Question de Mme COHEN Laurence (Val-de-Marne - CRC) publiée le 29/05/2014

Mme Laurence Cohen attire l'attention de Mme la secrétaire d'État, auprès du ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche sur le fait qu'en novembre 2012, l'université portugaise privée « Fernando Pessoa » ouvrait une antenne consacrée à la santé (pharmacie, odontologie et orthophonie) près de Toulon. En septembre 2013, une nouvelle antenne a vu le jour à Béziers.

Rebaptisées, entre temps, centre libre d'enseignement supérieur international (CLESI), ces structures posent problème, quant à leurs objectifs et leur fonctionnement, sur deux points essentiels.

Premièrement, sur le mode de sélection. Alors que l'accès aux universités publiques de santé se fait sur concours, garant d'un niveau universitaire de qualité, l'entrée au CLESI se fait, au contraire, sans concours et uniquement moyennant paiement de frais d'inscription exorbitants autour de 9 500 euros l'année, soit une véritable sélection par l'argent, où les étudiants aisés peuvent acheter leurs diplômes. Nous sommes loin, dans ce cas précis, des ambitions d'égal accès de toutes et tous à l'enseignement supérieur.

Outre la question de la marchandisation de l'enseignement supérieur, cela inquiète fortement sur la qualité des formations suivies pour de futurs professionnels de santé.

Deuxièmement, le CLESI contourne le principe même du numerus clausus qui régit les professions de santé en France, puisque ce centre ne délivre pas de diplôme en France, bien qu'installé sur notre territoire.

Ces deux points sont déterminants quant à l'avenir de notre système universitaire.

La loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche encadre, désormais, de manière stricte, les centres privés d'enseignement supérieur. Elle leur impose l'obtention d'une double accréditation du ministère en charge de la santé et du ministère en charge de l'enseignement supérieur, ainsi que la signature d'une convention avec une université et un centre de soins pour la réalisation des stages cliniques.

Or, le CLESI ne respecte pas ce cadre légal, en invoquant le principe de non rétroactivité de la loi, et, malgré quelques aménagements pour tenter de se conformer à ces exigences, continue à délivrer ses formations hors de l'accord des tutelles ministérielles.

Elle rappelle qu'elle a reçu, au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, les organisations syndicales et étudiantes des professions concernées. Celles-ci lui ont fait part de leur inquiétude face à cette « escroquerie » qui profite des failles du système européen de formation en contournant le numerus clausus. Elle demande quelle valeur il faut accorder à ces diplômes payants, face à l'opacité dans le contenu même des formations. Elle demande ensuite comment faire face à l'afflux d'étudiants formés à l'étranger, sans véritable contrôle, qui vont ensuite venir exercer en France, au risque de se voir développer des professionnels à bas coût, ayant pourtant des patients à leur charge.

Elle observe que, tout dernièrement, des parents et des étudiants ont alerté sur des dysfonctionnements administratifs internes mettant en péril la poursuite de la scolarité des élèves. Les étudiants et étudiantes qui font le choix de cet établissement sont captifs voire victimes car ils risquent de sortir sans aucune validation de leurs études.

Avant le dernier remaniement ministériel, un décret était en cours de publication pour mettre en place une procédure d'agrément des formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie, de maïeutique et des formations paramédicales dispensées au sein d'un établissement d'enseignement supérieur privé. Cet agrément doit être délivré conjointement par les ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé.

Elle lui demande donc de lui indiquer quand sera publié ce décret et quelles décisions elle compte prendre pour fermer le CLESI et empêcher le développement de ce genre de structures dans l'intérêt de notre système universitaire et notre système de santé. Enfin, elle lui demande quelles solutions elle propose pour les étudiants qui en sont aujourd'hui les victimes.

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche publiée le 18/06/2014

Réponse apportée en séance publique le 17/06/2014

Mme Laurence Cohen. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de nous avoir rejoints.

En novembre 2012, l'université portugaise privée « Fernando Pessoa » ouvrait une antenne consacrée à la santé - pharmacie, odontologie et orthophonie - près de Toulon. En septembre dernier, une nouvelle antenne ouvrait, cette fois à Béziers, et une autre était prévue en région parisienne.

