Question de M. LAURENT Pierre (Paris - CRC) publiée le 27/11/2014

M. Pierre Laurent attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur le recours à des tests osseux afin d'établir l'âge de mineurs isolés étrangers.
En mai 2013, le groupe interministériel sous la conduite du ministère de la justice et en association avec l'Assemblée des départements de France a précisé les mécanismes de la prise en charge des mineurs étrangers isolés. Dans ses conclusions, le test osseux pour établir l'âge de mineurs isolés étrangers a été maintenu en possible dernier recours.
Il est à noter que la méthode d'évaluation de l'âge la plus couramment utilisée se fonde sur la radiographie de la main et du poignet gauche par comparaison avec des clichés de référence, répertoriés dans l'atlas de Greulich et Pyle. Or, ces clichés de référence datent des années 1930 et sont issus d'une population américaine « d'origine caucasienne ».
Ainsi l'administration continue de pratiquer des examens médicaux, fondés en partie sur l'expertise osseuse, dont tous les spécialistes s'accordent à dire qu'elle est dépassée.
Le Comité national consultatif d'éthique avait déjà pour sa part rendu un avis très négatif, le 23 juin 2005, sur cette méthode de détermination de l'âge. Il a trouvé « particulièrement inquiétant [...] de voir pratiquer, à des fins judiciaires des examens dont la signification et la validité, par rapport à l'objet même de la demande d'expertise, n'ont pas été évalués depuis plus de cinquante ans. » Ces inquiétudes ne sont-elles pas une nouvelle fois vérifiées récemment dans la région lyonnaise lors de lourdes condamnations de jeunes personnes sur la base notamment de tests osseux ?
L'Académie nationale de médecine a, quant à elle, en 2006, considéré que les expertises osseuses ne permettent pas « de distinction nette entre 16 et 18 ans ». Cette marge d'erreur peut être amplifiée dans le cas d'enfants ayant connu la malnutrition ou la famine.
Tour à tour l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), en 2005, et la Défenseure des enfants, avaient estimé que cette méthode devait être abandonnée.
La Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), surtout, dans un avis rendu le 26 juin 2014, a recommandé fermement « l'interdiction des tests osseux et plus généralement, l'interdiction de tout examen physique de détermination de l'âge tel que l'examen des parties génitales, du système pileux ou de la dentition ». Elle propose de définir une nouvelle méthode rigoureuse qui prenne en compte les facteurs psychologiques, environnementaux et culturels de l'enfant, réalisée par des professionnels indépendants, impartiaux et expérimentés.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments ne serait-il pas souhaitable de mettre fin à l'utilisation de tests osseux pour établir qu'une personne est mineure ou majeure dans le cadre de procédures civiles et administratives ? S'il s'avère nécessaire de déterminer l'âge, le doute ne devrait-il pas d'ailleurs profiter à la personne qui se déclare mineure ?
Est-il plus grave de risquer d'accorder une protection à une jeune personne qui s'avérerait être âgée d'un peu plus de 18 ans (sachant que le code de l'action sociale et des familles prévoit la possibilité de protéger aussi un jeune de 18 à 21 ans) ou bien de laisser livrée à elle-même cette jeune personne dont des tests d'un autre âge auraient dit qu'elle était majeure ?
L'unique réponse respectueuse du droit, conforme à l'esprit du dispositif de protection de l'enfance, et pertinente aux regards de l'éthique ne serait-elle pas l'abandon pur et simple d'une méthode qui ne répond en rien à ce qui est attendu d'elle ?

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Transmise au Ministère de la justice


Réponse du Ministère de la justice publiée le 17/12/2015

Tout enfant en danger sur le territoire national peut bénéficier du dispositif de protection de l'enfance, quelles que soient sa nationalité, son origine et son parcours. Les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille sur le territoire national, communément appelés mineurs isolés étrangers, ne sont pas toujours en mesure de prouver leur minorité, condition nécessaire pour bénéficier d'une mesure de protection. Dans le cadre de la procédure d'assistance éducative, l'article 1183 du code de procédure civile permet à l'autorité judiciaire d'ordonner toute mesure d'information, enquête sociale, examens médicaux, expertises psychiatriques et psychologiques… C'est à ce titre que des examens radiologiques, les tests osseux, peuvent être ordonnés en cas de doute sur la minorité de l'intéressé et après vérification des documents d'identité, conformément au protocole d'évaluation de l'âge annexé à la circulaire du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers. Ce protocole rappelle que ces examens ont un caractère subsidiaire, qu'ils ne constituent que l'un des éléments d'appréciation et que le doute doit être interprété en faveur de la minorité. Les conditions dans lesquelles ces tests sont pratiqués suscitent toutefois des interrogations, partagées par la garde des Sceaux, quant au respect de la volonté et de l'intérêt de ces enfants. Leur fiabilité est également questionnée, notamment lorsqu'ils sont utilisés seuls, puisqu'ils ne permettent pas d'établir d'âge certain et ne donnent qu'une indication comportant une marge d'erreur. Ces questions sont actuellement en débat devant le Parlement dans le cadre de la proposition de loi n°  99 relative à la protection de l'enfant, déposée le 11 septembre 2014 par la sénatrice Mme Michelle Meunier. À ce stade de la discussion, le recours aux tests radiologiques n'est possible qu'en cas d'accord de l'intéressé. Le doute lui profite.

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