Question de M. LENOIR Jean-Claude (Orne - UMP) publiée le 23/04/2015

M. Jean-Claude Lenoir attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement sur l'arrêté du 24 juin 2008 modifié par l'arrêté du 1er octobre 2009, qui explicite les critères de définition et de délimitation des zones humides pour la mise en œuvre des articles L. 214-1 et R. 214-1 du code de l'environnement.

L'application stricte de cet arrêté et de sa circulaire d'accompagnement tend à bloquer tout développement de l'agriculture sur certains territoires présentant des caractéristiques pédologiques spécifiques à ce jour non prises en compte par les textes. C'est tout particulièrement le cas, dans le département de l'Orne, du pays d'Ouche qui présente un sous-sol calcaire avec une couche d'argile à silex très peu perméable, conduisant à des sols gorgés d'eau. La couche de limon en surface confère à ces sols une bonne fertilité, à condition toutefois de pouvoir assainir la couche superficielle, ce qui a été le cas pendant de nombreuses années, grâce au développement du drainage qui était alors subventionné.

Aujourd'hui toutefois, une application stricte de cet arrêté contraint les exploitants agricoles à en passer par des demandes d'autorisation, bien qu'il s'agisse non pas d'assécher les sols mais d'évacuer le trop plein d'eau. Toutefois, cette procédure très lourde exige des mesures de compensation en pratique impossibles à assurer, de sorte que les autorisations de drainage sont de plus en plus rarement accordées.

Or, cette situation paraît d'autant plus injustifiée que la pratique du drainage de la couche superficielle, pourtant ancienne et très répandue, a préservé la nappe située sous l'horizon drainé sans perturber son rôle de dénitrification et sans altérer la qualité de l'eau en rivière. C'est pourquoi il apparaît nécessaire d'envisager un assouplissement. Deux pistes peuvent être explorées à cet égard : soit une modification des textes en vigueur permettant de mieux prendre en compte certaines spécificités pédologiques, soit une application adaptée de ces textes aux contraintes spécifiques des territoires concernés pour lesquels il y aurait lieu de considérer que les projets de drainage relèvent de la rubrique 3320 relative au drainage et non de la rubrique 3310 relative à l'assèchement des zones humides qui leur est trop systématiquement appliquée.

Il souhaiterait connaître les mesures qu'il préconise pour que puisse perdurer une technique ancestrale à l'agriculture qui a fait la richesse de ces territoires, des territoires dont il serait regrettable que l'avenir agricole se trouve compromis du fait de l'impossibilité de recourir au drainage.

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Transmise au Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie


Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargé de la famille, de l'enfance, des personnes âgées et de l'autonomie publiée le 24/06/2015

Réponse apportée en séance publique le 23/06/2015

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme chacun le sait, le code de l'environnement essaie de protéger les zones humides, dans un but écologique. À ce titre, un arrêté de 2008 a étendu le périmètre des zones concernées et renforcé l'encadrement des opérations de drainage. Il s'agit évidemment d'empêcher l'assèchement des sols ; chacun peut comprendre cet objectif.

Le problème, c'est que le périmètre des zones concernées a été étendu à l'excès, sans tenir compte de la nature des sols et des sous-sols, et que les autorisations de drainage sont devenues extrêmement difficiles à obtenir.

Je prendrai un exemple, sans entrer dans les détails techniques, même s'ils sont largement maîtrisés dans cette assemblée. Il se trouve que, dans un territoire que je connais bien, puisque je le représente - le pays d'Ouche, au sein du département de l'Orne -, le sous-sol est calcaire, avec des couches superficielles d'argile à silex très peu perméables. De ce fait, l'eau ne peut que difficilement pénétrer dans le sous-sol, et la couche de limon, qui est extrêmement fertile, est constamment gorgée d'eau. Il faut donc effectuer des opérations de drainage. Cette technique ancestrale permet de dégorger la surface du sol de l'eau répandue en abondance par la pluie. Or il a plu assez souvent ces dernières années.

Il existe une confusion entre, d'une part, des techniques permettant de dégorger la surface du sol et, d'autre part, des techniques entraînant l'assèchement des sols. Les agriculteurs concernés sont durement pénalisés par cette situation. Ils ont beaucoup de difficultés à obtenir les autorisations. En zone humide, une autorisation est nécessaire dès que la superficie du sol à drainer dépasse un hectare ; ailleurs, le seuil est de cent hectares. Il faut également réaliser des études, qui coûtent très cher. Les contrôles sont extrêmement stricts, au point que, parfois, certains se sentent littéralement harcelés, voire agressés par les personnes en charge de ces contrôles.

Il est possible de trouver des solutions, en se réunissant entre gens de bonne intelligence. On pourrait soit déclasser certains territoires, qui ne devraient pas être concernés par la disposition que j'ai évoquée, soit faire une lecture relativement souple de cette dernière, afin de bien distinguer les opérations de drainage de surface et celles qui auraient pour conséquence d'assécher les sols.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Rossignol,secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, de l'enfance, des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, vous interrogez Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Comme elle ne peut être présente au Sénat ce matin, elle vous prie de bien vouloir l'excuser et m'a chargé de vous répondre ; c'est avec plaisir que je le fais.

