Question de M. DUPONT Jean-Léonce (Calvados - UDI-UC) publiée le 09/07/2015

M. Jean-Léonce Dupont attire l'attention de Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sur les conditions d'accès au revenu de solidarité active (RSA) qui, dans certaines situations, permettent à des personnes nanties et bien avisées d'obtenir des droits en toute légalité.
En effet, dans l'évaluation des situations patrimoniales, les textes prévoient, pour les capitaux placés, de prendre uniquement le taux d'intérêt réel ou, à défaut, le taux de 3 %.
Ainsi, une personne seule qui détient 180 000 euros peut-elle avoir un droit au RSA et, surtout, bénéficier des droits connexes.
Si ces situations ne représentent, évidemment, qu'une minorité de cas, elles ne sont pas anodines et tendent à se développer.
Dans le Calvados, entre 2012 et 2013 le nombre de bénéficiaires du RSA a progressé de 10 %, en passant de 13 600 à plus de 15 000 et, sur cette même période, le nombre de personnes qui ont déclaré des placements a augmenté de 24 %.
Enfin, en 2014, 200 bénéficiaires du RSA dans le département, détenaient ensemble 9 000 000 d'euros de placements.
Il constate également que, pour échapper à la prise en compte de certains placements, des bénéficiaires déposent des sommes importantes sur leur compte courant et la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) refuse d'intégrer ces sommes dans l'évaluation des ressources, en estimant que l'argent des comptes courants est destiné aux dépenses quotidiennes du foyer.
Or, comme l'indique l'article 1 de la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion, ce dispositif concourt à la réalisation d'un impératif national de lutte contre la pauvreté et les exclusions.
Dans cette logique, le président du conseil départemental devrait pouvoir refuser le bénéfice du RSA, au motif que le demandeur ne se trouve pas dans une situation de pauvreté, par exemple en fixant un montant plafond au-delà duquel le droit ne serait pas accordé.
Cela irait dans le sens d'une meilleure justice sociale et éviterait, par l'agissement d'une minorité, de décrédibiliser un système de solidarité indispensable pour les personnes qui traversent de réelles difficultés sociales et professionnelles.
Il lui demande donc de lui préciser quelles suites, il souhaite donner à cette proposition.

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargé des droits des femmes publiée le 14/10/2015

Réponse apportée en séance publique le 13/10/2015

M. Jean-Léonce Dupont. Ma question porte sur les conditions d'accès au revenu de solidarité active, le RSA, qui, dans certaines situations, permettent à des personnes nanties et bien avisées d'obtenir des droits en toute légalité.

Depuis la décentralisation du revenu minimum d'insertion, en 2004, et la généralisation du RSA, le département que je préside, le Calvados, s'est fortement investi dans la gestion de ces dispositifs, et notamment dans l'examen des demandes.

Après plus de dix années de fonctionnement, les services de mon département constatent de plus en plus souvent que des personnes détenant des capitaux importants sollicitent et obtiennent le RSA.

Dans le Calvados, ce phénomène, loin d'être anodin, tend même à se développer. Ainsi, entre 2012 et 2013, le nombre de bénéficiaires du RSA a progressé de 10 %, et, sur cette même période, le nombre de personnes ayant déclaré des placements a progressé de 24 %.

En effet, dans l'évaluation des situations patrimoniales, les intérêts des comptes d'épargne sont pris en compte non pas à proportion de leur valeur réelle, mais au taux forfaitaire de 3 %.

Certains ont parfaitement compris cette opportunité. On trouve même, sur certains blogs, des conseils avisés de ce type : « Quand on est au RSA, il faut privilégier ce type d'épargne. L'idéal, c'est de faire diversion : avoir son compte courant dans une banque, et ses comptes d'épargne non imposables dans un autre établissement, de façon à brouiller les pistes. ».

Je constate également que, pour échapper à la prise en compte de certains placements, des bénéficiaires déposent des sommes importantes - plusieurs dizaines de milliers d'euros - sur des comptes courants. Ils profitent ainsi du fait que la Caisse nationale des allocations familiales, ou CNAF, estimant que l'argent des comptes courants est destiné aux dépenses quotidiennes du foyer, refuse d'intégrer ces sommes dans l'évaluation des ressources !

Dans le système actuel, une personne qui détient 180 000 euros de placements peut donc avoir droit au RSA, et surtout bénéficier des droits connexes.

Cette situation particulièrement choquante ne s'accorde pas aux objectifs de la loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion, qui dispose dans son article 1er que ce dispositif « concourt à la réalisation de l'impératif national de lutte contre la pauvreté et les exclusions. »

Dans ce contexte, le président du conseil départemental devrait pouvoir refuser le bénéfice du RSA au motif que le demandeur ne se trouve pas dans une situation de pauvreté, et pourrait donc s'assumer financièrement. Cela éviterait qu'il ne profite d'un système de solidarité destiné aux plus démunis.

