Question de M. BRISSON Max (Pyrénées-Atlantiques - Les Républicains) publiée le 25/01/2018

M. Max Brisson appelle l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur l'utilisation de l'Eusko, monnaie locale complémentaire en circulation au Pays basque (Pyrénées-Atlantiques), par la ville de Bayonne pour recevoir et effectuer des paiements.

La loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire favorise l'émergence et le dynamisme des monnaies locales, à travers les dispositions prises au titre de l'article 16. Véritable source de croissance et de développement pour l'économie locale, ses artisans, ses entreprises, ses producteurs, ses commerçants, l'Eusko, créé dès 2013, est la monnaie locale complémentaire dont le montant en circulation est le plus important en France.

S'appuyant sur la loi précitée, la ville de Bayonne a fait adopter une délibération lui permettant de recevoir et d'effectuer des paiements dans cette monnaie. Cette délibération a été déférée par l'État devant le tribunal administratif sur le fondement du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique et de l'arrêté ministériel du 24 décembre 2012 pris pour son application, qui ne mentionnent pas les monnaies locales comme moyen de paiement.

Le 15 janvier 2018, le tribunal administratif a jugé n'y avoir lieu à statuer.

Cependant, il est important pour les collectivités de disposer d'un avis clair sur le fond de la question.
Aussi, il souhaiterait connaître sa position sur la possibilité, pour les collectivités territoriales, d'utiliser les monnaies locales complémentaires.

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministre de l'économie et des finances publiée le 14/02/2018

Réponse apportée en séance publique le 13/02/2018

M. Max Brisson. Ma question porte sur les difficultés que rencontrent les collectivités territoriales pour utiliser les monnaies locales complémentaires, en particulier la ville de Bayonne, qui souhaite avoir recours à l'eusko.

Première monnaie locale créée en France, l'eusko est aujourd'hui véhiculé par 3 000 particuliers et 650 entreprises au Pays basque. L'eusko est ainsi la deuxième monnaie locale d'Europe.

La loi de 2014 relative à l'économie sociale et solidaire encourage le développement de ces monnaies locales complémentaires, car elles permettent d'ancrer dans les territoires les revenus générés par les acteurs économiques locaux.

Au Pays basque, qui compte 85 % de très petites entreprises, le recours à l'eusko est non pas un effet de style, mais bel et bien un levier de développement. Consciente des opportunités offertes par cette monnaie, la ville de Bayonne a souhaité s'inscrire dans cette démarche.

Or le représentant de l'État dans le département, estimant que la délibération prise par la ville pour recevoir et effectuer des paiements en eusko était contraire à la loi, l'a déférée devant le tribunal administratif, lequel a jugé en référé qu'il n'y avait pas lieu de statuer.

Pour le préfet, si le décret du 7 novembre 2012 prévoit que tout moyen de paiement mentionné dans le code monétaire et financier peut servir aux dépenses publiques, en revanche l'arrêté du 24 décembre 2012, pris en application du décret, ne cite pas les monnaies locales complémentaires.

Or, depuis, la loi du 31 juillet 2014 a donné une base légale à ces monnaies.

Vous comprenez donc qu'il y a là une contradiction : d'une part, il est énoncé que toutes les monnaies peuvent servir aux dépenses publiques ; d'autre part, on refuse l'application de cette disposition malgré l'apport de la loi de 2014, en arguant d'un arrêté de 2012.

Madame la secrétaire d'État, plus de 50 collectivités territoriales participent à cette action citoyenne et au moins une dizaine de projets sont actuellement à l'étude.

Lille, Nantes, Toulouse, Grenoble, Strasbourg, ou encore, prochainement, Paris, pour ne citer que les communes les plus importantes, souhaitent également utiliser des monnaies locales.

Madame la secrétaire d'État, je vous interroge sur la nécessité pour l'administration de mettre ses pratiques en cohérence avec la dernière loi en faisant prévaloir le décret du 7 novembre 2012 et l'article 16 de la loi Hamon de 2014 en complément de l'arrêté du 24 décembre 2012, ce qui permettrait de lever la contradiction qui justifie ma question.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur Max Brisson, vous mentionnez la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire. Ce texte a favorisé l'émergence des monnaies locales complémentaires en reconnaissant leur statut, tout en soumettant leurs émetteurs aux règles applicables aux établissements de crédit ou aux établissements de paiement et établissements de monnaie électronique. Ainsi, les émetteurs de monnaie locale sont supervisés.

Cette loi ne va cependant pas jusqu'à autoriser les collectivités territoriales à effectuer des paiements en titres de monnaie locale complémentaire.

Il convient de mon point de vue d'être prudent quant à une telle proposition, susceptible de remettre en cause l'égalité devant les services publics nationaux. Elle pourrait induire des complexités et des coûts significatifs pour les services publics, car elle nécessiterait la mise en place d'une double comptabilité et pourrait comporter des risques pour les investissements publics qui seraient réalisés dans des monnaies potentiellement volatiles.

Plus généralement, si ces monnaies peuvent être un moyen de renforcer les communautés locales, il convient de ne pas oublier qu'elles présentent aussi un certain nombre de risques de repli de l'activité sur le territoire, de perte de confiance dans la monnaie centralisée, de distorsion de concurrence et de perte de pouvoir d'achat pour les consommateurs.

En tout état de cause, il n'appartient pas au Gouvernement de se substituer au jugement qui pourrait être rendu par la juridiction administrative sur cette question.

M. le président. La parole est à M. Max Brisson.

M. Max Brisson. Madame la secrétaire d'État, je regrette que vous n'ayez pas profité de ma question pour apporter une clarification, nécessaire selon moi, à propos d'un mouvement qui va prendre de l'ampleur.

Vous laissez le soin à la justice de décider, et je crains que cela ne laisse la porte ouverte à des interprétations très différentes.

Nous avions là une belle occasion de montrer l'attachement du Gouvernement à la diversité des territoires et sa volonté de promouvoir une économie circulaire, solidaire et sociale, conformément à l'objectif qu'il avait lui-même affiché.

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