Question de Mme LABORDE Françoise (Haute-Garonne - RDSE) publiée le 18/03/2016

Question posée en séance publique le 17/03/2016

Mme Françoise Laborde. Ma question s'adresse à Mme la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. (Encore ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le conseil des ministres devrait examiner, la semaine prochaine, une version remaniée du projet de loi sur le travail visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs.

À l'heure actuelle, cet avant-projet de loi contiendrait toujours un article 6, dont on parle très peu, et qui n'est pas sans poser de sérieuses difficultés, pour ne pas dire davantage, à ce stade de la procédure.

Cet article prévoit que la « liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne peut connaître de restrictions que si elles sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ».

Contrairement à ce qui est avancé, cet article ne s'inspire pas des recommandations du rapport Badinter sur la réforme du droit du travail, lequel était désireux de faire entrer la laïcité dans le code du travail.

En effet, la formulation retenue ne favorisera pas le principe de laïcité. Au contraire, elle entraînera une multiplication des demandes à caractère religieux dans l'entreprise et des contentieux motivés par cette nouvelle insécurité juridique.

Selon une étude récente publiée par l'Observatoire du fait religieux en entreprise, le nombre de conflits impliquant des demandes liées au fait religieux a doublé en un an, au point que, selon cet observatoire, « ces conflits entravent la cohésion des équipes et peuvent engendrer un climat délétère au sein de l'entreprise ». En 2011, le Haut Conseil à l'intégration, le HCI, avait déjà fait le même constat.

À défaut d'instaurer la neutralité religieuse en entreprise, position qui est la mienne, votre projet de loi devrait à tout le moins ne rien dire sur cette question,…

M. Roger Karoutchi. Évidemment !

Mme Françoise Laborde. … et laisser toute liberté aux entreprises de se doter d'un règlement intérieur organisant la neutralité religieuse, politique et philosophique, comme l'a déjà fait, par exemple, le groupe Paprec.

Madame la ministre, il est regrettable de constater que, tel qu'il est actuellement rédigé, l'article 6 est une porte ouverte aux revendications communautaristes au sein même des entreprises.

M. Roger Karoutchi. Bravo !

Mme Françoise Laborde. Quelle interprétation faites-vous de cet article ? Est-il encore possible que vous reveniez sur sa rédaction avant la présentation du texte en conseil des ministres, ou bien faudra-t-il que le débat ait lieu devant le Parlement ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

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Réponse du Ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social publiée le 18/03/2016

Réponse apportée en séance publique le 17/03/2016

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Je sais, madame la sénatrice, votre attachement profond au respect de la laïcité, et je le partage. J'ai moi aussi visité l'entreprise Paprec et j'ai pris connaissance de la charte de la laïcité qu'elle a mise en place.

La laïcité, en effet, est un principe fondateur de la République.

L'article 6 du projet de loi sur le travail résulte des travaux de la mission Badinter, à laquelle le Premier ministre avait demandé, dans une lettre, de dégager dans notre droit constant les grands principes devant faire l'objet du travail de la commission chargée de réécrire complètement le droit du travail, selon les trois étages suivants : ordre public social, négociation collective, normes supplétives.

La rédaction de cet article reprend donc strictement la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, la CEDH.

Pour ma part, je n'ai touché à aucun des 61 principes posés dans le rapport Badinter, lesquels constituent le droit constant. Tels étaient, en effet, les termes de la mission confiée par le Premier ministre.

Cette rédaction fera bien évidemment l'objet, comme l'intégralité de ce projet de loi, d'un débat parlementaire. Et si des suggestions ou des propositions sont faites en vue d'améliorer tel principe ou tel article, elles seront bien sûr acceptées par le Gouvernement.

Vous avez soulevé une autre question : la gestion du fait religieux en entreprise.

À la suite des attentats de novembre, j'ai souhaité que soit élaboré avec l'ensemble des partenaires sociaux un guide relatif à la gestion du fait religieux dans l'entreprise. Pour ce faire, nous nous sommes basés sur l'état de la jurisprudence et sur celui du droit en adoptant, à chaque fois, le point de vue de l'employeur et celui du salarié, et en envisageant les demandes que pourraient formuler ces deux parties.

Au travers de ce guide, nous avons voulu, avec les partenaires sociaux, transmettre des informations sur ce sujet à l'ensemble des salariés et des employeurs. À l'occasion de son élaboration, nous nous sommes aperçus qu'il y avait dans notre pays une méconnaissance du droit et des limites qu'il est possible d'opposer à certaines pratiques.

Ce guide, qui a été rédigé en collaboration avec la Direction générale du travail et sera publié dans les prochaines semaines, a été approuvé par les organisations patronales et syndicales. Je pense qu'il pourra, notamment sur l'article 6 issu des travaux de la mission Badinter, nourrir utilement nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur celles du RDSE.)

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