Question de Mme LIENEMANN Marie-Noëlle (Paris - SOC) publiée le 24/10/2014

Question posée en séance publique le 23/10/2014

Concerne le thème : Les accords de libre-échange

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le secrétaire d'État, je tiens à insister à mon tour sur la transparence. Je reviendrai en outre sur les formes de ratification qui garantissent la souveraineté nationale et, je l'espère aussi, la souveraineté européenne.

Monsieur le secrétaire d'État, vous nous avez bien indiqué que votre collègue Matthias Fekl avait écrit à la Commission. C'était le 17 septembre. Que répond la Commission ? Quels outils nouveaux seront mis en œuvre pour garantir l'information de chaque État ? En effet, dans la mesure où les cycles de négociations sont associés à des thèmes, il serait tout de même assez légitime qu'à l'issue de chaque thème les différents parlements nationaux soient informés.

Comme tous mes collègues, je m'associe bien sûr aux messages de sympathie qui ont été adressés au peuple canadien, aujourd'hui dans l'angoisse et la peine. Je constate cependant que, s'il a été beaucoup question du traité CETA avec le Canada, nous n'avons pas parlé d'un traité qui se prépare, avec ce même pays, dans le domaine des services. Cette négociation est menée dans le plus grand secret à Genève, à quelques rues de l'OMC, mais en dehors de l'OMC, avec la participation de l'Union européenne et des États-Unis, sous l'égide de l'ambassade d'Australie.

Nous devons être informés non seulement des étapes suivies et des sujets traités, mais aussi du champ de ces négociations. WikiLeaks a publié des documents classés « secret », dans lesquels on pouvait lire que la négociation sur les services était ouverte à des sujets aussi sensibles que la libéralisation de la sécurité sociale ou du champ éducatif. Il y est en outre question de l'instance de règlement des différends, dont nous avons parlé, mais aussi de l'interdiction qui serait imposée aux États signataires de renationaliser tel ou tel secteur ou de le restaurer comme service public. Parallèlement, obligation leur serait faite de verser les mêmes subventions aux opérateurs, publics ou privés, d'un même domaine intervenant dans le champ des services publics.

Inutile de vous dire que c'est tout un pan du modèle historique de la France, et, je l'espère, de son modèle futur, qui risquerait d'être menacé par des décisions de cette nature.

On nous oppose en général, pour chasser nos inquiétudes, d'une part que la transparence sera accrue, de l'autre que les traités conclus devront être ratifiés par les parlements nationaux. Or rien n'est moins sûr.

M. Bizet l'a rappelé, le nouveau président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a pris position contre la présence, dans le futur traité, de la fameuse clause sur le mécanisme de règlement des différends. On peut certes y voir la prise de conscience du refus exprimé par les États membres, mais il y a une autre réalité : dans les couloirs de la Commission, on murmure que, si cette clause était supprimée, l'accord perdrait son caractère mixte et ne serait plus que purement commercial ; dès lors, il ne serait soumis qu'à la ratification du Parlement européen, et non à celle des États membres !

Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous garantir qu'en tout état de cause tous ces grands traités dont nous parlons seront qualifiés de « mixtes », justifiant de ce fait une ratification par les États membres ?

L'ampleur et la diversité des sujets abordés aujourd'hui par les uns et les autres le montrent bien, derrière la question du libre-échange commercial demeure celle du juste échange, loin d'être réglée, elle. Comme l'ont dit M. Guerriau, Mme Khiari et d'autres collègues, le juste échange, c'est celui qui, respectueux des normes mais aussi des ambitions, sait faire vivre l'humain avant l'argent ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Françoise Laborde et M. Joël Guerriau applaudissent également.)


M. Roger Karoutchi. Tout est dit !

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement publiée le 24/10/2014

Réponse apportée en séance publique le 23/10/2014

M. Jean-Marie Le Guen,secrétaire d'État. Madame Lienemann, un tel programme ne peut que vous rallier la quasi-unanimité du Sénat et, sans doute, de l'Assemblée nationale. Voilà qui est, à mon sens, de très bon augure pour bien cadrer les discussions techniques que nous consacrerons à ce sujet !(Sourires.)

