Question de M. GROSPERRIN Jacques (Doubs - UMP) publiée le 30/01/2015

Question posée en séance publique le 29/01/2015

M. Jacques Grosperrin. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Madame la garde des sceaux, notre pays tout entier s'est retrouvé dans un élan sincère et unanime pour dénoncer la barbarie qui a frappé notre sol, pour défendre la démocratie, la liberté, la République et ses valeurs. Mais que faisons-nous maintenant ?

« L'unité nationale ne doit pas devenir un petit calcul politicien visant à étouffer l'opposition », a rappelé le président de notre groupe au Sénat, Bruno Retailleau. C'est notre devoir de parler sans concessions.

Au gré des déclarations, notamment celles du Premier ministre, nous constatons que l'examen de conscience que nous espérions tarde à venir. Le déni est toujours là, alors que l'horreur et l'urgence de la situation commandaient la rupture.

Le Premier ministre a dénoncé un apartheid social ; il a même persisté et signé. Nous savons que cette déclaration va renforcer le sentiment de victimisation d'une population convaincue de souffrir sous un joug quasiment colonial. Comment, dès lors, espérer faire retomber les tensions ?

Lorsque Manuel Valls dit à la jeunesse qu'elle doit s'habituer à vivre durablement avec la menace terroriste, que penser ? Il s'agit d'impuissance pour certains, de calcul pour d'autres…

Lorsque vous-même, madame la garde des sceaux, vous opposez d'emblée au retour de la peine d'indignité nationale, alors que le Premier ministre a justement proposé aux deux présidents des commissions des lois des assemblées de réfléchir sur le sujet et de formuler des propositions, il y a un malaise.

Le défi de la lutte antiterroriste appelle de réels changements dans le fonctionnement de la justice. Pour mes collègues et moi-même, c'est moins la loi elle-même qui pose problème que son exécution.

Nous considérons que vous avez amorcé, madame la garde des sceaux, un véritable désarmement pénal, très préjudiciable au pays. Si deux lois, inspirées pour partie par la précédente majorité après l'affaire Merah, ont renforcé récemment notre droit, la réforme pénale de 2014 est symbolique d'une moindre rigueur dans l'exécution des peines.


Mme Catherine Tasca. C'est faux !


M. Jacques Grosperrin. Exit ce qui a été appelé bien abusivement le « tout carcéral » : vidons les prisons, allégeons le régime de sanctions pénales des récidivistes et facilitons les libérations ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Le plan quinquennal de constructions de prisons, prévu en 2011, a été purement et simplement supprimé, alors qu'il faudrait 30 000 places supplémentaires. La suppression des peines plancher, la contrainte pénale – un aménagement de peine plus qu'une peine, étendu d'ailleurs aux délits passibles de dix ans de prison –, le sursis avec mise à l'épreuve – une aubaine pour les djihadistes –(Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.),…


M. Jean-Pierre Caffet. C'est un scandale !


M. Jean-Louis Carrère. Cela suffit !


M. Jacques Grosperrin. … sont autant de réponses gravement inadaptées en cette période très troublée. (Mêmes mouvements, sur les mêmes travées.)


M. Jean-Louis Carrère. Vous faites de la provocation !


M. Simon Sutour. C'est cela, l'unité nationale ?


M. Jacques Grosperrin. Nous travaillons en ce moment, au sein du groupe UMP, à des propositions allant dans différentes directions, y compris les plus difficiles ; des propositions sur la nationalité, par exemple.


Mme Éliane Assassi. Calmez-vous !


M. Jacques Grosperrin. Nous les ferons connaître le moment venu.

Pour l'heure, pouvez-vous nous dire, madame la garde des sceaux, si, de votre côté, vous souhaitez enfin faire évoluer votre politique pénale, dans ce contexte de lutte contre le terrorisme ? Et si c'est le cas, comment ferez-vous ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.)


M. David Assouline. Retirez vos propos, monsieur Grosperrin ! Ils sont honteux !

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 30/01/2015

Réponse apportée en séance publique le 29/01/2015

Mme Christiane Taubira,garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, en écoutant votre question, notamment sa conclusion, je me suis rendu compte que vous n'aviez probablement pas eu le temps de prendre connaissance des dispositions contenues dans la réforme pénale, c'est-à-dire dans la loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.

Ce texte de loi a été conçu de façon extrêmement rigoureuse ; il a donné lieu notamment à une conférence de consensus, qui a rassemblé des personnes de toute sensibilité politique, y compris de la vôtre, monsieur le sénateur. Nous avons en effet tenu à rassembler des expériences et des réflexions extrêmement diverses.

Cette évaluation extrêmement rigoureuse des politiques pénales précédentes nous a conduits à définir le contenu de ce texte, qui a été, je le souligne, abondamment travaillé en ces lieux.

Il est évident que l'efficacité des sanctions pénales est liée à l'individualisation de la peine. Nous avons donc introduit des dispositions visant à rendre aux magistrats leur liberté d'appréciation, afin qu'ils définissent très précisément la sanction la plus efficace.

Une autre disposition importante consiste à éviter que les personnes incarcérées ne sortent sans aucun encadrement, sans aucun suivi, sans aucune contrainte, ce qui était le cas avec la politique pénale précédente.

En effet, je pourrais facilement vous rétorquer, monsieur le sénateur, que la politique pénale précédente- nous l'avons évaluée - tendait à multiplier les récidives ; celles-ci ont été multipliées par trois entre 2001 et 2011, selon une appréciation dont nous ne sommes pas à l'origine.(Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Michel Vergoz. Il était bon de le rappeler !

Mme Christiane Taubira,garde des sceaux. La surpopulation carcérale, la sortie de prison avec le système de surveillance de fin de peine, un automatisme sans aucun suivi, sans aucun contrôle et sans aucun encadrement, ont donné des résultats désastreux.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

Mme Christiane Taubira,garde des sceaux. Nous avons donc voulu changer tout cela. Nous avons fait le choix d'une politique pénale responsable ; nous l'assumons.

J'en viens plus spécifiquement à la lutte contre le terrorisme. J'ai fait part à la commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe - une commission véritablement visionnaire, car elle a été installée il y a plusieurs mois -, des dispositions que nous avons adoptées dans le domaine pénitentiaire, dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse, dans le domaine judiciaire et en faveur du renforcement de la section antiterroriste de Paris. Je suis d'ailleurs à la disposition du Sénat pour de plus amples informations.

La politique est là, monsieur le sénateur ; il faut seulement éviter les confusions. Or la culture de la Haute Assemblée, c'est précisément le travail en commun, ce sont les rapports rédigés par un membre de l'opposition et par un membre de la majorité, ce sont des structures mêlant des expériences diverses. La commission que je viens d'évoquer rassemble ainsi des sénateurs de sensibilité politique différente et appartenant à plusieurs commissions législatives.

Nous, monsieur le sénateur, nous avons fait le choix de la responsabilité. Nous n'avons jamais pensé vous rendre responsables des crimes de Mohamed Merah en 2012, pourtant perpétrés sous la législature précédente et sous l'empire des lois que vous aviez votées. (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Caffet. Exactement !

M. le président. Il faut conclure, madame la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira,garde des sceaux. Même en pleine campagne électorale, l'actuel Président de la République, alors candidat, a été absolument exemplaire dans son attitude, afin de ne pas reporter sur les institutions et les responsables politiques des crimes commis par des individus. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Pierre Caffet. Très bien !

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