Question de M. GUÉRINI Jean-Noël (Bouches-du-Rhône - RDSE) publiée le 12/07/2018

M. Jean-Noël Guérini appelle l'attention de M. le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, sur le risque d'extinction des forêts primaires.
Une forêt primaire est un écosystème demeuré indemne de toute activité humaine et abritant une grande diversité écologique. Or ces forêts vierges disparaissent aujourd'hui de plus en plus vite, selon une étude réalisée par l'université du Maryland fondée sur des résultats d'analyses d'images satellites comparées à des études similaires conduites en 2008 et 2013. Ces données montrent que, depuis 2000, près de 10 % des forêts vierges de la planète ont été morcelées, dégradées voire coupées. Entre 2014 et 2016, ces forêts primaires ont perdu chaque année une surface de 90 000 km2, soit la superficie d'un pays comme l'Autriche.
L'Université de Humboldt à Berlin a, quant à elle, dressé l'inventaire des dernières forêts primaires en Europe, infime fraction de la superficie forestière, représentant 1,4 million d'hectares répartis sur 34 pays (publié dans Diversity & Distributions le 24 mai 2018). Pourtant ces forêts exceptionnelles ne sont pas forcément protégées, y compris en France où, sur les 7 500 hectares recensés, 1 250 hectares seulement le sont officiellement.
C'est pourquoi il lui demande ce qui peut être envisagé afin d'améliorer la préservation de ce patrimoine naturel irremplaçable.

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Transmise au Ministère de la transition écologique et solidaire


Réponse du Ministère de la transition écologique et solidaire publiée le 17/01/2019

La menace pesant sur les forêts primaires à l'échelle planétaire est bien réelle, en particulier en région inter-tropicale où environ 50 % des forêts primaires ont disparu depuis le milieu du 20ème siècle. Une forêt primaire est un espace boisé continu de grande taille établi depuis la fin de la dernière glaciation par colonisation spontanée des espèces d'arbres et n'ayant subi aucune exploitation de bois, pâturage ou chasse (d'après Cateau et al. 2014). Il n'existe donc plus de forêt primaire en France métropolitaine puisque, même si des forêts dites « sub-naturelles » existent encore, les communautés de grands herbivores (bison d'Europe, cheval sauvage, élan, etc.) et les grands prédateurs associés ont disparu entre le 1er siècle de notre ère et la fin du Moyen-Âge. Ces communautés animales font partie intégrante de l'écosystème forestier primaire. La situation en Europe est similaire. Par exemple, la forêt du parc national de Muddus en Suède ne répond que partiellement à la définition d'une forêt primaire puisque cet écosystème a été utilisé depuis 8 000 ans par les Samis à des fins de piégeage ainsi que pour l'élevage extensif du renne domestiqué, même si par ailleurs la grande faune y est encore présente (élan, glouton, ours, etc.). C'est donc une forêt sub-naturelle, tout comme la forêt de Bialowiesa en Pologne ou de Slatioara en Roumanie pourtant considérées à tort comme des forêts primaires. Il existe en France métropolitaine au moins 7 500 ha de forêts sub-naturelles identifiées par une étude de Réserves Naturelles de France. Toutes impactées par l'Homme à un moment de leur histoire, elles sont néanmoins exemptes de toute exploitation de bois depuis au moins 50 ans. Ces forêts abritent des peuplements mâtures, présentant de vieux arbres et du bois mort en quantité importante, dont le maintien assure la survie de 25 % de la biodiversité forestière (insectes, oiseaux, mammifères, champignons, lichens, etc. (Stokland et al. 2012). L'intégralité de ces 7 500 ha est classée en réserve naturelle mais seuls 1 200 ha bénéficient d'une protection stricte. L'État doit donc veiller à apporter de la cohérence entre les politiques publiques de prélèvement de biomasse et de préservation de la biodiversité forestière dans des réserves naturelles nationales ou sur des sites classés Natura 2000. En Outre-mer, la Guyane dispose de la plus vaste forêt primaire de France, mais aussi d'Europe, couvrant environ 95 % du territoire guyanais, soit près de 80 000 km2. La création du Parc Amazonien en 2007 dont le cœur protégé représente plus de 20 000 km2, et avant lui des Réserves nationales des Nouragues (100 000 ha) et de La Trinité (76 000 ha) ont permis de donner un statut de protection forte à plus du quart de la forêt guyanaise. Des parcs nationaux et réserves nationales existent également à La Réunion et en Guadeloupe ce qui confère aux Outre-mer un réseau d'espaces protégés exceptionnel où l'exploitation forestière est soit interdite, soit fortement réglementée. Par ailleurs, les réserves biologiques intégrales (RBI) des forêts gérées par l'Office national des forêts représentent 22 490 ha et bénéficient d'une protection stricte qui permettra à terme de retrouver des écosystèmes forestiers subnaturels par « libre évolution ». En intégrant l'Outre-mer, le réseau des réserves biologiques intégrales et dirigées représente 170 000 ha. Dans le cadre du plan biodiversité, l'État s'est également engagé à créer le nouveau Parc national des forêts en Champagne et en Bourgogne en 2019, dont plus de 3 000 ha seront classés en réserve intégrale. Dans ces écosystèmes forestiers préservés sur le long terme, la reconstitution des guildes de grands herbivores avec un contrôle cynégétique et/ou par des grands carnivores permettrait d'affirmer ce caractère subnaturel pour tendre autant que faire se peut vers une très grande naturalité proche du stade « forêt primaire ». Pour conclure, s'il n'existe plus de forêts primaires en France, hormis en Outre-mer où ces forêts sont déjà largement protégées, l'effort de préservation piloté par l'État à travers le réseau des réserves biologiques, des réserves naturelles et des parcs nationaux doit permettre de mieux protéger les forêts sub-naturelles existantes et garantir que de nouvelles surfaces de forêts sub-naturelles seront gagnées dans l'avenir. Pour ce faire, le Plan Biodiversité a confirmé la création d'un 11e parc national dédié aux forêts de plaines en Champagne-Bourgogne au sein duquel la réserve intégrale précitée permettra de constituer une vaste zone forestière en libre évolution devenant ainsi la plus grande réserve forestière de France métropolitaine. Nous devrons cependant poursuivre l'effort d'inventaire des forêts subnaturelles, notamment en dehors du domaine public et être vigilants quant à la protection effective des peuplements forestiers dans les sites protégés.

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