M. Jean-Claude Lenoir. Le plaisir est partagé !

Mme Laurence Rossignol,secrétaire d'État. Les terrains gorgés d'eau, qui nécessitent un drainage pour y développer un certain type d'activité agricole ou pour y réaliser des aménagements, répondent à la définition des zones humides donnée l'article L. 211-1 du code de l'environnement.

Le drainage de ces terrains, en raison des incidences qu'il peut avoir, est visé dans deux rubriques de la nomenclature« loi sur l'eau » : la rubrique 3.3.1.0.,« Assèchement, mise en eau, imperméabilisation, remblais de zones humides ou de marais », avec un seuil d'autorisation fixé à un hectare de zones humides asséchées ou mises en eau ; la rubrique 3.3.2.0., « Réalisation de réseaux de drainage », avec un seuil d'autorisation de cent hectares de superficie drainée.

Les réalisations de réseaux de drainage en zone humide ou de marais, lorsqu'il s'agit de drains enterrés ou de fossés de grande profondeur, entraînent une modification irréversible de la texture des sols et ont pour conséquence l'assèchement de la zone humide. Il est donc justifié d'y appliquer, de manière simultanée, les deux rubriques précédentes. Ce sont alors les seuils plus exigeants de la rubrique 3.3.1.0. qui déterminent la procédure administrative applicable : autorisation ou déclaration.

Le drainage est ancestral, il est vrai, mais la place qu'il a prise, à côté de l'urbanisation, dans la disparition progressive et parfois irréversible des zones humides justifie qu'il soit aujourd'hui particulièrement contrôlé, notamment en soumettant les projets nouveaux à autorisation au titre de la loi sur l'eau et en obtenant des compensations adéquates chaque fois que la destruction de la zone humide est inévitable.

Par ailleurs, dans le département de l'Orne, un groupe de travail associant des représentants des professions agricoles et de l'administration a été mis en place. L'objectif est de trouver un équilibre dans la désignation des zones humides et des opérations de drainage soumises à autorisation ou à déclaration, en étudiant l'applicabilité, à certains terrains du département, des dérogations offertes par l'arrêté du 24 juin 2008 modifié à l'égard de certains types de sols.

Il n'est donc pas envisagé de modifier la réglementation dans le sens d'un allégement des exigences de préservation des zones humides, quelles qu'elles soient. La réglementation actuelle a permis d'atteindre un point d'équilibre, qu'il semble pour l'instant peu opportun de remettre en cause.

La richesse et l'intérêt des zones humides, tant pour la biodiversité que pour la gestion de l'eau, justifient aujourd'hui des mesures de préservation et de restauration renforcées. Il est important que les agriculteurs s'impliquent dans cet objectif ; beaucoup le font, d'ailleurs. En effet, en adoptant certains types de techniques ou d'activités agricoles compatibles avec le maintien des fonctionnalités des zones humides, ils peuvent en devenir les premiers protecteurs et gestionnaires.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir. Madame la secrétaire d'État, vous avez rappelé l'intérêt qu'il y avait à protéger les zones humides. Je suis tout à fait d'accord avec vous : ce sont des zones fragiles, et il faut faire respecter les dispositions visant à assurer leur protection. Le problème, c'est que l'on traite de la même façon des zones humides - vous avez vous-même fait référence aux zones de marais - et des zones gorgées d'eau, ce qui n'est absolument pas la même chose.

Vous l'avez souligné, madame la secrétaire d'État, un certain nombre d'avancées se sont produites dans le département de l'Orne, grâce à la bonne volonté des acteurs locaux et de Mme le préfet de l'Orne, mais elles n'ont été connues qu'après le dépôt de cette question et son inscription à l'ordre du jour de cette séance. Peut-être cette question a-t-elle eu un effet sur les initiatives prises...

Il s'agit de voir comment on pourrait, peut-être à titre expérimental, tenir compte des sols dont je parlais tout à l'heure. Sur le fond, il faut redire que l'on peut distinguer les zones humides, telles que vous les avez décrites, madame la secrétaire d'État, et les zones gorgées d'eau. En ce qui me concerne, je souhaite que l'on puisse appliquer à ces dernières, en particulier dans le Pays d'Ouche, la rubrique 3-3-2-0 au lieu de la rubrique 3-3-1-0 - le sujet est un peu technique, mais les agriculteurs concernés s'y reconnaîtront - de façon que le bon sens l'emporte.

À mon sens, il y va de l'intérêt de l'agriculture, notamment de l'élevage, lequel est aujourd'hui soumis à de fortes contraintes et rencontre de grandes difficultés. C'est vraiment le moment d'ouvrir les yeux sur des réalités que tout le monde connaît dans le monde rural, avec le bon sens qui caractérise ceux qui le composent.

Je vous remercie, madame la secrétaire d'État, d'avoir pris la peine de m'apporter ces éléments de réponse.

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