Question de M. DAUBRESSE Marc-Philippe (Nord - Les Républicains) publiée le 25/01/2018

M. Marc-Philippe Daubresse interroge M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur sur le retour en France des djihadistes de nationalité française et la nécessité d'une prise de position claire du Gouvernement concernant l'attitude à avoir vis-à-vis de ces hommes et femmes qui ont pris les armes contre la République. Il lui demande également s'il envisage la tenue d'un débat parlementaire sur ce sujet.

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Transmise au Ministère de la justice


Réponse du Ministère de la justice publiée le 14/02/2018

Réponse apportée en séance publique le 13/02/2018

M. Marc-Philippe Daubresse. Madame la garde des sceaux, je vous remercie d'être venue en personne répondre à cette question importante.

Au début de cette année, plusieurs questions ont été soulevées sur la vocation potentielle de la France à juger des djihadistes français arrêtés à l'étranger. Nous savons que 1 200 Français environ ont séjourné dans la zone irako-syrienne où l'État islamique dominait le terrain voilà peu. Nombre d'entre eux étaient des combattants souvent accompagnés par des femmes elles-mêmes engagées dans le djihad et par des enfants.

Les grands fiefs de l'État islamique tombant les uns après les autres, que vont devenir ces individus qui ont pris les armes contre la France et défié les valeurs de notre République et de notre civilisation ?

Si l'on réunit les informations données par le Gouvernement et vos propres déclarations, madame la garde des sceaux, on croit comprendre que la France admet que les djihadistes arrêtés soient jugés en Syrie ou en Irak, à condition qu'ils bénéficient d'un procès équitable. On croit comprendre également que la France pourrait s'opposer à une condamnation à mort, dans des pays ne disposant pas d'organes judiciaires constitués.

Cependant, quelle est votre capacité d'action réelle en la matière, par exemple pour les djihadistes français capturés par les Kurdes, qui n'ont pas d'État reconnu ni d'organe judiciaire ? Certes, le droit international prévoit que l'État de nationalité d'un individu puisse le juger à l'étranger, mais cette compétence est subsidiaire de la compétence territoriale de l'État où ils ont été arrêtés, laquelle prime.

S'impose une clarification de la position de la France, de sa fermeté face à la barbarie islamiste qui a frappé à plusieurs reprises sur notre territoire, de sa capacité à mettre en cause des jugements rendus à l'étranger, et de la doctrine claire à appliquer en la matière, qui, à ce jour, ne ressort pas des différentes déclarations.

Au sujet des Français déjà revenus sur notre sol, combien sont incarcérés et combien sont dans la nature ? Madame la garde des sceaux, vous savez que le Sénat a constitué plusieurs missions d'évaluation des dispositifs créés dans ce domaine. Comment et par quels dispositifs judiciaires, ou préventifs, comptez-vous protéger nos compatriotes, si des bombes à retardement sont en liberté dans notre pays ? Peut-on croire que ces femmes et ces hommes aient renoncé à leur dessein meurtrier ?

Ma question est simple, madame la garde des sceaux : pouvez-vous clarifier la position du Gouvernement sur ces deux sujets ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Marc-Philippe Daubresse, la question du traitement des djihadistes de nationalité française se présente sous deux aspects.

La première situation concerne les Français se trouvant encore dans les terrains de combat, c'est-à-dire qui seraient détenus à l'étranger au titre des actes qu'ils auraient pu commettre sous le drapeau de Daech. Pour ceux-là, il ne saurait être fait abstraction du contexte de guerre dans la région, guerre à laquelle ils ont librement et volontairement choisi de participer.

Dans leur situation, l'État français a posé une règle claire : leur situation doit être appréciée dans le respect de la légalité internationale et des relations avec les États dans lesquels ces personnes sont détenues.

Ainsi, les Français majeurs détenus en Irak relèvent d'abord des autorités de ce pays, à qui il revient de décider souverainement s'ils doivent faire l'objet de procédures judiciaires ou non sur place. Ces personnes peuvent bénéficier de la protection consulaire de droit commun. Cette protection implique l'exercice du droit de visite et la vérification qu'elles ne sont pas soumises à des traitements inhumains ou dégradants.

J'en viens aux Français majeurs détenus en Syrie. La France n'a pas de relations diplomatiques avec ce pays, qui est encore, en de nombreux endroits, zone de guerre. C'est pourquoi notre intervention s'exerce d'abord à travers les organismes internationaux compétents dans de tels cas, en particulier via le CICR.

Pour les Français interpellés en Turquie, vous le savez, le Gouvernement a négocié un protocole qui permet d'obtenir l'expulsion de ces personnes – majeures ou mineures – vers la France, où elles sont alors prises en compte par l'autorité judiciaire française dès leur descente d'avion.

S'agissant d'éventuelle condamnation à mort dans ces pays – la question s'est posée non pour des Français, mais pour des ressortissants européens –, la France, qui y est opposée, interviendrait afin de rappeler cette position aux autorités concernées, dans le cadre de l'exercice de la protection consulaire, comme elle le fait de manière systématique.

En toute hypothèse, je le redis, la France est attachée au respect des garanties offertes par le droit à un procès équitable. Elle apporte en tant que de besoin à ses ressortissants une protection consulaire lorsque cela est le cas.

Les mineurs français, en Irak ou en Syrie, ont droit à la protection de la République et peuvent être pris en charge selon les règles concernant la protection des mineurs et rapatriés, sous réserve que leur responsabilité pénale ait été écartée par les autorités locales.

La seconde situation concerne les djihadistes français qui reviennent sur le territoire national.

Depuis 2015, ces « revenants » sont systématiquement « judiciarisés ». Cette politique de judiciarisation systématique se traduit par la mise en œuvre, par le parquet de Paris à l'encontre des majeurs, d'un engagement immédiat de poursuites du chef d'« association de malfaiteurs terroriste », qui visent à réprimer le fait d'avoir rejoint ou tenté de rejoindre la zone irako-syrienne pour y mener le djihad armé au contact d'une organisation terroriste.

Tous ont vocation, dès lors que des éléments probatoires sont réunis, à faire ensuite l'objet d'une mise en examen et d'un placement sous une mesure de contrainte qui est adaptée à leur situation.

M. le président. Il faut conclure, madame la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je conclus. Aujourd'hui, monsieur le sénateur, pour répondre très précisément à votre question, 182 revenants majeurs ont été « judiciarisés », 142 sont en détention, les autres étant placés sous des mesures de contrôle judiciaire strict, ce qui fait que nous savons très précisément où ils sont et ce qu'ils font.

Les mineurs font, eux aussi, l'objet d'un traitement de judiciarisation.

M. le président. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de respecter le temps imparti lors de vos prochaines interventions.

La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse.

M. Marc-Philippe Daubresse. Monsieur le président, je vous remercie d'avoir laissé Mme la garde des sceaux terminer son propos. La question est importante, la réponse l'est tout autant, elle a permis de clarifier pleinement la doctrine du Gouvernement sur ce sujet. Je me réjouis donc de l'avoir posée et d'avoir reçu cette réponse.

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