Question de M. ABATE Patrick (Moselle - Communiste républicain et citoyen) publiée le 06/10/2016

M. Patrick Abate attire l'attention de M. le secrétaire d'État, auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes.
Depuis 1983, le nombre de travailleurs frontaliers lorrains a été multiplié par 12 au Luxembourg. Au nombre de 85 000, les travailleurs frontaliers français représentent aujourd'hui plus de la moitié du contingent total des travailleurs frontaliers sur le territoire du Grand Duché.
S'il existe un partage de dépenses en termes d'infrastructures liées à la mobilité des personnes, il n'existe aucun accord sur la fiscalité transfrontalière entre les deux pays, si ce n'est la convention fiscale de 1958. Cette absence d'accord, rapporte au Luxembourg une somme de 425 millions d'euros et donc un manque à gagner pour la France.

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Transmise au Ministère de l'économie et des finances


Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère de l'économie et des finances, chargé du numérique et de l'innovation publiée le 21/12/2016

Réponse apportée en séance publique le 20/12/2016

M. Patrick Abate. La France a conclu des accords fiscaux et financiers avec quasiment tous les pays limitrophes qui accueillent des travailleurs français. Cependant, le Luxembourg et la France n'ont toujours pas ratifié d'accord, si ce n'est, il y a près de soixante ans, en 1958. Pourtant, en matière de relations avec les pays frontaliers, le Luxembourg en particulier, les choses ont incontestablement évolué. D'insignifiant en 1958, le nombre de travailleurs frontaliers est passé à 90 000 aujourd'hui. Il pourrait s'élever à 130 000 d'ici à cinq ans selon l'institut de la Grande Région.

Le volet fiscal de notre coopération avec le Luxembourg doit évoluer. Les progrès à effectuer en la matière sont de taille et doivent s'inscrire dans une logique européenne et dans le développement d'un espace transfrontalier, d'une agglomération transfrontalière, que dessinent déjà, côté français, l'établissement public d'aménagement Alzette-Belval, qui s'inscrit dans le cadre d'une opération d'intérêt national, et, côté luxembourgeois, le grand projet Esch-Belval.

Ces développements, pour lesquels nos deux pays ont montré leur intérêt, ne seront pérennes et mutuellement efficaces qu'à la condition d'une plus équitable répartition des charges et des ressources des deux côtés de la frontière, et cela dans une volonté gagnant-gagnant.

Cela passe par la mise en place de mesures de compensation en matière fiscale. Des exemples existent et ont prouvé leur efficacité. Faut-il rappeler l'intérêt de l'accord ratifié entre la France et le canton de Genève signé en 1973, alors même que ce territoire ne se situe pas dans l'Union européenne ? Cet accord se traduit, dans les faits, par le reversement aux départements de l'Ain et de la Savoie de 3,5 % de la masse salariale des travailleurs frontaliers français.

Cette manne financière non négligeable permet surtout aux communes limitrophes de développer des projets qui bénéficient à tous. Il en est ainsi du développement de l'agglomération mixte du Grand Genève. Il s'agit donc bien d'une démarche gagnant-gagnant. Cela contribue, des deux côtés de la frontière, à un accroissement de l'attrait des territoires concernés.

J'ai interpellé, en avril dernier, M. Harlem Désir, secrétaire d'État chargé des affaires européennes, par le biais d'un courrier et d'une question écrite, puis M. Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics. Je demandais l'inscription à l'ordre du jour de la CIG de cette question. Je n'ai reçu une réponse que le 24 novembre, soit trois jours après le déroulement de cette réunion entre la France et le Luxembourg. La question aurait bien été abordée par M. Harlem Désir, mais en marge de cette réunion du 21 novembre. En tout cas, elle n'a pas été inscrite à l'ordre du jour, le gouvernement luxembourgeois ayant opposé une fin de non-recevoir…

Dans ces conditions, comment le gouvernement français entend-il maintenant faire avancer ce dossier et le présenter comme mutuellement avantageux – je le répète, gagnant-gagnant – à nos amis luxembourgeois, afin de les convaincre de l'intérêt d'entrer dans la discussion ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargée du numérique et de l'innovation. La coopération entre la France et le Luxembourg en matière de fiscalité est matérialisée par la convention fiscale de 1958, qui vise à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque. Cette convention ne prévoit effectivement pas de clause spécifique concernant les travailleurs frontaliers, contrairement aux accords que nous avons conclus avec l'Allemagne, la Belgique ou la Suisse. Des compensations financières à la charge de la France sont alors prévues.

