Question de M. KANNER Patrick (Nord - SOCR) publiée le 19/12/2018

Question posée en séance publique le 18/12/2018

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, je reviens vers vous ici, une dernière fois cette année, pour évoquer le sujet de l'impôt de solidarité sur la fortune, l'ISF. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous avez supprimé l'an dernier cet impôt en arguant de raisons économiques, en évoquant une théorie hypothétique, et désormais invérifiée, du « ruissellement », en avançant que cet impôt serait la cause de la fuite des grandes fortunes. Tous ces arguments, vous les avez redonnés régulièrement depuis un an ici même devant la Haute Assemblée.

Seulement, le ruissellement n'a pas eu lieu, et aucun indicateur ne va dans ce sens, puisque la croissance de 2017 a été portée par l'activité et la consommation et que le ralentissement de 2018 va de pair avec une baisse du pouvoir d'achat.

De même, concernant la fuite des capitaux, vous n'avez toujours pas réussi à nous fournir la moindre étude démontrant un retour massif de grandes fortunes depuis la fin de l'ISF. Nous avons même pu observer, rappelez-vous, à la fin du quinquennat précédent, que les capitaux revenaient, alors que l'ISF existait.

L'ISF avait, en revanche, une vertu : au-delà des 5 milliards d'euros qu'il rapportait, il était un élément de justice fiscale pour les Français. Et la justice fiscale est le moteur du consentement à l'impôt.

En supprimant l'ISF, vous avez dangereusement remis en cause ce consentement à l'impôt dans notre pays. Alors, monsieur le Premier ministre, je vous le demande une dernière fois ce soir, allez-vous rétablir l'impôt de solidarité sur la fortune ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Joël Labbé applaudit également.)


Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. Non !

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Réponse du Premier ministre publiée le 19/12/2018

Réponse apportée en séance publique le 18/12/2018

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Kanner, il y a quelques minutes, à l'Assemblée nationale, Mme Valérie Rabault, la présidente du groupe socialiste, me posait la même question. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Mesdames, messieurs les sénateurs, nous pouvons tous nous réjouir de constater qu'il y a une très forte coopération entre les deux groupes, et c'est très bien ainsi. (Sourires.)

En posant la question, Mme Valérie Rabault a indiqué qu'elle souhaitait faire usage des dispositions prévues à l'article 11 de la Constitution relatif au référendum d'initiative partagée, et elle a annoncé en séance publique la volonté qui était la sienne de s'engager – et d'engager notre pays – dans cette procédure.

Je peux vous apporter les mêmes éléments de réponse.

La question de l'impôt de solidarité sur la fortune a été débattue : elle l'a été au moment de la campagne présidentielle, et, peut-être plus encore, lors de la campagne des législatives. Le Président de la République, avant le premier tour, et les candidats qui portaient les couleurs de la majorité présidentielle au premier et au second tour des législatives ont indiqué qu'ils souhaitaient transformer le système fiscal, notamment l'ISF, qui deviendrait un impôt sur la fortune immobilière.

La motivation de cette transformation tenait au fait que les inconvénients de l'ISF nous paraissaient largement supérieurs à ses avantages. Vous avez évoqué le symbole, vous n'avez pas abordé la recette : il nous semblait, et il me semble encore, monsieur le président Kanner, que les inconvénients qui s'attachaient à l'ISF étaient bien supérieurs aux avantages que vous décrivez.

J'observe d'ailleurs que ce type d'instrument, y compris dans des pays qui ont au moins autant que la France la passion de l'égalité et la préoccupation du sérieux fiscal, ont été démantelés et que la France, par son ISF, restait une forme de spécificité. Certes, on pouvait s'en glorifier – après tout, on n'est pas obligé de faire comme tout le monde ! –, mais on peut aussi constater que d'autres pays que la France avaient noté les inconvénients s'attachant à ce type d'instrument.

Nous avons pris la décision de transformer l'ISF en IFI, impôt sur la fortune immobilière, et nous l'assumons. Nous avions souligné, au moment du débat parlementaire, que nous étions évidemment disposés à ce qu'un comité d'évaluation indépendant puisse examiner les effets de cette suppression ou, plus exactement, les effets de cette transformation. Cette commission sera créée – elle doit l'être rapidement – afin que nous puissions procéder à cette évaluation. Mais je dois dire, monsieur le président Kanner, que je n'ai pas peur de cette évaluation.

Je sais le départ de grandes fortunes et de masses taxables intervenu avec l'instauration et le maintien de l'ISF. Je sais aussi que notre pays a vu son attractivité, en termes d'investissements, s'accroître avec la suppression de l'ISF. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Luc Fichet. Un exemple !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Si l'ISF, monsieur le président Kanner, était paré de toutes les vertus que vous décrivez, permettez-moi de dire que cela se serait vu ! On l'aurait constaté. Or on voit bien les inconvénients qui s'attachaient à cet impôt. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

J'en ai parfaitement conscience, porter cette mesure de suppression peut-être difficile, voire impopulaire – c'est vrai.

M. Martial Bourquin. C'est insupportable !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. C'est un fait. Néanmoins, j'observe qu'elle était portée par un certain nombre de candidats à l'élection présidentielle. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Elle a été validée au moment de l'élection présidentielle, puis lors des élections législatives. Mon objectif est de faire en sorte de tenir les engagements qui ont été pris.

Donc, pour une dernière fois cette année, monsieur le président, tout en vous souhaitant un excellent travail dans le cadre d'une session qui n'est pas achevée – l'heure de la suspension des travaux n'est pas encore venue - permettez-moi de vous répondre tout à la fois : non, bon travail et, peut-être, joyeuses fêtes ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cadic applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, j'ai bien compris que je ne vous avais pas convaincu - mais vous ne m'avez pas convaincu non plus !

D'ailleurs, depuis le mois de juin 2017, il y a eu un petit changement… de couleur jaune fluo. Il faut écouter cette colère qui s'exprime aujourd'hui partout en France. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Monsieur le Premier ministre, puisque nous ne sommes pas d'accord avec votre majorité et ceux qui vous soutiennent sur ce point particulier de l'ISF, nous avons décidé, avec Mme Valérie Rabault, de déposer une proposition de loi référendaire d'initiative partagée, et nous demandons simplement, par référendum, au peuple français…

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Patrick Kanner. … de trancher. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.- M. Pierre Laurent applaudit également.)

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