Question de M. VAUGRENARD Yannick (Loire-Atlantique - Socialiste et républicain) publiée le 08/12/2016

M. Yannick Vaugrenard attire l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur l'émission « La Rue des allocs » diffusée par la chaîne M6.
La chaîne diffuse depuis le 17 août 2016, une émission, présentée comme un « documentaire-réalité », filmant des habitants du quartier de Saint-Leu, l'un des plus pauvres d'Amiens.
Cette émission est une adaptation d'une émission anglaise, « Benefits Streets », tournée à James Turner Street à Birmingham en 2014 par la chaîne Channel 4. Si, dans cette dernière émission, ce sont les actes de fraude aux allocations de certains habitants qui avaient soulevé le plus de contestation, nos concitoyens qui ont regardé la version française ont été particulièrement choqués. La stigmatisation, les clichés et les préjugés à l'égard des personnes en situation de précarité ne sont en effet pas admissibles dans notre pays.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a d'ailleurs été saisi par plusieurs associations et bien qu'il ait déploré le choix du titre de l'émission, « à connotation péjorative, et qui ne reflétait d'ailleurs pas la diversité des situations et des comportements des résidents du quartier de Saint-Leu à Amiens », il n'a relevé aucun « manquement de M6 à ses obligations » dans une décision rendue début octobre 2016.
Notre société a pourtant besoin de plus de cohésion sociale et alors que loi n° 2016-832 du 24 juin 2016 visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale a été promulguée, il lui semble nécessaire de ne pas permettre à de tels programmes télévisuels d'être diffusés sans éclairage ou avis contradictoire, notamment des associations impliquées sur ces question sensibles.
Il lui demande donc de bien vouloir lui faire connaître sa position sur cette question et les mesures qu'elle compte engager, notamment dans les moyens donnés au CSA, pour lutter contre la stigmatisation à l'égard des personnes en situation de précarité sociale dans les programmes télévisuels.

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Réponse du Ministère de la culture et de la communication publiée le 22/02/2017

Réponse apportée en séance publique le 21/02/2017

M. Roland Courteau, en remplacement de M. Yannick Vaugrenard. Madame la ministre, mon collègue Yannick Vaugrenard souhaite attirer votre attention sur l'émission La rue des allocs, diffusée par M6 les 17 août et 17 novembre derniers.

Dans cette émission, qui était curieusement présentée comme un « documentaire-réalité », des habitants du quartier de Saint-Leu étaient filmés. Classé en zone urbaine sensible, c'est l'un des quartiers les plus pauvres d'Amiens ; le chômage y atteint 19 % de la population.

Beaucoup d'entre nous ont été choqués de la stigmatisation de populations en grande difficulté financière et sociale. Nous l'avons aussi été des clichés véhiculés par cette émission, dont l'alcoolisme ou le travail au noir.

La FNARS, la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale, a appelé le Conseil supérieur de l'audiovisuel à intervenir pour suspendre la diffusion de ce documentaire qu'elle jugeait « stigmatisant et honteux face à la détresse sociale que vivent plus de huit millions de personnes pauvres en France ». Bien qu'il ait déploré le choix du titre de l'émission, le CSA n'a, étonnamment, relevé aucun manquement de M6 à ses obligations…

La divulgation de leurs adresses a jeté des habitants de Saint-Leu en pâture à des personnes qui, après les premières diffusions, les ont dérangés en tapant à leurs fenêtres, en les insultant, en les traitant de « cas sociaux » !

Cette émission stigmatisante est contraire à l'esprit de la loi du 24 juin 2016 visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale, dont Yannick Vaugrenard est l'initiateur. Il est indispensable de ne pas autoriser la diffusion de telles émissions, particulièrement sans éclairage ni avis contradictoire émanant, notamment, des associations caritatives et humanitaires.

Nous traversons une période de crise qui n'est pas sans en rappeler d'autres, aux pires moments de notre histoire, et où d'aucuns cherchent des boucs émissaires.

Madame la ministre, être pauvre et stigmatisé est une double peine qui a assez duré ! Quelles mesures ont été engagées afin que de la diffusion de telles émissions ne se renouvellent pas ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, la diffusion de La rue des allocs sur M6 depuis l'été dernier a effectivement suscité l'émotion et l'émission a été critiquée comme étant porteuse de stigmatisation, de clichés et de préjugés à l'égard de personnes en situation de précarité.

Ce programme a entraîné de vives réactions non seulement de la part des téléspectateurs, mais aussi de celle d'associations, dont certaines ont saisi le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Au nombre des plaignants, on trouvait en effet notamment la FNARS, qui avait demandé au CSA d'intervenir auprès de la direction de la chaîne pour « suspendre la diffusion de ce programme stigmatisant et honteux face à la détresse sociale que vivent près de huit millions de personnes pauvres en France ».

L'autorité indépendante a examiné cette émission. Vous l'avez rappelé, elle en a déploré le titre, à connotation péjorative et ne reflétant d'ailleurs pas la diversité des situations et des comportements des résidents du quartier de Saint-Leu à Amiens. Elle a cependant estimé que M6 n'avait méconnu aucune des obligations que doit respecter une chaîne de télévision lorsqu'elle décide de mettre un programme à l'antenne

En procédant ainsi, le CSA a exercé une mission que le législateur lui a confiée et qui est inscrite à l'article 3-1 de la loi relative à la liberté de communication : garantir l'exercice de la liberté de communication audiovisuelle dans les conditions prévues par cette loi. Ce rôle dévolu au CSA appartient à lui seul. Vous comprendrez que ce n'est pas au ministre chargé de la communication de se substituer à une autorité indépendante qui exerce ses fonctions.

On peut, bien sûr, sur un plan personnel, ne pas se retrouver dans la représentation donnée par cette émission. La réalité de la vie dans un quartier populaire est toujours bien plus complexe que la vision, forcément partielle, que peut en donner une caméra. Les médias assument naturellement une responsabilité éditoriale.

Il appartient aussi au CSA, selon la loi, de contribuer « aux actions en faveur de la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations dans le domaine de la communication audiovisuelle ».

Mon souci constant, depuis un an, a été de renforcer l'action de l'instance de régulation sur ce sujet, et elle est désormais mieux armée. La loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté a précisément renforcé sa mission sur ce point, en modifiant l'article 3-1. Désormais, la loi prévoit explicitement que le CSA « veille à ce que la diversité de la société française soit représentée dans les programmes des services de communication audiovisuelle et que cette représentation soit exempte de préjugés ».

Plus que jamais dans la période que nous traversons, il nous faut lutter contre les préjugés. Il est de notre responsabilité que le débat public y concoure en tout premier lieu. C'est ce que permet la récente modification législative.

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Yannick Vaugrenard et moi sommes très sensibles à toutes les stigmatisations et discriminations, en particulier à celles qui sont liées à la précarité sociale. De telles émissions sont, tout simplement, inadmissibles et indignes de la République. C'est pourquoi je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse et des initiatives que vous avez prises, qui, je l'espère, permettront d'éviter la diffusion de ce type d'émission.

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