Question de Mme HARRIBEY Laurence (Gironde - SOCR) publiée le 12/04/2018

Mme Laurence Harribey appelle l'attention de Mme la ministre de la culture sur la situation des spectacles historiques.

Les modalités d'application de l'article 32 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine ont été fixées par un décret n° 2017-1049 du 10 mai 2017 relatif à la participation d'amateurs à des représentations d'une œuvre de l'esprit dans un cadre lucratif, lui-même précisé par un arrêté du 28 janvier 2018.

D'une part, le décret, dans son article 2, vient limiter le nombre de participations à cinq spectacles par an pour les amateurs qui participent à titre individuel, à huit spectacles par an pour les groupements d'artistes amateurs constitués ; un amateur à titre individuel ne peut participer à plus de dix représentations par an. Cependant, le ministre en charge de la culture peut accorder une dérogation après avis du conseil national des spectacles si le spectacle comporte « un intérêt artistique et culturel particulier ».

D'autre part, l'article 4 du décret dispose que les spectacles font l'objet d'une télé-déclaration auprès du ministère deux mois avant la première représentation, l'article 4 de l'arrêté du 25 janvier 2018 précise que cette télé-déclaration comporte, entre autres, les nombres et noms de tous les artiste amateurs participants ainsi que des représentations auxquelles ils prennent part.

En pratique, même s'il est nécessaire de protéger le statut des amateurs participant à un spectacle lucratif, cet ensemble de contraintes fait peser un risque d'abandon de toutes les manifestations de type reconstitution historique ou mise en valeur de sites particuliers portées essentiellement par une dynamique associative et qui jouent un rôle essentiel en termes d'appropriation du patrimoine ou de l'histoire locale par les habitants.

En Gironde, il convient de citer l'exemple du spectacle de « la bataille de Castillon » organisé par l'association Castillon 1453. Pour se dérouler, le spectacle a besoin de 450 bénévoles pour chacune de ses quinze représentations, ceux-ci n'étant pas toujours les mêmes à chacune d'entre elles. Retraçant la bataille de Castillon, et ayant réuni plus de 800 000 visiteurs depuis sa création en 1977, le spectacle est menacé par ces nouvelles mesures. Il n'est malheureusement qu'un exemple parmi d'autres.

Elle lui demande donc quelle est la définition de « l'intérêt artistique et culturel particulier » qui justifie les dérogations, et s'il serait possible de revoir le délai de la télé-déclaration à la baisse, ou de concevoir une procédure moins figée dans le temps afin d'éviter un découragement des entrepreneurs de spectacles vivants.

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Réponse du Secrétariat d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics publiée le 23/05/2018

Réponse apportée en séance publique le 22/05/2018

Mme Laurence Harribey. Monsieur le secrétaire d'État, ma question porte sur les modalités d'application de l'article 32 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine.

Ces modalités ont été fixées par le décret du 10 mai 2017 relatif à la participation d'amateurs à des représentations d'une œuvre de l'esprit dans un cadre lucratif, lui-même précisé par un arrêté du 25 janvier 2018.

Premièrement, l'article 2 du décret susvisé limite le nombre de participations à cinq spectacles par an pour les amateurs participant à titre individuel, et à huit spectacles par an pour les groupements d'artistes amateurs constitués. De plus, un amateur ne peut participer, à titre individuel, à plus de dix représentations par an. Le ministre chargé de la culture peut toutefois accorder une dérogation à ces plafonds, après avis du Conseil national des professions du spectacle, si le spectacle comporte un intérêt artistique et culturel particulier.

Deuxièmement, aux termes de l'article 4 du décret, deux mois avant la première représentation, les spectacles doivent faire l'objet d'une télédéclaration auprès du ministère de la culture précisant les noms de tous les amateurs et les jours de représentation.

En pratique, même s'il est nécessaire de protéger le statut des amateurs participant à un spectacle lucratif, il est clair que cette réglementation peut aboutir à l'abandon de toutes les manifestations proposant une reconstitution historique ou une mise en valeur du patrimoine.

À titre d'exemple, en Gironde, le spectacle La Bataille de Castillon nécessite 450 bénévoles pour chacune de ses quinze représentations. Une solution semble avoir été trouvée pour cette année. Cela étant, ma question porte plus largement sur la définition de l'« intérêt artistique et culturel particulier » qui justifie les dérogations.

