Question de M. MALHURET Claude (Allier - Les Indépendants) publiée le 12/12/2019

Question posée en séance publique le 11/12/2019

M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, la France est aujourd'hui divisée en deux camps : ceux qui râlent et ceux qui râlent contre ceux qui râlent ! (Rires.)

Ces derniers jours, on a surtout entendu les premiers. Je voudrais parler des autres, de tous les autres, de ceux qui ne défilent pas, de ceux qui n'ont ni mégaphones ni pancartes, parce qu'ils savent qu'un examen objectif des faits est toujours trop long pour une banderole, et de ceux qui ne font pas grève et se font parfois à ce titre injurier ou crever leurs pneus. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

Je veux parler de ceux qui ne supportent plus de voir que, lorsqu'on a un problème avec le Gouvernement, on s'en prend aux travailleurs naufragés dans des transports à l'arrêt, aux enfants se heurtant à des grilles d'écoles fermées, aux chefs de petites entreprises… (Mêmes mouvements.)

Je vois que les râleurs ne sont pas seulement dans la rue ! (Rires ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, RDSE, UC et Les Républicains.)


Mme Éliane Assassi. On assume !


M. Claude Malhuret. … aux chefs de petites entreprises supportant seuls le coût de l'absentéisme forcé de leurs employés, aux commerçants qui espéraient rattraper les pertes subies l'an dernier, mais voient s'annoncer pour Noël de nouvelles pertes, pour le plus grand profit d'Amazon !

Je veux parler de ceux à qui l'on dit que le service public a une obligation de continuité, mais qui constatent que 90 % des grèves ont lieu dans le secteur public, de ceux qui remarquent que les soi-disant défenseurs du service public s'en prennent en priorité aux usagers de ce même service et que le baratin de la grève au service de tous n'est que le faux-nez de la défense de privilèges corporatistes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains.)

Ces Français-là sont beaucoup plus nombreux que les grévistes. Néanmoins, comme ils ne manifestent pas, personne ne se soucie d'eux ; ils continuent donc de ramer en attendant un métro qui ne viendra jamais ou un train qui sera supprimé. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

Comme si cela ne suffisait pas, la CGT nous annonce désormais le blocage des raffineries. Bonjour, les fêtes de Noël en famille !


Mme Éliane Assassi. Bonjour, la démagogie !


M. Claude Malhuret. Nicolas Sarkozy avait réussi, en 2007, à faire adopter une loi sur le service minimum qui a fonctionné pendant quelques années. Elle est désormais bafouée et inopérante.

Ma question est la suivante, monsieur le Premier ministre : pouvez-vous nous assurer de la détermination du Gouvernement face aux blocages présents et annoncés ? N'est-il pas temps, comme le proposent certains de nos collègues, de réfléchir à de nouvelles dispositions sur le service minimum garanti ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes LaREM et RDSE.)


Réponse du Premier ministre publiée le 12/12/2019

Réponse apportée en séance publique le 11/12/2019

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Malhuret, avec votre style inimitable et d'ailleurs inimité (Sourires.), vous décrivez une réalité préoccupante.

Trop souvent, celui qui se drape dans ce qu'il considère comme un droit est conduit à méconnaître les droits des autres. Le droit de grève et le droit de manifester sont des libertés constitutionnellement défendues et préservées.

Mme Éliane Assassi. Rappel utile !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ces libertés doivent être respectées ! Nous le savons tous, je l'ai toujours dit et je le rappelle à nouveau.

Je ne crois pas qu'on puisse, ici tout particulièrement, mégoter, si vous me passez cette expression, avec une liberté publique de valeur constitutionnelle.

Mme Éliane Assassi. Certains le font ici autant qu'ailleurs !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cependant, la continuité des services publics, la liberté d'aller et venir, la liberté d'expression et la liberté de travailler, donc de ne pas faire grève, sont des principes de même valeur que la liberté de faire grève et celle de manifester. (Mme Catherine Troendlé approuve.)

Ce que je dénonce, ce n'est pas que certains fassent la grève et que d'autres ne la fassent pas, ce n'est pas que certains soutiennent les grévistes et que d'autres les dénoncent ; ce que je regrette, c'est que le choix des uns puisse passer par la dénonciation des autres.

Nous vivons dans une démocratie ; nous devons donc assumer nos choix et nos positions. Ceux qui font grève en ont le droit, mais ils doivent le faire conformément à la loi. Menacer ceux qui ne font pas grève n'est pas correct ; c'est même illégal. Je n'affirme pas pour autant, bien entendu, que tous les grévistes le font. Toutefois, nous savons que de telles pressions s'exercent dans telle ou telle entreprise ; nous le savons parce que nous le voyons, parce que nous en avons des preuves, des images et des films ! Ces pressions ne sont évidemment pas acceptables.

De la même façon, tous les mouvements qui consistent à nier l'existence et la reconnaissance du droit de grève sont à mon sens regrettables.

Je tiens à dire, monsieur le président, que le Gouvernement ne veut pas opposer les Français les uns aux autres.

Mme Éliane Assassi. C'est raté !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je ne pratique pas la logique selon laquelle il y aura des vainqueurs et des vaincus. Je crois plutôt que la solidarité nationale qui s'incarne dans un régime universel de retraite est exactement porteuse de la logique inverse, selon laquelle tous les Français, quel que soit leur statut, quel que soit leur métier, contribuent à la retraite de tous les Français.

Une sénatrice du groupe CRCE. C'est déjà le cas !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ce système, que nous voulons mettre en place, prendra en compte des droits nouveaux ; il sera le système, non pas de certains Français contre les autres, mais de l'ensemble des Français vis-à-vis des futurs pensionnés et de ceux qui paieront ces pensions.

Vous avez raison, monsieur le président : les mouvements de grève se doublent parfois de blocages. Ce n'est pas toujours le cas ! Or le blocage, mesdames, messieurs les sénateurs, n'est pas autorisé par la loi. La législation relative au droit de grève n'autorise pas à bloquer tel ou tel dépôt. C'est illégal ; cela doit donc être proscrit ! La législation n'autorise pas à bloquer tel ou tel centre de stockage ou de production. C'est illégal ; nous faisons donc intervenir les forces de l'ordre pour que ces blocages ne puissent prévaloir ! (MM. Emmanuel Capus et Claude Malhuret applaudissent.)

Cela n'est pas toujours facile, car nous savons très bien quel risque nous courrons lorsque nous engageons la force publique de telle sorte. Nous ne voulons pas céder aux provocations, nous ne voulons pas qu'un incident puisse amplifier le désordre.

Je tiens à le dire clairement, monsieur le président : la grève est constitutionnelle, on y a droit ; le blocage est inconstitutionnel, on n'y a pas droit !

Le principe de continuité du service public ne trouve pas à s'appliquer seulement quand tout va bien. Il impose justement aux fonctionnaires et aux agents publics de poursuivre leur activité quand tel est l'intérêt du service public, des Françaises et des Français et donc, d'une certaine façon, l'intérêt de la Nation.

Sur ce terrain, nous sommes évidemment déterminés à rappeler les principes…

M. Bruno Retailleau. Et donc ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. … et, le cas échéant, à compléter les dispositions nécessaires.

Je tiens cependant, monsieur le président, à faire remarquer que nous connaissons tous le rythme auquel les textes législatifs qui interviennent en la matière doivent être discutés. Les grandes propositions faites à la veille d'un mouvement de grève servent souvent plus à attirer l'attention du public sur un sujet qu'à régler durablement une question juridique délicate. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants.)

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