Question de M. FROGIER Pierre (Nouvelle-Calédonie - Les Républicains) publiée le 02/08/2017

Question posée en séance publique le 01/08/2017

M. Pierre Frogier. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. Elle porte sur la préparation de la consultation de sortie de l'accord de Nouméa.

Monsieur le Premier ministre, dans votre déclaration de politique générale, vous avez affirmé que l'État veut jouer pleinement son rôle d'acteur et de garant du processus de l'accord de Nouméa. Vous en avez même fait un engagement personnel.

Je tiens à saluer ce volontarisme, qui succède à l'attentisme et aux atermoiements du quinquennat précédent.


M. Didier Guillaume. Ah !


M. Pierre Frogier. Encore faut-il passer de la parole aux actes.

Vous avez vous-même rappelé que, s'il n'est pas saisi, d'ici mai prochain, par l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, l'État devra organiser, en novembre 2018, la consultation pour l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie.

En clair, dans quinze mois, la Calédonie décidera de son accession ou non à l'indépendance.

Alors que l'issue de ce référendum est connue d'avance, le risque est grand que ce scrutin, de nature exagérément binaire, mal préparé, remette le feu aux poudres.

À ce titre, permettez-moi de citer Michel Rocard : « Personne ne peut avoir dans la tête que la question qui va être posée à ce référendum soit choisie de manière à diviser les Calédoniens en deux paquets égaux. Parce que là, on est sûr qu'ils recommenceront à se taper dessus. »

Monsieur le président du Sénat, vous avez vous-même affirmé à plusieurs reprises que l'État devait nous accompagner dans la recherche des convergences nécessaires à la définition de notre destin commun.

Sur le plan local, nous avons pris l'initiative d'organiser les États généraux de l'avenir, forme de « palabre à l'océanienne », pour échanger et rechercher avec la population et l'ensemble des forces politiques ce qui nous unit, ce qui nous rassemble, afin que cette consultation ne soit pas mortifère.

Monsieur le Premier ministre, êtes-vous prêt, lors de votre venue annoncée en Nouvelle-Calédonie, dont je vous rappelle la devise : « Terre de parole, terre de partage », à vous engager dans ce grand palabre pour l'avenir ? Et, puisque vous avez insisté sur la dimension personnelle de votre engagement, pourriez-vous nous dire comment vous comptez le traduire dans les faits ?

Monsieur le Premier ministre, la parole de l'État est attendue à Nouméa. La parole de la France est attendue dans le Pacifique ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe La République en marche. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

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Réponse du Premier ministre publiée le 02/08/2017

Réponse apportée en séance publique le 01/08/2017

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, vous m'interrogez sur l'engagement du Gouvernement et sur mon implication personnelle dans la construction de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, et je vous en remercie.

Je veux vous dire à nouveau combien je suis conscient des enjeux et des défis considérables qui nous attendent, collectivement, en Nouvelle-Calédonie.

Comme vous, je veux éviter que les tensions ne s'avivent à l'approche de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté.

J'ai indiqué, dans ma déclaration de politique générale, quelle était l'ambition du Gouvernement sur ce sujet, et vous savez que, dès ma nomination, j'ai entrepris de rencontrer toute une série d'acteurs politiques, parlementaires ou non, et d'acteurs culturels de Nouvelle-Calédonie, pour mieux saisir, pour mieux mesurer et, pour tout dire, pour mieux comprendre l'ampleur de ces défis et la complexité de ces enjeux.

Je l'ai fait, et je vais continuer à le faire, comme l'ensemble du Gouvernement d'ailleurs, dans un esprit d'écoute et en suivant une valeur à laquelle vous êtes particulièrement attaché, car c'est une valeur océanienne : l'humilité.

Tel est également l'esprit qui a guidé la visite en Nouvelle-Calédonie de Mme la ministre des outre-mer, que je tiens à saluer. Au cours de la semaine dernière, elle a effectué son premier déplacement dans les outre-mer, et elle a choisi de se rendre d'abord en Nouvelle-Calédonie. Elle y a rencontré un grand nombre d'acteurs. Elle aussi a cherché à mieux comprendre, mieux saisir et mieux mesurer l'ensemble des enjeux du processus, et au-delà.

L'humilité, que je crois indispensable pour aborder les questions qui sont devant nous, s'impose tout d'abord devant la force de l'engagement de celles et ceux qui ont œuvré, parfois au prix de leur vie, pour tracer un chemin de paix et marcher de concert vers ce destin commun qui est désormais un acquis.

Monsieur le sénateur, je le sais, vous avez contribué à tracer ce chemin, notamment en proposant que le drapeau du FLNKS soit érigé au côté du drapeau français.

Cette humilité, c'est aussi celle qui doit nous saisir devant la responsabilité collective, qui nous revient à tous, en tant qu'acteurs du processus de l'accord de Nouméa.

Au fond, nous devons organiser, dans la transparence, un scrutin dont la légitimité ne pourra pas être contestée. C'est une priorité pour le Gouvernement, c'est une priorité de mon action, et c'est une priorité difficile à atteindre techniquement, vous le savez.

Nous voulons aussi profiter des fruits de la réflexion, souvent remarquable, menée par les nombreux experts missionnés par les non moins nombreux gouvernements qui se sont intéressés à ce sujet. Il y a de la connaissance acquise, il y a de l'expérience acquise, et il serait absurde, voire contre-productif, de vouloir s'en passer.

Si j'apporte cette précision, c'est parce que, en la matière, l'ensemble du Gouvernement entend s'inscrire dans une histoire et dans une continuité : c'est aussi une forme d'humilité, et il me semble que cette attitude est indispensable.

Nous pouvons nous appuyer sur des acquis irréductibles, qui sont l'œuvre de l'amitié civile et de la réconciliation engagée par Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, que je tenais à citer ici.

Nous avons un grand nombre de points de convergence, qu'il s'agisse des valeurs aux sources de la société calédonienne comme de l'organisation institutionnelle ou du principe de la citoyenneté calédonienne.

Vous avez rappelé la devise de la Nouvelle-Calédonie : « Terre de parole, terre de partage. » Vous souhaitez, à juste titre, que l'État, plus encore que le Gouvernement, qui est à la fois acteur et arbitre du processus, ait lui aussi une parole. C'est le sens du déplacement de Mme la ministre des outre-mer, qui, à cette occasion, a insisté sur plusieurs enjeux : l'action en faveur de la jeunesse, la lutte contre l'insécurité, le soutien à la filière du nickel ou encore la préservation de la biodiversité.

Comme vous l'avez évoqué, j'aurai l'occasion de me rendre sur place au cours de la première quinzaine de décembre, après que les échéances électorales auront permis de renouveler les sénateurs de Nouvelle-Calédonie et après que nous aurons réuni, en octobre, un comité des signataires pour étudier, dans le détail, les conditions d'organisation de la consultation qui se tiendra au cours de l'année 2018.

Je profite de ce moment pour vous le dire, je compte bien que le comité des signataires, qui sera précédé par beaucoup d'entretiens, nous permettra d'échanger ces « bouts de parole » auxquels l'ensemble des acteurs de Nouvelle-Calédonie sont attachés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, se prononcer sur l'accession à la pleine souveraineté, ce n'est pas se prononcer pour ou contre le destin commun. Ce destin commun est acquis : il est l'un des acquis de toutes les discussions, de tout le partage qui a eu lieu depuis maintenant de nombreuses années, et il ne doit pas être remis en cause ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe La République en marche et du groupe Union Centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)

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