Par ailleurs, est-il possible de revoir à la baisse le délai de la télédéclaration, ou de concevoir une procédure moins figée dans le temps, afin d'éviter le découragement des entrepreneurs de spectacles vivants ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics. Madame la sénatrice Harribey, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture, qui m'a chargé de vous répondre.

Jusqu'à la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, la pratique artistique amateur n'était pas encadrée juridiquement. Ainsi, la participation d'amateurs à des spectacles courait le risque d'être assimilée à du travail dissimulé du seul fait qu'elle avait impliqué le recours à une billetterie payante, justifié l'utilisation d'équipements professionnels ou été précédée d'actions de publicité.

Il était donc nécessaire de doter cette pratique d'un cadre juridique protecteur et incitatif à son développement, ce qu'a fait la loi de 2016.

Cette dernière a tout d'abord créé une dérogation à la présomption de salariat afin de sécuriser le recours à des amateurs non rémunérés lorsqu'ils interviennent dans un spectacle lucratif s'inscrivant dans le cadre d'actions d'accompagnement de la pratique artistique amateur ou d'actions pédagogiques culturelles.

Le décret du 10 mai 2017 a ensuite précisé le périmètre du recours aux amateurs dans un cadre lucratif, prévoyant en particulier les plafonds de représentations que vous avez rappelés.

Enfin, l'arrêté du 25 janvier 2018 a finalisé le dispositif en déterminant le contenu de la convention passée avec une collectivité par les structures mobilisant des amateurs dans un spectacle professionnel et les modalités de la télédéclaration des spectacles.

Ces dispositions réglementaires encadrent donc la possibilité donnée par la loi à une entreprise de spectacle de faire appel à des amateurs sans avoir à les rémunérer ; elles ne s'appliquent que lorsqu'il s'agit de spectacles lucratifs. En revanche, la pratique amateur exercée dans un cadre non lucratif ne fait l'objet d'aucune limitation, en particulier quant au nombre de représentations.

La loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine protège ainsi la pratique amateur individuelle ou en groupement constitué intervenant dans un cadre non lucratif en lui ouvrant l'accès à la publicité, à la billetterie et aux moyens techniques professionnels.

Les spectacles nocturnes de la Cinéscénie du Puy du Fou, ainsi que la reconstitution de la bataille de Castillon, que vous avez évoquée, font intervenir exclusivement des amateurs comme figurants. Comme il s'agit de reconstitutions historiques organisées par des associations à but non lucratif, elles sont sécurisées par la loi et ne sont en rien plafonnées. Aucune menace ne pèse donc de ce point de vue sur ces spectacles.

Quant à vos propositions concernant, notamment, les délais de télédéclaration et l'ajustement de certaines procédures, Mme la ministre de la culture se tient à votre disposition pour continuer à débattre des améliorations possibles.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey.

Mme Laurence Harribey. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, pour ces éléments de réponse, même si la première partie de votre réponse ne faisait que répéter les faits que j'avais rappelés dans ma question.

Comme vous l'avez indiqué, le problème essentiel est lié à la notion de « spectacle lucratif ». Une solution a été trouvée cette année pour La Bataille de Castillon, le spectacle n'étant pas considéré comme ayant un but lucratif. C'est une bonne chose, mais il convient de préciser la distinction entre activités lucratives et non lucratives. En effet, il est évident que nombre de spectacles de reconstitution historique ou de valorisation du patrimoine ne peuvent se réaliser sans un système ouvert à l'économie, aux entrées payantes et aux partenariats financiers. Il faut donc préciser la notion de « spectacle lucratif », qui va de pair avec la présomption de salariat, d'autant que cette dernière peut mettre en danger d'autres volets de l'action culturelle, en particulier les chantiers de bénévoles pour le patrimoine.

Considérant que vous recevez mes propositions de manière positive, monsieur le secrétaire d'État, je reprendrai contact avec le ministère de la culture pour essayer d'aller plus loin dans cette discussion. Cela m'importe d'autant plus que je reste d'accord, sur le fond, avec la démarche de la loi de 2016 : il était nécessaire de réglementer le recours aux bénévoles dans ce secteur.

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