Question de Mme BLONDIN Maryvonne (Finistère - SOC) publiée le 23/01/2014

Mme Maryvonne Blondin attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la situation des mineurs étrangers isolés accédant à la majorité.
Le cas de ces jeunes, particulièrement ceux pris en charge par l'aide sociale à l'enfance après leurs seize ans, cristallise les difficultés lors de la transition à la majorité, du fait d'un manque de continuité juridique entre deux logiques différentes, celle des conseils généraux et celle du ministère de l'intérieur.
Un certain nombre d'obstacles se présentent au jeune majeur pour bénéficier d'un titre de séjour. Pouvoir justifier suivre, à ses dix-huit ans, depuis au moins six mois, une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, est une condition véritablement très compliquée à remplir. Très peu de jeunes pourront justifier de six mois de formation qualifiante lors de leur premier rendez-vous à la préfecture.
En conséquence, elle lui demande de bien vouloir lui indiquer si une réflexion est engagée sur ce sujet de l'accession à la majorité des mineurs étrangers isolés, confiés à l'aide sociale à l'enfance alors qu'ils étaient âgés de plus de seize ans, afin de permettre une meilleure sécurité juridique de ces jeunes majeurs.

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Transmise au Ministère de l'intérieur


Réponse du Ministère de l'intérieur publiée le 07/05/2014

Réponse apportée en séance publique le 06/05/2014

Mme Maryvonne Blondin. Madame la présidente, c'est avec beaucoup de plaisir que je salue votre désignation à la fonction de vice-présidente.

Monsieur le ministre, ma question porte sur la situation des mineurs étrangers isolés accédant à la majorité et sur les difficultés rencontrées à cette période où ces jeunes basculent, pour nombre d'entre eux, dans une « zone grise ».

Le cadre juridique actuel distingue deux situations lors de l'accession à la majorité, selon que le mineur ait été confié à l'aide sociale à l'enfance, l'ASE, du département où il se trouve avant ou après son seizième anniversaire. C'est dans cette dernière situation qu'on retrouve le plus de difficultés.

Si le jeune avait moins de seize ans lorsqu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance, sa situation est simple : elle est régie par l'article L. 313-11, alinéa 2 bis, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le CESEDA. Le titre est alors automatiquement remis, sous réserve du respect de certaines conditions.

À l'inverse, lorsque le mineur a été confié à l'ASE après son seizième anniversaire, l'article L. 313-15 du CESEDA s'applique et prévoit la délivrance à titre exceptionnel, et non de façon automatique, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, de la carte de séjour temporaire portant la mention« salarié » ou « travailleur temporaire » au jeune majeur étranger, qui doit justifier« suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle ».

Cette disposition est également mise en œuvre« sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation » suivie par le jeune, « de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française ». La régularisation est laissée à l'appréciation souveraine du préfet.

Il convient dès lors de pointer, dans ce cas, le manque de continuité juridique entre les deux logiques différentes- ASE puis ministère de l'intérieur -,qui a pu être relevé par notre ancienne collègue Hélène Lipietz, lors de l'examen de la mission« Immigration, intégration et nationalité » du projet de loi de finances pour 2014.

Outre la nature des liens avec la famille dans le pays d'origine, l'article L. 313-15 du CESEDA dispose que le jeune doit justifier suivre une formation dont le caractère est réel et sérieux. Il est ajouté que le jeune doit suivre cette formation depuis au moins six mois.

Combien de jeunes étrangers, monsieur le ministre, pris en charge à seize ans ou dix-sept ans, pourront, à dix-huit ans, se prévaloir d'au moins « six mois [de] formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle », sachant qu'ils sont, pour la plupart, soit non francophones, soit peu ou non scolarisés avant leur arrivée en France ?

Enfin, l'entrée en formation professionnelle nécessite une autorisation de travail qu'ils n'ont pas, et qui est obligatoire pour signer un contrat d'apprentissage ou une formation en alternance.

Je souhaiterais savoir si une réflexion approfondie est engagée sur le sujet de l'accession à la majorité des mineurs isolés étrangers confiés à l'aide sociale à l'enfance alors qu'ils étaient âgés de plus de seize ans : une transition et une sécurité juridique sont en effet nécessaires.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve,ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, vous m'interrogez sur la situation des mineurs étrangers isolés accédant à la majorité. Ces mineurs se voient délivrer de plein droit une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » s'ils ont été confiés au préalable à l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize ans.

Pour les mineurs étrangers isolés confiés à l'aide sociale à l'enfance après cet âge, la loi prévoit que le préfet peut les régulariser en tenant compte du sérieux de la formation suivie à la date de leurs dix-huit ans, mais aussi de leurs perspectives d'insertion.

Comme vous le savez, ce dernier dispositif d'admission au séjour a été précisé par la circulaire du 28 novembre 2012, laquelle invite les préfets à faire« un usage bienveillant » de leur pouvoir de régularisation pour les mineurs étrangers isolés en France âgés de plus de seize ans, en délivrant soit un titre de séjour « salarié », si les conditions de suivi d'une formation professionnelle sont remplies, soit un titre de séjour « étudiant » si le jeune est engagé dans une formation généraliste.

Cette circulaire clarifie également la notion de« liens avec le pays d'origine », qui constitue souvent le frein le plus important aux régularisations.

Ces dispositions ont permis d'assouplir autant que faire se peut les conditions d'admission au séjour de ces mineurs étrangers isolés accédant à la majorité. Elles constituent un progrès, qui doit pouvoir être encore conforté à l'occasion de l'examen par la Haute Assemblée des textes à venir sur l'immigration et l'asile.

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.

En guise d'illustration de mon propos, sachez que, sur les cinquante-neuf mineurs isolés accueillis dans mon département, trente étaient âgés de plus de seize ans ! Le problème de leur sortie du territoire se pose donc avec acuité.

Je veux également vous rappeler que la question des mineurs isolés qui accèdent à la majorité a été évoquée au niveau du Conseil de l'Europe. Ainsi, une résolution intitulée Enfants migrants non accompagnés : quels droits à dix-huit ans ? a été adoptée par la commission des migrations de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, ou APCE.

Cette résolution vise à mettre en place un statut de transition pour les personnes migrantes devenant majeures, tout en continuant à leur accorder les droits les plus élémentaires aussi longtemps que nécessaire. Elle s'adresse à tous les États-parties du Conseil de l'Europe. Il serait bon de s'en inspirer ! D'ailleurs, le rapport ayant servi de support à son élaboration sera débattu lors de la réunion de la commission permanente de l'APCE à Bakou, le 23 mai prochain.

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