries du bois, audacieux, volontariste et ambitieux, nous permet d'espérer.

Dans le même temps, il y a urgence à agir. C'est la raison pour laquelle je vous demande, monsieur le ministre, les dispositions que vous envisagez de prendre pour soutenir cette activité essentielle à nos territoires.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Monsieur le sénateur, s'agissant de la situation de l'amont de la filière bois, vous faites le bon diagnostic. La France a le deuxième massif forestier d'Europe, mais son industrie de transformation souffre. L'aval de la filière a connu également des difficultés, notamment dans l'ameublement, et a dû se restructurer. Entre les deux, les scieries, c'est-à-dire l'outil de transformation du bois, cherchent à se développer.

Nous sommes devant un douloureux paradoxe : les grumes, la matière première, remplissent fort à propos les fonds de cales de ces bateaux qui s'en retournent vers la Chine à vide une fois leur cargaison déchargée, pour nous revenir, quelque temps plus tard, sous la forme de parquets ; de telle sorte que, si le bois est bien français, le produit fini est chinois !

Forts de cette constatation, le ministre de l'agriculture et moi-même avons pris des mesures.

Premièrement, il a été décidé de commencer à prendre plus de précautions lors de l'exportation des grumes : des contrôles, phytosanitaires comme douaniers, seront mis en place. C'est dans notre intérêt ! Aujourd'hui, les professionnels de la scierie indiquent ne pas avoir assez de bois à leur disposition, l'essentiel de la ressource partant vers des pays qui en manquent.

Deuxièmement, notre stratégie est de renforcer la compétitivité de l'outil productif des scieries. Nous discutons par exemple de la question de la cogénération dans le cadre de la loi sur la transition énergétique. Les Allemands ont un dispositif assez avantageux en la matière, qui permet aux scieries, y compris celles de petite taille ou de taille moyenne, de profiter d'un tarif d'achat de l'électricité qu'elles produisent à partir des déchets que leur activité génère. Elles réinjectent la somme ainsi obtenue - c'est ce que vous avez appelé l'« économie circulaire », monsieur le sénateur - dans la transformation du bois.

C'est dans cet état d'esprit que nous travaillons. Notre plan sur les industries du bois, je vous remercie de l'avoir rappelé, monsieur le sénateur, est assez ambitieux. Dans quelques semaines, nous détaillerons l'ensemble des mesures qu'il comporte, élaborées à partir de la feuille de route que les industriels, qui, chacun dans leur secteur, pilotent ces 34 plans, nous auront fournie. Ce sera l'occasion, pour le Gouvernement, de venir devant les assemblées parlementaires pour en donner les détails, et d'y associer les territoires. Vous en êtes, mesdames, messieurs les sénateurs, les représentants : voilà qui tombe bien ! Nous reparlerons donc bientôt de ces sujets.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le ministre, je veux d'abord vous remercier d'avoir pris le temps de venir au Sénat pour répondre à ma question,...

M. Arnaud Montebourg, ministre. C'est très important !

M. Jean-Claude Lenoir. ... d'autant que, je le sais, votre agenda est très contraint.

Je prends acte des informations que vous nous donnez. Reste, malgré tout, qu'il faut certainement envisager des dispositions plus contraignantes.

Il n'est pas normal que, en dépit des règles de l'OMC, des pays se permettent de prendre des dispositions pour protéger leurs propres produits, et que nous n'envisagions même pas de le faire. Je le sais, tout cela est difficile, et toute action en ce sens doit s'inscrire dans le cadre européen. Mais il y a urgence, monsieur le ministre, et je suis convaincu que vous partagez mon point de vue.

J'ajouterai un élément qui concerne une autre de vos casquettes. Vous m'avez répondu en tant que responsable du secteur industriel, mais je veux faire une petite digression sur les aspects énergétiques de la question, qui ont été évoqués dans ma question et dans votre réponse.

Hier s'est tenue à l'Élysée une rencontre, la presse s'en est fait l'écho, entre les autorités françaises et des représentants de groupes industriels mondiaux. Ce fut l'occasion d'affirmer la volonté de rendre la France plus attractive et, surtout, de démontrer que notre pays dispose d'atouts. C'est un objectif que nous ne pouvons que partager. Or, dans la soirée, la chaîne publique France 2 a diffusé un reportage consacré au bois. Les caméras se sont déplacées dans le Jura, où s'est implantée une entreprise suisse de transformation. Le responsable suisse évoquait les contraintes qu'il subissait, et les handicaps de notre pays. Il ne s'agit pas de les cacher : il a parlé, notamment, de la lourdeur de l'administration, sujet qui pourrait nous mener très loin. Mais ce responsable soulignait également un avantage, insuffisamment connu, hélas : le prix de l'énergie en France. Le prix de l'électricité, notamment, est un vrai atout pour notre pays.

Monsieur le ministre, à la faveur de cette question, permettez-moi de vous dire combien nous comptons sur vous et sur votre pugnacité,...

M. Christian Cambon. Vous êtes bien seul, monsieur le ministre !

M. Arnaud Montebourg, ministre. Pas du tout !

M. Jean-Claude Lenoir. ... pour faire valoir que l'électricité, notamment grâce à son origine nucléaire, est un vrai atout pour la France, et qu'il y a d'autres ressources énergétiques, sur lesquelles nous avons de temps en temps l'occasion de nous entretenir, qui peuvent aussi constituer une chance importante pour notre pays.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Arnaud Montebourg, ministre. Monsieur le sénateur, permettez-moi ce trait d'humour, nous ne sommes pas loin de partager ici la définition que donnait Lénine du communisme : le socialisme plus l'électricité. (Sourires.)

La France dispose d'un atout compétitif extraordinaire : le prix de son électricité est le plus bas d'Europe. Dans le débat sur la transition énergétique, nous avons choisi de faire bénéficier de cet avantage notre base productive et industrielle, qui a été très abîmée ces dernières années.

Nous devons diriger une partie de ce bénéfice vers l'industrie, particulièrement celle qui a de gros besoins d'électricité, ou de gaz, d'ailleurs.

Monsieur le sénateur, vous pouvez donc compter non seulement sur ma pugnacité personnelle, mais aussi sur la politique du Gouvernement, pour répondre favorablement à votre préoccupation.

M. Jean-Claude Lenoir. Merci, monsieur le ministre !

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