Rebaptisées entre-temps CLESI - pour centre libre d'enseignement supérieur international-, ces structures ne sont pas sans poser problème quant à leurs objectifs et leur fonctionnement, sur deux points essentiels.

J'évoquerai en premier lieu le mode de sélection.

Alors que l'accès aux universités publiques de santé se fait sur concours, garant d'un niveau universitaire de qualité, l'entrée au CLESI se fait au contraire sans concours, et uniquement moyennant paiement de frais d'inscription exorbitants, qui oscillent autour de 9 500 euros l'année.

Il s'agit d'une véritable sélection par l'argent, qui met à mal le principe fondamental d'égal accès de toutes et tous à l'enseignement supérieur. Les étudiants les plus aisés n'ayant pas réussi le concours donnant accès aux études médicales et paramédicales sont les principales cibles du CLESI.

Outre la question de la marchandisation de l'enseignement supérieur, cela nous inquiète fortement sur la qualité des formations suivies par de futurs professionnels de santé.

En second lieu, le CLESI contourne le principe même dunumerus clausus, qui régit les professions de santé en France, puisque le CLESI ne délivre pas de diplôme en France, bien qu'installé sur notre territoire.

Ces deux points sont déterminants quant à l'avenir de notre système universitaire.

La loi que vous avez fait adopter le 22 juillet 2013, relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, encadre désormais de manière stricte les centres privés d'enseignement supérieur : elle leur impose l'obtention d'une double accréditation des ministères de la santé et de l'enseignement supérieur, ainsi que la signature d'une convention avec une université et un centre de soins pour la réalisation des stages cliniques.

Or le CLESI ne respecte pas ce cadre légal en invoquant le principe de non-rétroactivité de la loi et, malgré quelques aménagements pour tenter de se conformer à ces exigences, il continue à délivrer ses formations hors de l'accord des tutelles ministérielles.

Avant le dernier remaniement ministériel, un décret était en cours de publication pour mettre en place une procédure d'agrément des formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie, de maïeutique et des formations paramédicales dispensées au sein d'un établissement d'enseignement supérieur privé.

Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous m'indiquer quand sera publié ce décret et quelles décisions vous comptez prendre pour fermer le CLESI et empêcher le développement de ce genre de structures, dans l'intérêt de notre système universitaire et de notre système de santé ? Enfin, quelles solutions proposez-vous pour les étudiants qui en sont aujourd'hui les victimes ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Geneviève Fioraso,secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, je vous remercie de ces questions, qui sont d'importance pour la formation des futurs praticiens de santé.

Vous avez attiré mon attention sur l'ouverture à Toulon, en novembre 2012, puis à Béziers, en septembre 2013, d'une antenne de l'université portugaise privée « Fernando Pessoa », consacrée principalement aux études de santé.

Dès cette annonce, j'ai immédiatement et systématiquement réagi en demandant aux rectrices des académies de Nice et de Montpellier de déposer, au nom du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, une plainte auprès du procureur de la République pour usage abusif du terme « université » et non-respect des règles du régime de déclaration préalable nécessaire pour l'ouverture de ce type d'établissement, notamment s'agissant du défaut de dépôt d'informations documentées auprès des rectorats permettant de présenter réellement l'offre de formation ainsi que les conditions d'accueil des étudiants. Je pense ici au paiement de droits d'inscription exorbitants, mais aussi à l'obligation pour les étudiants de poursuivre leurs études au Portugal, alors même que ces derniers, à qui on avait caché cet aspect des choses, pensaient effectuer la totalité de leur cursus en France.

Cependant, l'ouverture de l'établissement de formation privé intitulé initialement « centre universitaire Fernando Pessoa », puis, à la suite de mon intervention pour que le mot « universitaire » disparaisse,« centre libre d'enseignement supérieur international », à La Garde, près de Toulon, puis à Béziers, a mis en évidence la faiblesse de la procédure proposée pour l'accréditation de ce type d'établissements. Il convenait donc de modifier la législation.

C'est pourquoi la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche du 22 juillet 2013 a modifié les conditions d'ouverture et d'accréditation des établissements de ce type.

