Question de M. SUEUR Jean-Pierre (Loiret - SOCR) publiée le 30/05/2019

M. Jean-Pierre Sueur appelle l'attention de M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur les négociations en cours entre l'Union européenne et la Tunisie en vue de la signature d'un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA). Beaucoup d'acteurs économiques et sociaux de la Tunisie redoutent en effet que la signature de cet accord se fasse en défaveur de la Tunisie. Ils font valoir que si l'accord était signé en l'état – ce que le Premier ministre tunisien vient d'exclure explicitement - les impacts pourraient être particulièrement négatifs pour des secteurs importants de la vie économique tunisienne. Ainsi, en matière d'agriculture et d'alimentation, l'ouverture des barrières tarifaires entre les deux zones prévue par l'accord dans sa mouture actuelle risquerait de se réaliser au seul bénéfice de l'Union européenne, puisque sa politique de subventions aurait pour effet mécanique de faire baisser les prix sur nombre de productions agricoles tunisiennes. De même, en l'état actuel des choses, les termes de l'accord auraient des conséquences négatives sur la production de céréales et l'élevage en Tunisie, ce qui entraînerait une forte fluctuation des prix qui accroîtrait le coût de l'alimentation. La signature de cet accord imposerait, en outre, l'harmonisation de l'agriculture tunisienne aux normes sanitaires et phytosanitaires européennes, alors même qu'elles ne sont pas aujourd'hui atteignables pour la majorité des producteurs tunisiens. Le secteur de la santé en Tunisie serait aussi impacté par la mise en œuvre de l'accord. Il est en effet prévu, dans la mouture actuelle de l'accord, que la protection des brevets pour les médicaments soit allongée, ce qui retarderait en Tunisie la commercialisation de médicaments génériques et l'accès pour tous à la santé à moindre coût. Cet accord imposerait enfin un rapport déséquilibré entre les multinationales étrangères et l'État tunisien. Ainsi est-il prévu, dans la mouture actuelle de l'accord, qu'un mécanisme d'arbitrage soit instauré pour permettre à un investisseur étranger d'attaquer la Tunisie afin d'annuler des mesures d'intérêt général, alors même que l'inverse serait quasiment impossible. Eu égard aux risques exposés, il lui demande de bien vouloir lui donner l'assurance que la France pèsera de tout son poids dans les négociations en cours afin de favoriser la préparation d'un accord qui soit équilibré et qui favorise effectivement le développement économique et la création d'emplois en Tunisie.

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Transmise au Ministère de l'Europe et des affaires étrangères


Réponse du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères publiée le 05/08/2021

L'Union européenne (UE) considère la Tunisie comme une priorité dans le voisinage Sud et lui apporte un soutien financier d'un niveau exceptionnel. Ce soutien vise notamment à soutenir les réformes des autorités tunisiennes pour assurer la transition économique. En 2020, l'UE a également apporté un soutien majeur à la Tunisie pour lutter contre les conséquences de l'épidémie de la covid-19. Pour sa part, la France s'honore d'être le partenaire économique de référence de la Tunisie et souhaite renforcer les relations économiques bilatérales, dans un esprit de partenariat, d'innovation et d'ouverture. La conclusion d'un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) entre l'UE et la Tunisie permettrait d'y contribuer. Dans ce cadre, l'approche de l'UE est guidée par des principes clairs, parmi lesquels celui de l'approche asymétrique en faveur de la Tunisie, dans la perspective d'un ajustement graduel. Par ailleurs, la France plaide régulièrement auprès de la Commission européenne pour que la société civile tunisienne soit pleinement informée et associée à la négociation de l'accord. La Commission européenne a ainsi tenu une semaine de consultations avec la société civile, à Tunis, en février 2019. L'UE prête une attention particulière au secteur agricole tunisien qui s'ouvre progressivement à la concurrence, au moyen d'un calendrier progressif de démantèlement des barrières tarifaires et à travers la définition d'une période de transition qui pourrait atteindre quinze ans. En outre, une liste de produits sensibles doit être conjointement définie, pour lesquels un niveau de protection douanière spécifique sera déterminé. L'ALECA devrait ainsi permettre à la Tunisie de renforcer ses filières d'exportation agricoles traditionnelles (huile d'olive, dattes), mais également de diversifier ses productions, tout en donnant à ses composantes les plus fragiles le temps nécessaire pour s'adapter. L'alignement progressif des normes sanitaires et phytosanitaires tunisiennes sur celles de l'UE est une condition indispensable à l'ouverture du marché européen. C'est à la fois une opportunité pour les consommateurs tunisiens, une nécessité pour les consommateurs européens, qui ne doivent pas consommer des produits moins sûrs qu'aujourd'hui, et un impératif pour les producteurs européens, afin qu'ils ne souffrent pas d'une concurrence déloyale. Afin de permettre l'adaptation progressive de la Tunisie aux normes européennes, l'UE propose une aide technique et financière dans les secteurs couverts par l'ALECA (agriculture, services et obstacle techniques au commerce). Enfin, l'UE offre une certaine latitude aux autorités tunisiennes concernant le choix des domaines pour lesquels le rapprochement des règlementations est jugé prioritaire. S'agissant du secteur de la santé, l'ALECA n'a pas pour objectif d'empêcher la commercialisation de médicaments génériques, mais d'assurer que celle-ci se fasse dans le respect de la protection des droits de propriété intellectuelle. Celle-ci peut parfois s'avérer problématique, alors que les circulaires de mise sur le marché ont une validité de cinq ans, permettant au ministère de la santé tunisien d'autoriser la vente de génériques, alors que les droits de propriété intellectuelle de la molécule n'ont pas encore expiré. La violation de cinq brevets valables jusqu'en 2023 a ainsi été rapportée. Il s'agit donc de répondre à ce problème sans faire peser de contraintes excessives sur le secteur de santé tunisien - auquel nous apportons une aide spécifique de grande ampleur dans le contexte de la pandémie de la Covid-19. Enfin, le mécanisme d'arbitrage prévu par l'ALECA correspond à la nouvelle approche de l'UE, qui a abandonné l'ancien système d'arbitrage privé pour mettre en place un système juridictionnel. Ce système ne permettra pas à un investisseur étranger d'attaquer la Tunisie afin d'annuler des mesures d'intérêt général. Depuis le déclenchement de l'épidémie de la Covid-19 et ses graves conséquences sur les plans sanitaire, économique et social en Tunisie, les négociations relatives à l'ALECA ont été retardées, du fait de la pleine mobilisation de l'UE et de ses États membres en faveur d'un soutien en réponse à la crise. Compte tenu des liens privilégiés entre nos deux pays, la France continuera à porter une attention particulière à cette négociation conduite par la Commission européenne, et veillera au respect du mandat de négociation, en particulier des principes d'asymétrie et de progressivité en faveur de la Tunisie.

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