Dans le contexte de grave crise sociale que nous connaissons actuellement, et dans la perspective d'une bonne gestion des deniers publics, il conviendrait de réserver le dispositif du RSA aux personnes qui en ont réellement besoin. Il serait ainsi opportun que notre réglementation soit plus précise, par exemple en fixant un montant de capitaux au-delà duquel le RSA ne serait pas accordé - l'indice du seuil de pauvreté calculé chaque année par l'INSEE pourrait constituer une base objective -, mais aussi en intégrant dans le calcul, au-delà d'un certain seuil, les sommes déposées sur des comptes courants.

Cela irait dans le sens d'une meilleure justice sociale. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Monsieur le sénateur Jean-Léonce Dupont, vous m'interrogez sur la prise en compte des capitaux dans le calcul du revenu de solidarité active.

Le RSA est calculé en prenant en compte l'ensemble des ressources de toutes les personnes composant le foyer.

Dans ce cadre, les capitaux non productifs de revenus - je pense par exemple aux résidences secondaires ou aux avoirs financiers - sont valorisés comme des revenus.

Vous craignez que ces règles ne permettent pas d'intégrer au calcul les moyens financiers de certaines personnes qui, en principe, ne devraient pas bénéficier de ce dispositif de solidarité.

D'aucuns trouvent pourtant cette règle rigoureuse : les avoirs financiers sont par exemple valorisés à 3 % de leur montant, ce qui signifie que cette estimation forfaitaire peut être supérieure à leur rendement effectif.

Vous évoquez en particulier l'exemple de bénéficiaires du RSA qui laisseraient des sommes très importantes sur leur compte bancaire afin que ces dernières échappent à l'évaluation des ressources pour le calcul du RSA.

Il peut s'agir dans ce cas d'une fraude : lorsque le train de vie est manifestement disproportionné par rapport aux ressources déclarées, les caisses d'allocations familiales, ou CAF, mettent en œuvre la procédure « d'évaluation du train de vie », qui permet justement de mettre un terme à des situations, rares mais choquantes, de personnes pour lesquelles le bénéfice des minima sociaux ou de prestations sociales n'est pas justifié.

Les CAF, comme les autres organismes de sécurité sociale, ont en outre la possibilité de croiser des données fiscales et bancaires ; ce data mining permet de cibler les comportements éventuellement frauduleux.

Le Gouvernement demeure donc pleinement attaché à l'attribution, à juste droit, des minima sociaux.

Le juste droit consiste à améliorer le taux de recours, en versant les prestations à ceux qui y sont éligibles ; mais le juste droit revient aussi à verser les minima sociaux à ceux seulement qui en remplissent les conditions.

Les CAF renforcent donc l'efficacité et le ciblage de leurs contrôles, afin d'améliorer le taux de recours aux prestations, tout en multipliant, année après année, le nombre de fraudes évitées ou détectées.

C'est par le développement de cette double approche que nous mettrons fin à des comportements frauduleux qui peuvent - et je m'en inquiète - conduire certains de nos concitoyens à douter de notre système de protection sociale et à dénoncer, parfois trop rapidement, un « assistanat » largement fantasmé.

M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont.

M. Jean-Léonce Dupont. Madame la secrétaire d'État, il semble que nous ne vivions pas tout à fait les mêmes situations !

M. Christian Cambon. En effet !

M. Jean-Léonce Dupont. Nous sommes naturellement d'accord sur la nécessité absolue d'un système de solidarité. Or un tel système, pour être effectivement approuvé par l'ensemble de la population, doit permettre une distribution juste, à rebours des situations telles que celles que j'ai décrites.

Au-delà de cette nécessité de reconnaissance et d'acceptation du système de solidarité par l'ensemble de la population, vous n'ignorez pas les difficultés absolument considérables que rencontrent aujourd'hui les départements : on annonce en effet que certains départements seront probablement en état de cessation de paiement à la fin de l'année, qu'un tiers d'entre eux le seront peut-être dans un an, et deux tiers peut-être dans deux ans.

Les mesures que je propose reviendraient simplement à garantir une application stricte de la loi par une définition un peu plus précise des seuils d'éligibilité aux revenus de solidarité, par exemple en prenant pour base le seuil de pauvreté.

Ces mesures permettraient de résoudre, au moins en partie, les très graves difficultés que nous traversons. Si vous n'avez pas conscience de ces difficultés, vous serez très rapidement rattrapés par la réalité de la situation vécue, aujourd'hui, par les conseils départementaux ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

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