L'article L. 731-6-1 du code de l'éducation prévoit désormais que les établissements privés de ce type signent une convention avec un établissement de santé, ainsi qu'une convention avec une université comprenant une composante dispensant un enseignement de médecine, de pharmacie, d'odontologie ou de maïeutique.

Cet article prévoit aussi la communication d'un dossier démontrant que l'établissement de formation satisfait aux modalités pédagogiques exigées par arrêté conjoint des ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé, avec des modalités d'agrément précisées non par décret mais par arrêté conjoint.

Cet arrêté a été approuvé par les instances consultatives des deux ministères ; il sera publié dans le courant de cette semaine. Voilà qui répond à une partie de vos questions.

Les établissements qui délivrent aujourd'hui les formations entrant dans le champ de l'arrêté auront six mois pour se mettre en conformité avec les exigences réglementaires. Si les établissements ne se sont pas mis en conformité à l'issue de cette période de six mois, il reviendra au rectorat de l'académie dans laquelle se situe l'établissement d'engager, au nom du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, les poursuites auprès du tribunal afin de fermer l'établissement- cette possibilité ne nous était pas ouverte auparavant.

Comme vous le savez, le centre libre d'enseignement supérieur international a, de surcroît, adressé en mai 2014 à ses étudiants un courrier dans lequel il annonce que la convention qui le liait à l'université portugaise venait d'être dénoncée par l'établissement portugais d'accréditation, pour des raisons administratives.

Les étudiants inscrits dans cet établissement pourront présenter une demande d'inscription au sein des universités françaises. Il relève cependant de la compétence des universités d'accueil de valider ou non, en tout ou partie, les crédits de formation délivrés par un établissement de formation privé.

Je suivrai l'évolution de ces demandes avec la plus grande attention, afin que les étudiants ne soient pas victimes d'une situation qu'ils n'ont pas pu contrôler.

Au-delà, ce dossier pose le problème, plus complexe, du contournement du numerus clausus et de la démographie médicale - je pense notamment à la pénurie de médecins généralistes, qui seront de plus en plus le pivot de notre politique de santé publique dans les années à venir.

Pour prévenir ces difficultés, j'ai mis en place des expérimentations dans sept universités pour diversifier l'accès aux professions de santé, hors PACES- première année commune aux études de santé - et nous travaillons, Marisol Touraine et moi-même, sur le projet d'une licence pluriprofessionnelle en santé. Par ailleurs, nous proposerons, dans le cadre du projet de loi sur la stratégie nationale de santé, de mettre en place des assises nationales sur ce thème avant la fin de l'année.

Encore une fois, l'allongement du temps de la vie et la médecine ambulatoire exigeront, pour les infirmiers et les médecins, des évolutions professionnelles que nous devons anticiper.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Je vous remercie, madame la secrétaire d'État, car les réponses que vous avez apportées sont tout à fait importantes et méritent d'être connues. J'ai perçu une nouvelle fois votre engagement dans ce dossier.

J'ai reçu, au nom de la commission des affaires sociales, des organisations syndicales représentant aussi bien les étudiants que les professions concernées. Tous étaient extrêmement inquiets des failles du système européen de formation qui pouvaient permettre l'ouverture de ce genre d'institutions.

La publication d'un arrêté que vous annoncez dès cette semaine peut selon moi permettre d'endiguer ces initiatives. Dans votre réponse, vous prenez en compte les étudiants, ce qui est effectivement important. Ils se sont laissé piéger, en quelque sorte, par ce genre d'institutions, car ils sont captifs de ces formations une fois qu'ils y sont entrés et ils ne savent pas quel sort leur sera réservé.

J'ai bien entendu dans votre réponse que vous aviez pris en compte ce genre de difficultés et pris un certain nombre de dispositions pour les résoudre, ce qui est selon moi très intéressant.

Malheureusement, dans le jeu des questions et des réponses, on ne peut pas prendre la mesure de toute la richesse de ce dossier. Vous m'avez donc en quelque sorte mise en appétit, et j'attends le détail des propositions concernant notamment la licence pluridisciplinaire de santé. Nous examinerons ces propositions dans un autre cadre, en présence de Mme la ministre de la santé.

Je vous remercie de nouveau des informations que vous nous avez données, madame la secrétaire d'État.

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