Question de Mme LOISIER Anne-Catherine (Côte-d'Or - UC-R) publiée le 27/12/2018

Mme Anne-Catherine Loisier attire l'attention de M. le Premier ministre sur le rôle qui pourrait être donné à la Banque centrale européenne (BCE) afin de régler la crise de la dette des États.

Le traité de Maastricht donne une définition des missions de la Banque centrale européenne.

De nombreux économistes ont souligné que pour mettre un coup d'arrêt à la crise de la dette, la BCE annonce un taux d'intérêt plafond sur les dettes publiques et son intention de racheter sans limitation les titres de dette si ce taux est dépassé sur le marché. Or l'actuel dirigeant de cette institution comme son prédécesseur se sont refusés jusqu'ici à une telle politique en invoquant la lettre des traités et le statut de la BCE.

La fin annoncée, en décembre 2018, du programme d'achat d'obligations de la BCE qui a permis, semble-t-il, d'injecter près de 2 600 milliards d'euros sur les marchés pour lutter contre la déflation et doper la reprise, remet sur la table la question du rôle de la BCE dans le règlement de la crise de la dette.

Elle lui demande donc si la BCE ne pourrait pas devenir, comme la « Fed » américaine, un outil économique plus puissant au service des États européens en leur permettant d'être moins contraints par la dette détenue par les banques.

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Transmise au Ministère de l'économie et des finances


Réponse du Ministère de l'économie et des finances publiée le 18/04/2019

Dans le cadre de la crise des dettes souveraines et plus généralement dans le cadre de crises économiques affectant la zone euro, les deux piliers principaux de stabilisation macroéconomique sont la politique monétaire, menée par le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) en toute indépendance, et la politique budgétaire, sous la responsabilité des Gouvernements et Parlements nationaux et dans le respect de nos règles communes. À ce titre, et en rappelant que la BCE ne peut influer sur le pouvoir budgétaire, la BCE a joué un rôle essentiel dans le cadre de la crise de la dette en pratiquant une politique très accommodante relativement similaire à celle de la Réserve fédérale des États-Unis (FED). En outre, si les taux auxquels empruntent les États sont fixés par les marchés financiers et doivent le rester, il existe cependant aujourd'hui des instruments financiers européens qui permettent de lutter contre des tensions anormales que les marchés financiers feraient peser sur des États de la zone euro tant qu'ils respectent un certain nombre de critères. Plus précisément, le rôle de la BCE ainsi que celui des principales institutions européennes est fixé par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Selon ce traité, la BCE est une institution indépendante des Gouvernements dont le rôle est de mettre en œuvre la politique monétaire de la zone euro, qui a été traduite à l'article 119 du TFUE par un objectif premier de stabilité des prix et, sans préjudice de cet objectif, par un objectif de soutien des politiques économiques. La BCE effectue ceci en coopération étroite avec les banques centrales nationales de la zone euro, dont chaque Gouverneur siège par ailleurs au Conseil des gouverneurs, organe décisionnaire de la BCE en terme de politique monétaire. Concernant la comparaison entre la FED et la BCE, ces deux banques centrales ont mené des politiques relativement similaires, notamment concernant leurs programmes d'achats de titres publics où ni la FED ni la BCE n'en ont acheté sur le marché primaire (i.e. directement au moment de l'émission de la dette par les États). Les deux banques centrales ont en effet racheté des titres de dette publique qui étaient détenus par des banques ou autres établissements financiers sur le marché secondaire, qui n'est pas celui qui fixe directement le taux d'intérêt auquel les États prêtent. Les achats directs de dette publique sur le marché primaire ne sont plus pratiqués (voire interdits dans le cas de l'UE) en raison des conséquences possiblement néfastes que cela pourrait avoir sur la stabilité des prix. Ces dispositions sont bien connues puisqu'elles ont été mises en œuvre en France à partir de 1944 et ont été progressivement démantelées entre 1967 et 1993. Au cours de cette période, les gouvernements successifs ont fait le choix de privilégier la stabilité monétaire à la répression financière et au financement monétaire de la dette publique - ces mesures entraînant une forte instabilité des prix. C'est pour ces raisons de fond que le Gouvernement ne souhaite pas revenir sur cette interdiction, qui nécessiterait de plus une modification des traités fondamentaux de l'UE. La possibilité de fixer un taux d'intérêt plafond aux emprunts publics avec rachat par la BCE des titres dont le taux est supérieur au plafond ne serait pas non plus souhaitable. En effet, les taux auxquels s'endettent les États aujourd'hui sont fixés sur le marché primaire par les mécanismes d'offre et de demande et la BCE ne peut intervenir dans ce processus, puisque cela constituerait un financement monétaire flagrant des États. Pour rappel cependant, le Mécanisme européen de stabilité (MES), mis en place depuis la crise, possède plusieurs instruments, adaptés aux situations économiques diverses de ses États membres. Ils permettent de calmer les turbulences sur les marchés financiers qui peuvent conduire à un écartement des taux d'emprunt d'un État trop important par rapport à ses fondamentaux économiques et à des difficultés importantes de financement. C'est l'objet de ses instruments de précaution destinés aux États disposant de fondamentaux économiques sains. Il convient de noter qu'à la suite du sommet zone euro de décembre 2018, les États de la zone euro se sont accordés pour une réforme de ces instruments de précaution pour qu'ils soient plus efficaces. En tout état de cause, en situation de crise plus sévère, l'octroi d'un programme d'ajustement par le MES, et les conditionnalités associées, permet à terme un retour durable et dans de bonnes conditions de l'État concerné sur les marchés financiers. Un deuxième outil pour lutter contre de telles turbulences sur les marchés financiers existe, il s'agit des opérations monétaires sur titres qui peuvent être menées par la BCE sous certaines conditions et tant qu'elle l'estime nécessaire (« Outright Monetary Transactions » en anglais, OMT). Cet outil permet à l'Eurosystème d'acheter de manière illimitée certains titres de dette d'un seul État. Sans être jamais activé et juste en l'annonçant, ce programme a ainsi permis en 2012 d'apaiser significativement et très rapidement les tensions que les marchés financiers faisaient peser sur les pays de la zone euro. Les conditions principales pour que la BCE active cet outil, via le Conseil des gouverneurs, sont que ces turbulences financières doivent empêcher la bonne transmission de la politique monétaire dans un pays de la zone euro et que le pays suive un programme du MES. Enfin, plus généralement, l'amélioration des outils de prévention et de gestion de crise a aussi concerné le secteur bancaire, dont le sauvetage pendant la crise a fortement pesé sur les finances publiques des pays exposés. Ainsi, un nouveau cadre de résolution des établissements bancaires a été créé au niveau européen : il oblige les banques à constituer des montants de coussins de sécurité pour éviter un renflouement des banques par les contribuables. Au cas où ces coussins s'avèreraient insuffisants pour une banque en crise, le cadre européen prévoit de faire payer le sauvetage de cette banque par le reste du secteur bancaire lui-même. À cette fin a été créé le Fonds de résolution unique (FRU), abondé par les banques européennes à hauteur d'environ 60 Md€ en 2024 et que le Conseil de résolution unique (CRU) peut utiliser pour financer la résolution de banques. Ce Fonds aura par ailleurs, au plus tard en 2024, une capacité d'emprunt de taille équivalente auprès du MES, grâce à l'accord trouvé en décembre dernier avec nos partenaires lors du sommet zone euro.

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