Question de M. BOURQUIN Martial (Doubs - Socialiste et républicain) publiée le 01/04/2016

Question posée en séance publique le 31/03/2016

M. Martial Bourquin. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Face à la gravité des attentats du 13 novembre et au traumatisme vécu par tous les Français, le Président de la République avait trouvé les mots justes : « Face à la terreur, la France doit être forte ; elle doit être grande. […] Nous devons […] appeler chacun à la responsabilité. Il y a […] une nation qui sait se défendre, qui sait mobiliser ses forces […]. »

Ensuite, devant le Parlement réuni en Congrès, il a décliné des mesures nécessaires pour lutter contre le terrorisme : projet de loi de révision constitutionnelle, renforcement des institutions, renforcement des forces de police, loi relative au renseignement,…

M. Gilbert Bouchet. On n'a rien contre !

M. Martial Bourquin. … justifiant ainsi la mise en œuvre de l'état d'urgence, que nous avons votée à l'unanimité.

Malheureusement, l'unité nationale qui s'est constituée au lendemain des attentats n'aura été qu'éphémère ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Gilbert Bouchet. À cause de qui ?

M. Alain Gournac. À qui la faute ?

M. Martial Bourquin. L'Assemblée nationale, toutes sensibilités politiques confondues, est parvenue à un consensus ; je ne peux que déplorer qu'il n'en ait pas été de même au Sénat ! (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Bertrand applaudit.)

M. Martial Bourquin. Chers collègues, quelle image donnons-nous à nos concitoyens, qui souhaitaient majoritairement cette réforme ?

M. François Grosdidier. Mme Taubira n'était pas sénateur !

M. Martial Bourquin. Devant ce manque d'unité et ces divisions, je ne peux m'empêcher de penser que ce n'est pas un camp politique qui a perdu, mais la France ! (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Gérard Cornu. À cause de qui ?

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Martial Bourquin. Le jeu politicien ne doit en aucun cas prévaloir sur la sécurité de nos concitoyens !

M. Philippe Dallier. Pas très convaincant !

M. Roger Karoutchi. C'est fini, monsieur le président !

M. Martial Bourquin. Monsieur le Premier ministre, dans ce contexte renouvelé, comment comptez-vous poursuivre le combat contre le terrorisme (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) et assurer la protection de l'ensemble des Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE. – Huées sur certaines travées du groupe Les Républicains.)

- page 5030


Réponse du Premier ministre publiée le 01/04/2016

Réponse apportée en séance publique le 31/03/2016

M. Manuel Valls, Premier ministre. Hier, le Président de la République a pris acte de l'impossibilité pour l'Assemblée nationale et le Sénat de s'accorder sur la révision constitutionnelle. Après s'être entretenu avec le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat, il a donc décidé de clore le débat constitutionnel.

Cette révision constitutionnelle avait été annoncée trois jours seulement après les attentats du 13 novembre, trois jours après ces actes terroristes, ces actes de guerre qui ont fait cent trente morts, des centaines de blessés, et ont profondément traumatisé le pays.

Chacun d'entre vous était présent à Versailles, le 16 novembre dernier. J'ai déjà eu l'occasion de le dire ici même : je pense sincèrement que, par son discours, les propositions qu'il a formulées, le Président de la République a su créer les conditions de l'unité nationale à un moment où beaucoup de choses auraient pu basculer.

M. Roger Karoutchi. On est d'accord !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Cette unité était indispensable, notamment pour mettre en œuvre l'état d'urgence, dont la prolongation a été votée en des termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat en quelques jours.

Au cours des jours qui ont suivi les attentats, nous nous sommes tous levés, donnant l'image d'une nation rassemblée, unie, qui fait face, une nouvelle fois, à la menace permanente du terrorisme.

Nous avons tous soutenu l'instauration de l'état d'urgence, lequel nous permet encore aujourd'hui de remonter les filières, de lutter contre les réseaux, de déjouer de nouvelles attaques, comme en témoigne la mise au jour d'un projet d'attentat voilà peu à Argenteuil. À ce sujet, je peux confirmer les propos tenus hier par le procureur Molins : une attaque massive, imminente menaçait notre pays.

Tous, nous avons soutenu l'intensification des frappes contre l'État islamique, afin de combattre l'ennemi également dans ses fiefs, au Levant, en Irak et en Syrie.