Le Luxembourg est le seul pays frontalier avec la France et recevant des flux significatifs de travailleurs frontaliers qui ne soit pas lié à notre pays par un accord bilatéral instaurant un mécanisme de partage des recettes fiscales liées directement à ces flux.

Vous l'aurez compris, monsieur le sénateur, ce n'est pas une mauvaise volonté de la part du gouvernement français. Le Luxembourg n'a en effet mis en place ce type de régime qu'avec un seul de ses voisins. Il n'existe pas de volonté du côté luxembourgeois d'avancer sur la piste d'une renégociation de l'accord fiscal bilatéral qui lie nos deux pays.

Voilà pourquoi, tout en portant régulièrement ce sujet lors des commissions intergouvernementales franco-luxembourgeoises pour le renforcement de la coopération transfrontalière – comme cela a été le cas lors de la dernière CIG –, le gouvernement français développe une approche, que vous avez d'ailleurs décrite, qui doit permettre le cofinancement par le Luxembourg de projets réalisés sur notre territoire. Cette approche a porté ses fruits – peut-être pourriez-vous mettre en avant ces réussites ? –, par exemple avec le financement de la ligne à grande vitesse Grand Est, le contournement de Villerupt, des projets portant sur l'autoroute A 31 bis ou la création de parkings relais – aussi dénommés park and ride – dans les villes frontalières françaises.

C'est cette approche pragmatique de négociation projet par projet avec nos partenaires luxembourgeois qui l'emporte dans les circonstances actuelles.

M. le président. La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Pour une bonne part, le Gouvernement cerne les enjeux de la même manière que nous. La problématique étant posée correctement, nous avons une chance d'aboutir à la résolution du problème.

Cependant, pour une autre part, l'enjeu n'est pas nécessairement celui que vous avez mis en avant, madame la secrétaire d'État. Vous avez cité des financements communs pour des projets comme l'A 31 bis, les parkings relais, la ligne à grande vitesse Grand Est ou le contournement de Villerupt. On pourrait ajouter à la liste le rétablissement de postes-frontières destinés non pas à bloquer les voitures, mais à opérer des contrôles sur l'initiative exclusive du gouvernement luxembourgeois. L'enjeu, c'est le fait que les frontaliers, qui sont formés en France, qui y font garder leurs enfants, qui utilisent de manière importante les services publics, créent une richesse au Luxembourg qui ne profite pas, en tout cas pour partie, à notre territoire. Pourtant, entre le Luxembourg et la Belgique, cela ne pose pas de problème, y compris en termes de compétitivité pour les travailleurs belges.

Pour convaincre nos amis luxembourgeois, il faut leur dire que, sans cette équité, les grands projets transfrontaliers ne seront pas pérennes. Proposons qu'un organisme indépendant – par exemple, la Caisse des dépôts et consignations, qui sait porter des projets de nature européenne – récupère cette manne financière et garantisse le financement de projets mutuels. En effet, ne confortons pas l'idée que nos amis luxembourgeois peuvent avoir qu'ils donnent déjà pas mal – ce qui est vrai : ils participent au financement d'infrastructures – et que nous ne serions que des pique-assiettes.

Nous devons donc imaginer une procédure permettant que les fonds, équitablement répartis, servent une démarche qui soit gagnant-gagnant, par exemple dans le cadre d'une grande agglomération transfrontalière, comme ce qui se fait pour le Grand Genève. Ces pistes de travail ne sont pas assez mises en avant. Nous avons trop tendance à nous contenter de ce que répondent les Luxembourgeois, à savoir qu'ils participent aux infrastructures. Or la France aussi participe aux infrastructures !

J'espère que le Gouvernement prendra en compte rapidement ce type de démarche gagnant-gagnant. Les habitants de mon département le ressentent comme une urgence.

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