Question de M. del PICCHIA Robert (Français établis hors de France - UMP-R) publiée le 12/02/2015

M. Robert del Picchia attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur l'article R. 431-8 du code de justice administrative obligeant les Français de l'étranger non représentés à élire domicile dans le département de Seine-Saint-Denis pour tout recours juridictionnel concernant leurs impôts.

La plupart de nos compatriotes établis à l'étranger ne sont pas représentés car ils n'ont pas les moyens de prendre un avocat et n'ont personne de suffisamment proche, fiable et disponible pour être leur mandataire auprès du tribunal administratif de Montreuil et contester leur avis d'impôt en leur lieu et place.

Malheureusement, élire domicile en Seine-Saint-Denis s'avère en pratique presque impossible puisque : les entreprises privées de ce département n'ont pas d'agrément pour faire de la domiciliation de particuliers ; les associations qui font de la domiciliation pour les particuliers ne s'occupent que des personnes sans-domicile-fixe résidant en France ; rares sont les Français de l'étranger qui connaissent un particulier dans ce département, à qui ils puissent demander un tel service, et qui accepte de le rendre.

Ne pouvant satisfaire à l'obligation imposée par l'article R. 431-8, nos compatriotes établis hors de France voient automatiquement leurs requêtes déclarées irrecevables par le tribunal administratif ; ils sont donc privés de toute possibilité d'ester en justice pour contester leur impôt.

Dans sa réponse du 18 février 2014 à la question écrite n° 37 498 (Journal officiel questions de l'Assemblée nationale, 17 septembre 2013), elle déclarait : « l'obligation imposée par l'article R. 431-8 que l'élection de domicile se fasse nécessairement dans le ressort du tribunal administratif peut apparaître inutile et trop lourde pour les parties. Aussi le Gouvernement étudie-t-il la possibilité de supprimer cette obligation. »

Il lui demande quand sera supprimée l'obligation de l'article R. 431-8 qui est une entrave au droit fondamental de tout contribuable d'agir en justice.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 11/03/2015

Réponse apportée en séance publique le 10/03/2015

M. Bernard Fournier. M. Robert del Picchia étant en mission au Maroc avec M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, il m'a chargé de vous demander de bien vouloir excuser son absence et de poser sa question à Mme la garde des sceaux.

M. le président. Faites attention, mon cher collègue, car elle est très forte ! (Sourires.)

M. Bernard Fournier. C'est ce que l'on m'a dit ! (Nouveaux sourires.)

La question de M. Robert del Picchia porte sur l'obligation pour les Français de l'étranger non représentés d'élire domicile dans le département de Seine-Saint-Denis pour tout recours juridictionnel concernant leurs impôts.

Nos compatriotes qui ne sont pas d'accord avec leur avis d'imposition font, dans un premier temps, une réclamation auprès du service des impôts des non-résidents. En général, à ce stade de la procédure, ils ne savent pas qu'ils peuvent élire domicile en France.

En cas de réponse négative du service des impôts, ils poursuivent leur action devant le tribunal administratif de Montreuil. Cependant, s'ils ne sont pas représentés et s'ils n'ont pas élu domicile en France précédemment, ils ont l'obligation d'élire domicile dans le département de Seine-Saint-Denis, en vertu de l'article R. 431-8 du code de justice administrative.

Or la plupart de nos compatriotes établis à l'étranger ne sont pas représentés car, d'une part, ils n'ont pas les moyens de prendre un avocat, et, d'autre part, ils n'ont personne de suffisamment proche, fiable et disponible pour être leur mandataire auprès du tribunal administratif de Montreuil et contester leur avis d'imposition en leurs lieu et place.

Élire domicile dans le département de Seine-Saint-Denis se révèle en pratique presque impossible, puisque, premièrement, les entreprises privées de ce département n'ont pas d'agrément pour faire de la domiciliation de particuliers, deuxièmement, les associations qui font de la domiciliation de particuliers ne s'occupent que des personnes sans domicile fixe résidant en France, et, troisièmement, rares sont les Français de l'étranger connaissant dans ce département un particulier à qui ils peuvent demander un tel service et qui accepte de le leur rendre.

