Question de M. MOUILLER Philippe (Deux-Sèvres - Les Républicains) publiée le 28/07/2016

M. Philippe Mouiller attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement sur la situation économique désastreuse des éleveurs de bovins allaitants.

Ces races et ces savoir-faire, qui constituent l'exemple le plus avancé du « made in France », sont aujourd'hui clairement mis en péril.

La situation du marché laitier et ses effets sur le marché de la viande sont clairement identifiés.

Les effets collatéraux des orientations du marché laitier sur celui de la viande bovine doivent impérativement être pris en compte, au niveau européen.

L'élevage allaitant, les territoires, les races et les savoir-faire millénaires ne doivent plus être offerts comme monnaie d'échange de la politique étrangère de la France.

Les conséquences de la position de la France vis-à-vis de la Russie ne doivent plus être supportées par l'agriculture et les éleveurs français.

Il est difficilement compréhensible pour les éleveurs que le ministre russe de l'agriculture ne se voie pas accorder de visa.

Un autre dossier illustre l'absence de vision stratégique : celui de la Turquie.

Les restrictions à l'exportation de bovins vers la Turquie relèvent davantage d'une question de géopolitique que d'une question sanitaire.

L'élevage est stratégique pour notre économie et ne doit pas constituer un faire-valoir dans les rapports de force.
Malgré les beaux atouts dont elle est dotée en matière d'élevage, la France, qui peut être fière de la pertinence de son modèle d'élevage vis-à-vis des enjeux environnementaux et alimentaires de notre siècle, semble malgré tout incapable de porter une réelle stratégie de conquête des marchés d'exportation.

Il ne suffit pas de créer une plateforme d'exportation sans vocation commerciale et de laisser la main à des opérateurs industriels.
Le Gouvernement se doit de bâtir une stratégie mobilisant l'ensemble des réseaux.

Un « comité export » doit être convoqué en urgence. Ce dernier ne s'est pas réuni depuis le mois d'octobre 2015.

Il lui demande de bien vouloir lui préciser les mesures qu'il entend prendre pour sauver l'élevage français.

Le temps est compté pour l'élevage.

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Réponse du Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt publiée le 21/12/2016

Réponse apportée en séance publique le 20/12/2016

M. Philippe Mouiller. Monsieur le ministre, ma question porte sur la situation économique désastreuse que connaissent, depuis de longs mois, nos éleveurs de bovins allaitants. J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer ce sujet lors du débat qui s'est tenu au Sénat, le 23 novembre 2016, sur la sauvegarde et la valorisation de la filière élevage.

En matière d'élevage, nos races et nos savoir-faire, qui constituent l'exemple même du made in France, sont aujourd'hui clairement mis en péril. Plusieurs facteurs contribuent à cette situation.

Tout d'abord, la crise laitière met sévèrement en danger la production de viande de qualité, compte tenu de l'afflux de vaches laitières de réforme dans les abattoirs.

En outre, les éleveurs bovins français croulent sous les charges et les normes, ce qui les empêche de jouer à armes égales avec leurs concurrents, notamment européens.

Par ailleurs, la surtransposition des directives européennes entraîne des surcoûts financiers et la perte de compétitivité dont souffrent nos entreprises agricoles.

Je regrette à ce propos que la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire n'ait toujours pas été adoptée définitivement. Ce texte, examiné sur l'initiative du Sénat, dispose que, pour chaque norme nouvellement créée dans le domaine agricole, une norme antérieure soit abrogée.

De plus, il n'est pas acceptable que l'élevage allaitant et les territoires qui en vivent soient offerts comme monnaie d'échange de notre positionnement politique international. Ainsi, l'attitude française à l'égard de la Russie cause à nos éleveurs un tort considérable, tout comme les restrictions à l'exportation de bovins vers la Turquie, qui relèvent davantage d'une question de géopolitique que d'une question sanitaire. L'élevage est stratégique pour notre économie et ne doit pas constituer un faire-valoir dans les rapports de force.

Malgré les beaux atouts dont elle est dotée en matière d'élevage, la France semble incapable de porter une réelle stratégie de conquête des marchés d'exportation. La réponse structurelle à la crise que traverse la filière bovine passe pourtant par une stratégie offensive à l'exportation. Accompagner la filière vers ces marchés doit être une des priorités de l'État.

Or aucun comité export n'a été convoqué depuis le mois d'octobre 2015. Il doit être réuni de toute urgence. Il ne suffit pas de créer une plateforme export sans vocation commerciale et de laisser la main, principalement, à des opérateurs industriels.

Je vous remercie, monsieur le ministre, de bien vouloir me préciser les mesures que vous entendez prendre en faveur de l'élevage et de l'exportation.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, la mise en place de la plateforme export que vous avez évoquée, et qui ne se réunit pas suffisamment, s'est faite sur l'initiative du ministre de l'agriculture. Certes, vous êtes dans votre rôle en posant cette question – et chacun pourra la poser à nouveau au prochain ministre – mais si les exportateurs ne s'organisent pas pour faire vivre cette plateforme, le ministre ne peut pas exporter à leur place ! Il faut que tout le monde en ait conscience.