Quatre mois plus tard, nous ne sommes pas parvenus à conserver cette unité sur la révision constitutionnelle. Je le regrette profondément.

Je regrette également profondément que nous n'ayons pas su nous élever à la hauteur des attentes et des exigences des Français. Chacun d'entre nous a sa part dans cet état de fait. Dans de tels moments, nous aurions dû être capables de nous rassembler.

Enfin, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire ici même à la majorité sénatoriale, je regrette profondément que le Sénat ait adopté un texte aussi éloigné... (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Grosdidier. Non, il est fidèle à la parole du Président de la République !

M. Alain Fouché. Ce n'est pas l'Assemblée nationale qui commande !

M. le président. Mes chers collègues, laissez parler M. le Premier ministre !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Une telle attitude est tout de même extraordinaire, de la part de ceux-là mêmes qui ont failli m'applaudir tout à l'heure,...

Mme Nicole Bricq. Failli seulement !

M. Manuel Valls, Premier ministre. ... lorsque j'ai demandé à vos collègues du groupe CRC de ne pas m'interrompre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. - MM. Alain Bertrand et Joël Guerriau applaudissent également.)

Je regrette, disais-je, que le Sénat ait voté un texte aussi éloigné de celui qui avait été adopté par l'Assemblée nationale à une majorité de plus des trois cinquièmes, par-delà les clivages partisans, les deux principales familles politiques étant elles-mêmes traversées par ces débats.

Tout en respectant profondément le Sénat, je regrette que la majorité sénatoriale n'ait fait aucun effort, aucune proposition (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)...

M. Joseph Castelli. Il a raison !

M. Manuel Valls, Premier ministre. ... pour tendre la main à la gauche, alors que celle-ci, à l'Assemblée nationale, a consenti un tel effort, ce qui a permis d'aboutir à un vote à la majorité des trois cinquièmes ! C'est cela que je regrette ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. - M. Alain Bertrand applaudit également.)

M. Gilbert Bouchet. Ici, c'est le Sénat !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Les Français constatent ainsi notre incapacité à nous mettre d'accord sur cette réforme et, plus particulièrement, sur l'extension de la déchéance de nationalité pour les terroristes, mesure qui apparaît pourtant tellement évidente et qui a été défendue ici même par beaucoup d'entre vous.

À cet égard, ce matin même, Stéphane Le Foll, porte-parole du Gouvernement, citait le cas de Salah Abdeslam, qui a participé sans nul doute - même s'il faut rester prudent s'agissant de faits qui n'ont pas encore été jugés - aux attentats de Paris. Comment allez-vous expliquer que cet individu ne doit pas être déchu de la nationalité française, au motif qu'il ne faudrait pas franchir la ligne rouge de l'apatridie ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas. Il n'y a pas de rétroactivité en la matière, de toute façon !

M. François Grosdidier. C'est vous qui êtes dans l'erreur ! Il ne faut pas d'apatrides !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Bourquin, ce jeu politicien peut en effet mettre en péril l'unité et la confiance, indispensables en une telle période. L'essentiel, toutefois, c'est que l'unité prévale en matière de lutte contre le terrorisme.

Depuis le début du quinquennat, nous avons augmenté les effectifs des services de police et de gendarmerie, ce qui n'avait pas été fait auparavant.

Nous avons renforcé les services de renseignement, alors que nos prédécesseurs avaient mis en cause les renseignements généraux.

Nous avons donné davantage de moyens aux services judiciaires et douaniers.

Nous avons consolidé notre arsenal juridique, en faisant voter deux lois antiterroristes, les lois relatives au renseignement, et en préparant un projet de loi relatif à la procédure pénale.

À ce propos, monsieur Bas, monsieur Mercier, tout en reconnaissant que nous avons reçu le soutien de la commission des lois du Sénat sur d'autres textes, je rappelle que c'est la majorité de l'Assemblée nationale qui aura le dernier mot ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

C'est bien la politique que nous mettons en œuvre qui permet de protéger les Français et de garantir leur sécurité. Oui, monsieur Bourquin, nous continuerons à mener cette politique, parce que la protection des Français constitue plus que jamais notre priorité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

- page 5031

Page mise à jour le