Vous le savez, je suis moi-même un militant politique, j'ai exercé des fonctions parlementaires et j'ai donc une certaine expérience. Des remarques similaires aux vôtres avaient été formulées en d'autres temps, non pas à propos de traités transatlantiques, mais tout simplement au sujet de la construction européenne.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Absolument !

M. Jean-Marie Le Guen,secrétaire d'État. Que n'ai-je entendu à l'époque! La construction européenne allait remettre en cause notre modèle républicain, notre sécurité sociale, nos services publics...

Il est vrai que certains États sont, de par le monde, moins avancés que la France. Nous sommes même - vous le savez, et, d'ailleurs, vous le rappelez fréquemment -l'un des pays dont la dépense sociale est la plus élevée et dont les structures publiques sont les plus étoffées.(M. Éric Bocquet acquiesce.)Si nous nous comparons au reste du monde, nous devons reconnaître que, sur ce point, nous sommes bien en avance sur beaucoup d'autres.

Je comprends, dès lors, pourquoi, dès que nous franchissons une frontière ou que nous discutons avec un autre pays, c'est tout notre modèle républicain ou notre modèle social qui, pour vous, risque d'être mis en cause.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Roger Karoutchi. Mieux vaut fermer toutes les frontières !(Souriressur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Marie Le Guen,secrétaire d'État. Mais ce gouvernement est particulièrement mobilisé autour des valeurs qui nous rassemblent, ainsi que cela a été constaté dans cet hémicycle il y a quelques instants. Les négociations secrètes, ou discrètes, dont vous parlez, ont lieu à l'OMC. Certes, et je m'en faisais l'écho à l'instant, la situation est grave pour l'OMC et malheureusement on ne voit pas trop prospérer ces discussions ; cela n'empêche pas, toutefois, de discuter !

Je vous confirme que nous avons très précisément exclu du mandat le modèle éducatif, la sécurité sociale et les services publics, questions qui sont, d'ailleurs, également exclues des champs de compétence classiques de l'Union européenne.

Pour le reste, je vous confirme que, s'il n'y a pas d'accord mixte, il n'y aura pas d'accord du tout ! Je ne sais pas si cette affirmation suffira à lever tous les doutes, mais, selon nous, il n'y a plus de motif d'inquiétude : il n'y aura pas de traité sans accord mixte, c'est-à-dire sans la possibilité, pour le Parlement français, de ratifier les engagements pris en son nom. Que dire de plus ?

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour la réplique.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je prends d'abord acte du fait que cet accord ne sera pas ratifié par la France s'il ne s'agit pas d'un accord mixte. C'est essentiel, mais cela n'avait jamais été clairement dit à nos concitoyens. Je ne suis pas certaine, d'ailleurs, que cela ait été dit plus clairement aux autorités européennes, si j'en crois les récentes déclarations sur le sujet.

Je n'ai, ensuite, jamais prétendu que le libre-échange ne pouvait pas être encadré. Je souhaite seulement avoir la certitude qu'il n'y aura pas d'extension de concept en cours de mandat, comme c'est déjà le cas. La sécurité sociale et les retraites peuvent en effet être réintroduites par ce biais, à partir d'une extension du concept de liberté des fonds de pension. Le texte sur ce sujet évoque tous les mécanismes assurantiels relatifs à la santé et aux retraites, qu'ils soient publics ou privés. S'il ne s'agit pas de sécurité sociale ou de système de retraites, de quoi s'agit-il, monsieur le secrétaire d'État ?

Mais je suis rassurée, car vous ne laissez pas la moindre place au doute sur la question de l'extension de ces concepts. Pour autant, je serais tout à fait rassurée si une information régulière nous était adressée, pour que nous puissions prendre acte des désaccords à chaque étape. Comme vous, je n'exclus jamais un bon accord, mais, pour qu'il soit bon, encore faut-il que les points négatifs puissent être évacués à chaque étape !(Applaudissementssur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. - Mme Françoise Laborde et M. Joël Guerriau applaudissent également.)

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