Question de Mme ARCHIMBAUD Aline (Seine-Saint-Denis - Écologiste) publiée le 17/02/2016

Question posée en séance publique le 16/02/2016

Mme Aline Archimbaud. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux.

Le tribunal de grande instance de Bobigny, deuxième juridiction de France, se situe dans un département de plus de 1 500 000 habitants.

Hier, 15 février, rassemblés dans une mobilisation exceptionnelle, les magistrats, fonctionnaires et avocats y ont à nouveau lancé un cri d'alerte et ont souligné une pénurie alarmante et chronique de moyens matériels et humains. À ce jour, le tribunal est en effet en sous-effectif de 15 % concernant les procureurs et les substituts et de 20 % concernant les juges. En outre, 75 postes de fonctionnaires sur 367 ne sont pas occupés.

Cette situation a des conséquences très lourdes, à la fois pour les équipes, qui sont épuisées, et pour les justiciables.

Une justice sans moyens est en effet une justice cruelle pour les justiciables : les délais d'attente sont d'une longueur insupportable – plus d'un an pour une première audience devant le juge aux affaires familiales, le juge du surendettement ou le juge d'instance, ou encore pour la mise en place d'une mesure d'assistance éducative – ; quatre villes du département sont privées de juge des enfants ; il n'est pas rare que des affaires soient jugées cinq ou six ans après les faits ; enfin, la durée moyenne d'une audience au tribunal d'instance, plaidoirie comprise, est de six minutes.

Les magistrats se trouvant dans l'impossibilité de remplir leurs missions, une lourde décision a été prise en janvier : le report de 20 % des audiences civiles et pénales.

Monsieur le ministre, pendant combien de temps encore la population et les élus de Seine-Saint-Denis devront-ils protester contre cette rupture d'égalité insupportable au sein de la République ? Alors qu'une partie importante de la population connaît des situations difficiles, quelles mesures concrètes allez-vous prendre, à court terme, pour remédier à cette situation et rétablir l'égalité dans l'un des piliers de notre démocratie, l'accès à la justice ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 17/02/2016

Réponse apportée en séance publique le 16/02/2016

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, merci beaucoup pour votre question. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Hubert Falco. C'est téléphoné, alors !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. En effet, ce qui est accentué de façon spectaculaire à Bobigny dit beaucoup de toutes les juridictions françaises. Cette situation est également vraie à Chartres, où j'étais vendredi dernier.

Comment expliquer qu'une sanction pourrait avoir une vertu pédagogique quand elle intervient trois ans après la commission des faits ? Comment expliquer à une victime qu'elle doit attendre des années pour que son préjudice soit enfin reconnu ?

M. Gérard Cornu. Posez donc la question à Mme Taubira !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Vous avez donc évidemment raison, madame la sénatrice. Cependant, le Gouvernement agit. (Exclamations et applaudissements ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Bravo !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je vous remercie de votre sollicitude, mesdames, messieurs les sénateurs, et je suis certain que ce que je m'apprête à dire suscitera de votre part le même assentiment. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Cette année, nous avons accueilli à l'École nationale de la magistrature la plus grande promotion d'auditeurs depuis 1958 : 366 auditeurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Simplement, il faut du temps pour les former. Or Bobigny ne peut pas attendre.

J'ai appelé ce matin le bâtonnier Campana ; je recevrai vendredi le président du tribunal de grande instance ainsi que la procureur de la République - vous comprendrez que j'éprouve le besoin de discuter directement avec eux - afin que nous prenions des mesures à la fois rapides et, surtout, visibles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour la réplique.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre écoute et de votre diligence. Vous l'aurez compris, je voulais simplement me faire ici le relais du profond sentiment d'injustice et, parfois, de mépris qui est ressenti à Bobigny. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)

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