Question de Mme LEPAGE Claudine (Français établis hors de France - SOCR) publiée le 22/03/2018

Mme Claudine Lepage attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur les délais exorbitants de délivrance des certificats de nationalité française. Au vu de ces délais qui ne cessent de s'allonger, elle lui demande si des mesures, tant d'urgence que pérennes, sont envisagées afin de garantir un réel service public de la justice.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 23/05/2018

Réponse apportée en séance publique le 22/05/2018

Mme Claudine Lepage. Madame la ministre, en tant qu'élue des Français établis hors de France, je suis très souvent sollicitée pour résoudre des difficultés rencontrées dans le cadre de démarches d'obtention d'un certificat de nationalité française.

Je dois souvent expliquer l'inexplicable aux demandeurs qui m'interrogent sur les délais de procédure. Le service de la nationalité des Français nés et établis hors de France, qui souffre d'un sous-effectif depuis trop longtemps, prévoit des délais moyens de traitement des dossiers d'environ trente-six mois.

En 2014 déjà, des mesures d'urgence avaient été mises en place, et des renforts temporaires accordés. Malgré cela, le retard accumulé n'a manifestement pas été absorbé, puisqu'il faut compter en moyenne trois ans de procédure, au lieu de deux ans.

Cette situation n'est pas acceptable : imaginez la détresse de la personne que l'on informe du temps moyen qu'il faut attendre pour faire reconnaître la nationalité française de son enfant et pouvoir le faire venir en France !

Face à une situation qui ne fait qu'empirer, les usagers du service de la nationalité sont de plus en plus nombreux à nous saisir, mes collègues et moi-même, pour nous faire part de leur inquiétude et même, parfois, de leur détresse.

Par ailleurs, il est prévu que ce service déménage pour s'installer dans les nouveaux locaux du tribunal de grande instance de Paris, ce qui sera positif à moyen terme pour les conditions de travail du personnel, mais risque à court terme de le perturber et, donc, d'allonger encore les délais de procédure.

Ma question est la suivante : des mesures d'urgence comme des mesures pérennes vont-elles être mises en place afin de garantir un réel service public de la justice ? Si oui, lesquelles et, surtout, quand ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Claudine Lepage, plus de 65 000 demandes de délivrance de certificats de nationalité sont enregistrées chaque année dans les tribunaux d'instance. Près d'un tiers des certificats sont délivrés à Paris.

Les délais de délivrance que vous avez relevés, et qui sont effectivement très longs, ont deux explications principales : d'une part, la complexité de l'analyse, qui doit être menée au cas par cas, et, d'autre part, le fait que différents acteurs sont appelés à authentifier le processus de délivrance. Je souhaite revenir sur ces deux éléments qui sont très importants.

Chaque situation est unique ; en effet, pour des questions de sécurité de l'état civil, les textes qui s'appliquent en matière de nationalité ne sont pas rétroactifs. Le texte applicable est donc celui qui était en vigueur lors de la minorité du demandeur.

En ce sens, et en fonction de la date de la demande, un droit très ancien peut trouver à s'appliquer, auquel cas il faut parfois remonter toute une chaîne d'ascendants pour trouver l'ascendant français transmettant sa nationalité et, donc, le droit qui s'applique.

En outre, pour les personnes originaires de territoires devenus indépendants, il faut vérifier les conditions de conservation et de perte de la nationalité française qui ont été fixées par les traités signés lors des indépendances, ce qui peut parfois prendre un certain temps.

Par ailleurs, au sens de l'article 30 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité repose sur celui qui s'en prévaut. Il appartient donc au demandeur de réunir et de déposer les pièces qui sont liées à sa demande. Chaque situation étant unique, je le répète, le requérant se voit par conséquent chargé d'établir une liste de pièces personnalisée. Dès lors que le requérant constitue son propre dossier, il peut omettre de transmettre un certain nombre d'éléments, si bien que le délai de délivrance ne dépend pas toujours des services chargés de la nationalité ou n'est pas toujours maîtrisé par eux.

Les actes d'état civil étrangers qui sont nécessaires au traitement de la demande doivent de surcroît être authentifiés. Ces opérations d'authentification, qui sont conduites sous l'égide du ministère des affaires étrangères – elles ne dépendent donc pas du ministère de la justice – et qui impliquent des vérifications sur place, peuvent également prendre du temps. Comme vous le savez, l'accès à ces actes est plus ou moins difficile selon leur lieu d'établissement, en raison de la géographie ou des conditions de sécurité en vigueur dans le pays.

J'ajoute que certaines erreurs relevées peuvent également faire l'objet de jugements de rectification des actes demandés. Cependant, les preuves doivent être délivrées par l'autorité étrangère compétente et être complétées par la transmission d'un nouvel acte qui porte la mention de la rectification dudit jugement, ce qui explique que les délais puissent être longs.

Le délai moyen de délivrance des certificats de nationalité française masque en fait une réalité très contrastée : certains peuvent être délivrés très rapidement, alors que d'autres, pour les raisons que je viens d'évoquer, le sont dans de très longs délais.

Outre la complexité des demandes et leur nombre, le délai de délivrance résulte également de difficultés qui peuvent être liées à un certain manque d'effectifs dans les juridictions. Cette situation va s'améliorer au cours de l'année 2018 grâce à la diminution significative des vacances d'emplois qui résultera de l'arrivée de plus de mille directeurs des services de greffe judiciaires et greffiers, en cours de scolarité, arrivée qui profitera à l'ensemble des juridictions.

Enfin, vous l'avez vous-même rappelé, la création du tribunal d'instance de Paris et la fusion des tribunaux d'instance d'arrondissement, au mois de juin 2018, ainsi que la mise en place d'un pôle de la nationalité aux effectifs adaptés au traitement de ces demandes, contribueront à l'amélioration de la situation en matière de demandes de certificats de nationalité.

M. le président. Je vous remercie, madame la garde des sceaux, tout en vous rappelant que le temps qui vous est imparti est de deux minutes et trente secondes.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Toutes mes excuses, monsieur le président !

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Madame la ministre, je vous remercie de ces précisions.

Pour avoir visité le service de la nationalité, rue du Château-des-Rentiers, à Paris, et pour avoir parlé à son directeur, je suis bien consciente de la complexité des procédures.

Vous l'avez mentionné, le sous-effectif et le turn-over très importants dans ce service sont l'une des principales causes du problème. En effet, les greffiers en place n'y restent pas très longtemps, compte tenu de la charge de travail. Il faut à chaque fois former de nouveaux greffiers, ce qui ralentit encore le processus.

Cela étant, madame la ministre, vous nous apportez comme une lueur d'espoir. Si j'ai bien compris vos propos, à partir de l'année prochaine, on pourrait noter une amélioration grâce à l'arrivée d'un nombre important de greffiers, actuellement en formation.

Néanmoins, je le répète, les procédures suivies par le service de la nationalité sont quelque peu différentes, si bien que les greffiers qui y travaillent doivent bénéficier d'une formation supplémentaire. Ils ont en outre tendance à ne jamais rester très longtemps en poste à cause de la charge de travail inhérente à leur mission.

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