Question de M. LAURENT Pierre (Paris - CRCE) publiée le 28/03/2019

M. Pierre Laurent attire l'attention de M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur la nécessité d'améliorer la capacité des États à récolter davantage de recettes fiscales.
Les recettes fiscales sont primordiales pour le développement durable car elles donnent aux États les ressources nécessaires à l'investissement dans le développement, la réduction de la pauvreté et la fourniture de services publics, ainsi que dans le renforcement de leurs capacités, de leur redevabilité et de leur aptitude à répondre aux attentes des citoyens. Si les recettes fiscales représentent en moyenne 34 % du produit intérieur brut dans les pays de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), elles sont en revanche deux fois moins importantes dans les pays en développement. En plus de la question de la quantité des recettes fiscales récoltées se pose celle de la nature de la ponction fiscale qui pour être efficace gagne à être guidée par des critères de justice sociale n'aggravant pas, pour le moins, la situation des populations pauvres et laborieuses tout en mettant à contribution de manière efficiente les profits du capital local et étranger. Se pose enfin la question de la redistribution des recettes – déterminante pour garantir l'équité et promouvoir une croissance inclusive. L'organisation économique internationale en vigueur, qui se traduit par les actuels traités de libre échange, est un obstacle à une telle mise en œuvre et alimente une course au moins-disant fiscal particulièrement avancée dans les pays en développement à travers des législations qui distribuent à tout va des cadeaux fiscaux aux multinationales notamment. À titre d'exemple il est à noter que cela a fortement contribué au fait notamment que 854 milliards de dollars ont été détournés des seuls pays africains de manière licite et illicite de 1970 à 2010 selon les estimations du fonds monétaire international (FMI). Les estimations de l'organisme Global Financial Integrity de 2013 sont de 1 800 milliards de dollars au moins en la matière.
Or, la conférence des nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) rappelle que, pour se développer, les pays ont besoin d'accroître les dépenses publiques consacrées aux infrastructures, aux services de base et aux transferts sociaux. À ce sujet la CNUCED constate que les avantages fiscaux accordés à des sociétés d'extraction représentent un manque à gagner considérable pour les recettes publiques. Des calculs de la CNUCED portant sur un échantillon de pays en développement riches en ressources naturelles montrent qu'entre 2004 et 2012 les gouvernements n'ont touché que 17 % à 34 % environ de la rente issue des activités extractives dominées par des entreprises privées.
Pourtant cette question du renforcement des systèmes fiscaux nationaux en tant qu'enjeu du développement ainsi que d'outil complémentaire de résilience aux causes et effets du réchauffement climatique et malgré une efficience financière élevée, a été très peu prise en compte dans les politiques de solidarité internationale.
Sur l'ensemble de ces points il lui demande ce que la France compte faire tant au niveau national, européen qu'international. Il lui demande également quelles actions de solidarité internationale elle compte mener pour contribuer à la réalisation de l'objectif des Nations unies qui vise à ce que les pays en développement collectent des recettes fiscales représentant au moins 20 % de leur produit intérieur brut puis rejoignent la moyenne des pays de l'OCDE en la matière par la suite. Il lui demande enfin ce que la France compte faire en vue de l'adoption d'une convention internationale contre l'évasion fiscale et la fraude fiscale, qui agirait en faveur de mesures nationales et internationales plus contraignantes pour les multinationales notamment.

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Réponse du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères publiée le 25/04/2019

