Question de M. MAUREY Hervé (Eure - UC) publiée le 23/11/2017

M. Hervé Maurey attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur sur la prise en charge des dégradations occasionnées par une manifestation. L'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure dispose que « L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ». Si la loi définit les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat, elle ne précise pas les notions d'attroupement et de rassemblement, laissant le soin au juge administratif de le faire. Or la jurisprudence a écarté la responsabilité de l'Etat dans un certain nombre de cas, notamment lorsque les agissements ayant causé le dommage ont été « prémédités » (CE n°248623, 26 mars 2004, « Sté BV Exportslachterij Apeldoorn ESA »).
De même, la jurisprudence a considéré que des actes commis par quelques individus identifiables à la marge d'une manifestation ne pouvaient engager la responsabilité de l'Etat. En conséquence, certaines communes qui subissent d'importants dommages à l'occasion de manifestations, qui ont le plus souvent pour objet des décisions prises à l'échelon national, doivent supporter les coûts pour la remise en état de leur domaine public. Ainsi, la ville de Saint-Lô a été déboutée par le tribunal administratif de Caen en septembre 2016 après avoir voulu engager la responsabilité de l'État pour les dommages subis à l'occasion de manifestations d'agriculteurs ayant eu lieu en 2015 qui contestaient des décisions gouvernementales. Aussi, il lui demande s'il compte prendre des mesures pour renforcer le cadre légal en faveur des communes ayant subi des dégradations commises dans le cadre d'une manifestation dont elle ne sont pas responsables.

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Transmise au Ministère de l'intérieur


Réponse du Ministère de l'intérieur publiée le 16/05/2019

Le régime de responsabilité à raison des dommages résultant d'attroupements et rassemblements est celui de la responsabilité sans faute de l'État, désormais codifié à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, tel que modifié par la loi n° 2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations qui dispose que : « L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. L'État peut également exercer une action récursoire contre les auteurs du fait dommageable, dans les conditions prévues au chapitre Ier du sous-titre II du titre III du livre III du code civil. Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée ». La mise en œuvre de ce régime spécial est toutefois très encadrée et subordonnée à la réunion de quatre conditions cumulatives : l'existence d'un attroupement ou d'un rassemblement, c'est-à-dire un groupe agissant de manière collective et spontanée, la commission d'un crime ou d'un délit au sens pénal ; l'usage de la violence ou de la force ouverte ; un préjudice direct et certain. Parmi ces conditions, la plus délicate est celle de l'origine des dommages, qui ne doivent pas résulter d'une action préméditée mais spontanée, dans le feu de l'action. Ainsi, dès lors que ces dommages sont le fait de casseurs agissant en marge de la manifestation, ou résultent d'actions délibérées et organisées des manifestants, ils ne peuvent entrer dans le champ de ce régime de responsabilité. De manière constante, dans la jurisprudence, un acte perpétré « dans le cadre d'une action concertée et avec le concours de plusieurs personnes », ne peut être considéré comme découlant d'un attroupement (Tribunal des conflits, 15 janvier 1990, Chamboulive et autres c/Commune de Vallecalle, n° 02607) et n'ouvre pas droit à application de ce régime, réservé à des agissements plus ou moins spontanés et inorganisés issus de mouvements de foule. Le Conseil d'État (CE) a toutefois récemment infléchi sa jurisprudence, en appliquant ce régime de responsabilité à des dégradations dont les auteurs, manifestants, avaient utilisé des engins incendiaires et des battes de base-ball et avaient formé des groupes mobiles, conférant ainsi à leur action un caractère organisé, « dès lors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que cet incendie avait été provoqué par des personnes qui étaient au nombre de celles qui s'étaient spontanément rassemblées, peu de temps auparavant, pour manifester leur émotion après le décès des deux adolescents (…) » (CE, 30 décembre 2016, Société Covea risks, n° 386536) ou à des dégradations sur la voie publique présentant un caractère organisé et prémédité mais dont il ne résulterait pas qu'elles ont été commises « par un groupe qui se serait constitué et organisé à seule fin de commettre des délits » (CE, 3 octobre 2018, Cne de Saint-Lô, n° 416352). Ainsi, le caractère prémédité et organisé des dégradations ne suffit donc plus à écarter à lui seul l'engagement de la responsabilité de l'État sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure. Dans le cas d'une manifestation qui s'accompagne de violences ou de dégradations, c'est le lien avec la manifestation qui est déterminant – ce lien n'étant rompu que lorsque leurs auteurs ne se sont organisés qu'à seule fin de commettre un délit. Compte tenu de cette évolution, étendre le régime de responsabilité sans faute à tous les dommages survenant lors d'un attroupement, y compris ceux ayant pour origine des groupes d'individus n'ayant aucune volonté de manifester mais ayant pour seul objectif de casser ou de piller en marge de manifestations, remettrait en cause les fondements mêmes de ce régime de responsabilité visant la prise en charge par l'État d'un risque social bien identifié, en contrepartie de l'exercice d'une liberté. L'absence de responsabilité de l'État n'interdit d'ailleurs pas les victimes des dégradations de poursuivre leurs auteurs devant les juridictions civiles ou pénales.

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