On pourra raconter tout ce qu'on voudra pendant la campagne présidentielle, mais chacun se retrouvera ensuite devant ses responsabilités, même si l'on continuera de laisser penser qu'il suffit de faire ceci ou cela. Pour ma part, j'ai créé une plateforme export qui n'existait pas auparavant. Nous avons cherché à mettre autour de la table tous les opérateurs de l'exportation française, ainsi que les abattoirs, pour qu'ils puissent discuter des objectifs et répondre ensemble à des appels d'offres. Une fois la plateforme créée, je peux bien les réunir dix fois, mais s'ils ne veulent pas coopérer pour répondre aux appels d'offres, que puis-je y faire ?

Puisque vous avez mentionné la Turquie, qui a rouvert le marché turc ? C'est moi, à la suite de la visite du Président de la République dans ce pays, qui s'est bien passée. Peut-être des questions géopolitiques ont-elles joué ; il n'en reste pas moins que ce marché nous avait été fermé à cause de la fièvre catarrhale ovine. C'est pour cette raison que, même si l'on respecte aujourd'hui les critères de l'Organisation mondiale de la santé animale, l'OIE, la Turquie nous a causé des difficultés, alors même que le flux d'exportations vers ce pays avait dépassé les 80 000 têtes en vif entre les sommets de l'élevage de Cournon 2014 et 2015. J'en étais surpris moi-même.

Par ailleurs, nous sommes en train de faire le nécessaire pour ouvrir des perspectives d'exportation vers l'Égypte et les pays du Maghreb, notamment en Algérie. Nous cherchons à signer des contrats, à faire en sorte que les conditions sanitaires soient respectées et, plus largement, à aider les exportateurs chaque fois que nous le pouvons. Mais cela nécessite aussi que des choix stratégiques soient faits par les filières et que les opérateurs travaillent sur ces questions.

J'en viens à la question des normes, qui est elle aussi très politique. Vous laissez penser aux agriculteurs que c'est cela qui pose problème aujourd'hui, mais vous aurez à leur expliquer demain que c'est plus compliqué. Vous allez toutes les supprimer – très bien ! – mais allez-vous régler le problème ? Les prix ont pu baisser jusqu'à 20 % ou 25 %. Trouvez-moi donc des normes dont la suppression ferait gagner 20 % à 25 % en compétitivité ! Il n'y en a pas.

Vous prétendez qu'il suffit de supprimer des normes pour retrouver les prix antérieurs ; il vous faudra donc assumer, devant les agriculteurs, l'absence d'effet de ces suppressions. Que viendront-ils alors vous dire ? Je dis cela avec beaucoup de sérieux et de responsabilité car, pour ma part, j'assume toutes les critiques depuis quatre ans et demi : j'ai battu le record de longévité à la tête de ce ministère, et je connais tout cela par cœur. Je sais donc ce qu'il est possible de faire, et ce que nous devons faire pour améliorer les choses. En revanche, je sais que les discours selon lesquels « il suffit de… » pour tout régler mènent à des lendemains difficiles.

Quant à la gestion du marché de la viande et du lait, nous avons essayé de diminuer la production laitière, ce qui a donné lieu à des abattages. Comme la production est désormais stabilisée à nouveau, les abattages de vaches laitières de réforme ne devraient plus perturber le marché de la viande bovine autant qu'ils l'ont fait récemment.

Par ailleurs, nous essayons de structurer ce marché. Nous allons offrir 150 euros afin de plafonner les carcasses de jeunes bovins à 360 kilos et d'éviter ainsi que trop de kilos de viande ne se retrouvent sur le marché ; ainsi, les prix pourront remonter. Voilà comment on fait !

Quant aux plateformes export, je le répète, nous avons tout fait pour développer des filières d'exportation, mais nous ne pouvons pas exporter à la place des exportateurs !

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller.

M. Philippe Mouiller. J'entends la réponse de M. le ministre. Selon moi, il existe plusieurs niveaux d'intervention.

De manière générale, à l'heure actuelle, on passe notre temps à courir derrière les difficultés pour essayer de les résoudre, alors que, en matière de développement économique et, notamment, d'agriculture, l'anticipation, la prospective et la stratégie sont elles aussi fondamentales : il ne s'agit pas simplement de répondre à une crise conjoncturelle.

Je reviens sur la problématique de l'exportation. Vis-à-vis des marchés que vous avez évoqués, on s'est trouvé face à une difficulté et l'outil a été créé, mais ce n'est pas suffisant ! On ne peut simplement le créer puis en laisser la responsabilité aux agriculteurs et aux entreprises. Une volonté existe pour s'impliquer dans un schéma beaucoup plus large que la simple démarche de marché : cela implique des échanges dans les domaines sanitaire, politique et économique. Voilà ce que les agriculteurs attendent en matière de portage.

Les problèmes s'accumulent. Dans mon département des Deux-Sèvres, les éleveurs subissent maintenant, en plus de leurs problèmes antérieurs, la nouvelle carte des zones défavorisées. On est en train de cumuler les difficultés dans une période où nos éleveurs n'en peuvent plus.

Quant aux normes, c'est extraordinaire ! Selon vous, on ne peut rien faire !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Faites, alors !

M. Philippe Mouiller. Or, si l'on prend le temps de regarder comment le Gouvernement transpose les directives européennes, on s'aperçoit qu'il apporte un niveau de complexité encore bien supérieur. Dire qu'on ne peut rien faire, c'est du fatalisme, et je pense que votre bilan se fondera sur le fatalisme ! (M. Loïc Hervé applaudit. – M. le ministre s'exclame.)

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