Reflété dans le relevé de conclusion du Comité interministériel pour la coopération et le développement (CICID) du 8 février 2018, la France a fait de la mobilisation des ressources domestiques l'un des axes prioritaires de sa coopération internationale. Le renforcement de la coopération fiscale sert en effet un objectif double : parce qu'elle renforce les administrations fiscales, cette coopération favorise la redevabilité et la bonne gouvernance ; parce qu'elle mobilise des recettes intérieures, elle soutient budgétairement les États pour le financement de l'agenda 2030. Le renforcement de la coopération fiscale française se traduit aujourd'hui par plusieurs axes d'effort. En tant que membre de l'Initiative fiscale d'Addis (Addis Tax Initiative, en anglais), la France s'est engagée à doubler les montants alloués à la coopération technique en faveur de la mobilisation des ressources internes entre 2015 et 2020. Avec 158 millions d'euros déclarés en 2016, le France est ainsi le premier contributeur d'appui à la mobilisation de la ressource domestique, tel que recensée par la base de données de l'International Tax Compact. Dans le domaine spécifique des industries extractives, par exemple, si le potentiel fiscal de ce secteur demeure largement sous exploité, l'amélioration de sa transparence est un pas indispensable pour accroître le prélèvement sur ces ressources. L'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) est une norme mondiale visant à améliorer la transparence et l'examen public de l'utilisation et de la gestion des richesses issues de l'extraction des ressources naturelles. La France est un pays partenaire de cette initiative. Soutien politique de poids, notamment dans les géographies africaines, elle accueillera la prochaine conférence mondiale de l'ITIE du 17 au 19 juin 2019. En complément de cette initiative, la France appuie la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (FERDI) pour la création d'une base de données juridique et fiscale des régimes fiscaux s'appliquant au secteur extractif et d'un outil de simulation du partage de la rente minière entre investisseurs et États. S'agissant de l'adoption de mesures internationales contre les pratiques d'évasion et d'optimisation fiscale des entreprises, la France est d'ores et déjà très mobilisée et partie prenante de plusieurs initiatives multilatérales. En plus des conventions fiscales bilatérales dont elle dispose avec un ensemble de pays, la France est partie à la convention concernant l'assistance administrative et mutuelle en matière fiscale (dite convention MAC). Cette convention qui réunit actuellement 127 juridictions est le texte socle de l'OCDE et du Conseil de l'Europe en matière d'échange d'informations à caractère fiscal et couvre toutes les gammes de coopération fiscale permettant de combattre l'évasion et la fraude fiscale. La France met également en œuvre les standards d'échanges d'information (sur demande et automatique) du Forum mondial pour la transparence de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ce qui permet de lutter activement contre la fraude fiscale. De plus, la France met en œuvre l'ensemble des mesures du paquet « BEPS » de l'OCDE (Base Erosion and Profit Shifting – « Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices ») dont l'objectif est de lutter contre l'utilisation par les entreprises multinationales des failles et différences de traitement fiscal existants actuellement dans les règles internationales. Au sein du cadre inclusif BEPS, qui réunit déjà plus de 125 juridictions, la France lutte donc activement contre l'évasion fiscale des multinationales et défend l'amélioration de la cohérence des règles fiscales internationales et la création d'un environnement fiscal international plus transparent et coopératif. Les autorités françaises défendent une application effective et sincère de l'ensemble de ces textes et standards par le plus grand nombre d'États et de juridictions et soutiennent leur renforcement ainsi que leur adaptation aux évolutions de l'environnement fiscal international. Par ailleurs, la France, membre du Groupe d'action financière (GAFI) travaille, via cette enceinte, à la transparence des flux financiers et à la lutte contre le blanchiment d'argent, notamment contre le blanchiment des fonds issus de la fraude fiscale.  Au-delà de l'application des plus hauts standards de transparence et de lutte contre les flux financiers illicites, la France soutient l'accès des pays en développement aux conventions multilatérales dans le cadre de ses actions de solidarité internationale. La convention BEPS vise à lutter contre l'évasion fiscale et l'optimisation abusive des entreprises multinationales. La France promeut sa mise en œuvre effective dans les pays en développement afin de garantir les recettes fiscales de ces derniers, en particulier par le biais du « Cadre inclusif BEPS ». À ce titre, elle apporte un soutien technique et financier à l'initiative BEPS « Inspecteurs des impôts sans frontière » et soutient ou a soutenu quatre pays (RDC, Sénégal, Cameroun, Tchad) pour le renforcement de leurs capacités en matière de vérification fiscale. Elle appuie également le réseau des administrations fiscales francophone (CREDAF) pour le partage de bonnes pratiques, le renforcement des capacités et la coopération sud-sud. Partageant le constat que les pays en développement sont exposés de manière disproportionnée aux risques d'évasion fiscale et aux flux financiers illicites, le Forum mondial a lancé, en 2014, l'Initiative Afrique. L'objectif de l'Initiative est d'apporter des solutions au problème des flux financiers illicites en provenance d'Afrique et de contribuer à l'amélioration des recettes fiscales en Afrique par le renforcement de la lutte contre l'évasion fiscale à travers la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales. La France est un soutien historique et l'un des premiers contributeurs de l'Initiative Afrique, avec plus de 500 K€. Elle apporte par ailleurs un soutien politique à la Déclaration de Yaoundé, initiative panafricaine en faveur d'une intensification de la coopération fiscale pour combattre les flux financiers illicites. La France est également attentive à l'utilisation efficace de mesures incitatives à l'investissement au titre de l'amélioration du climat des affaires. La rationalisation des dispositifs dérogatoires est une priorité de la coopération française en ce qu'elle permet, d'une part, d'améliorer la collecte et, d'autre part, d'en vérifier l'efficacité aux regards d'objectifs économiques ou sociaux. Ainsi, l'évaluation des dépenses fiscales constitue une opportunité pour les administrations fiscales de prendre conscience du risque de fragilisation de l'administration et de hausse des taux standards que ces dépenses sont susceptibles d'induire. À ce titre, elle collabore avec l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) pour appuyer la mise en œuvre de la Décision communautaire de 2015 relative à l'évaluation nationale des dépenses fiscales. Après un soutien technique et financier à la réalisation de deux guides méthodologiques, la coopération française co-organisera prochainement un atelier technique régional sur cette thématique. Opérateur de l'État, l'Agence française de développement (AFD) participe au renforcement des systèmes fiscaux pour la lutte contre le changement climatique dans le cadre de la politique de coopération bilatérale française. À titre d'exemple, l'Agence appuie l'Indonésie dans l'évolution de sa politique fiscale, à la fois pour accroître les revenus de l'État, et ainsi soutenir de manière durable la politique du gouvernement, mais également pour améliorer l'efficacité de la dépense publique. Cette action, devrait, à moyen terme, être étendue à la mobilisation des financements publics en faveur de la lutte contre le changement climatique. En matière de coordination internationale des actions de coopération, la France soutient par ailleurs la création de la Plateforme de collaboration sur les questions fiscales. Regroupant la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, les Nations unies et l'OCDE, cette plate-forme permettra d'éviter les chevauchements et de garantir le principe de spécialisation de chacune de ces organisations internationales dans les domaines où elle dispose d'un avantage comparatif. Soutien de la première heure de cette plateforme, la France appuie le développement d'un cadre de coordination national des acteurs de la coopération fiscale : la Stratégie de revenu à moyen terme (MTRS). Cet outil est pensé pour l'administration et doit être piloté par l'administration. Au total, la future stratégie interministérielle française pour « l'appui à une meilleure mobilisation des ressources intérieures publiques pour le financement du développement », dont la publication est attendue avant la fin de cette année, réaffirmera la présence française sur la scène internationale dans ce domaine.

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