Ne pouvant satisfaire à l'obligation de l'article R. 431-8, nos compatriotes établis hors de France voient automatiquement leurs requêtes déclarées irrecevables par le tribunal administratif de Montreuil. Ils sont donc privés de toute possibilité d'ester en justice pour contester leurs impôts.

Madame la garde des sceaux, le 18 février 2014, dans votre réponse à une question écrite du député Thierry Mariani, vous déclariez ceci : « l'obligation imposée par l'article R. 431-8 que l'élection de domicile se fasse nécessairement dans le ressort du tribunal administratif peut apparaître inutile et trop lourde pour les parties. Aussi le Gouvernement étudie-t-il la possibilité de supprimer cette obligation. »

Cette question a pris une importance nouvelle depuis quelques semaines : la Cour de justice de l'Union européenne ayant jugé que les prélèvements sociaux sur les revenus immobiliers de source française de nos compatriotes étaient contraires à la réglementation européenne, les recours se multiplient.

Je souhaite donc savoir, madame la garde des sceaux, quand sera supprimée l'obligation de l'article R. 431-8, qui est une entrave au droit fondamental de tout contribuable d'agir en justice.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, je vous remercie de votre compliment, même si vous me surestimez incontestablement.

Monsieur le sénateur, la question que vous m'avez posée au nom de M. Robert del Picchia concerne un sujet extrêmement important. Si nous reconnaissons des droits, nous devons assurer leur effectivité. Cela implique d'abord d'apporter des garanties procédurales, la procédure ne devant pas constituer un obstacle pour les justiciables. Votre question concerne donc l'accès au droit de nos compatriotes résidant à l'étranger.

Les dispositions de l'article R. 431-8 du code de justice administrative visent non pas à faire obstacle à cet accès au droit, mais au contraire à assurer une bonne administration de la justice. Il s'agit de permettre à la juridiction d'établir facilement la relation entre les parties lorsque l'une d'entre elles n'est pas représentée et n'a pas auparavant élu domicile en France. C'est la raison pour laquelle les Français résidant à l'étranger qui ne sont pas représentés et n'ont pas élu domicile en France doivent élire domicile dans le ressort du tribunal administratif compétent - celui de Montreuil, en l'occurrence.

Je rappelle également, toujours dans le souci de montrer que les dispositions de l'article R. 431-8 ne font pas obstacle à l'accès au droit, que le justiciable peut élire domicile chez un parent - tout le monde n'en a pas en Seine-Saint-Denis - ou chez une personne physique - une connaissance -, mais aussi chez une personne morale, ce qui inclut notamment les associations. Vous le savez si bien que vous avez souligné que ces dernières se préoccupaient plutôt d'accueillir et de domicilier les personnes sans domicile fixe que de domicilier des personnes se trouvant dans d'autres situations.

Je continue cependant à penser que nous pouvons alléger la procédure. En réponse à la question de M. Thierry Mariani, j'ai mené une réflexion avec le Conseil d'État. Un décret en Conseil d'État visant à modifier l'article R. 431-8 est déjà en cours d'élaboration. S'il n'a pas encore été publié, c'est simplement parce qu'il s'inscrit dans un travail plus large concernant d'autres champs procéduraux de la justice administrative, qui a pris du retard. Je conviens avec vous que les réformes de ce type sont souvent trop lentes, mais l'élaboration du décret est en cours.

La procédure sera allégée afin que nos compatriotes résidant à l'étranger ne soient plus confrontés à des difficultés, qui, sans constituer des obstacles objectifs, sont tout de même des facteurs de ralentissement de l'accès au droit.

M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier.

M. Bernard Fournier. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de tenir l'engagement que vous aviez pris l'an dernier, même si l'on peut déplorer les délais : plus de douze mois se sont écoulés. J'espère que vous pourrez nous communiquer très rapidement la date à laquelle la modification de l'article R. 431-8 entrera en vigueur. J'ai bien pris note qu'un décret était en cours d'élaboration.

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