Question de Mme LIENEMANN Marie-Noëlle (Paris - CRCE-R) publiée le 19/12/2019

Mme Marie-Noëlle Lienemann attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur les conséquences de l'offre publique d'achat (OPA) du fonds américain Searchlignt sur Latécoère.

L'offre publique d'achat (OPA) de Searchlight sur le fleuron français de l'aéronautique a été couronnée de succès, le fonds américain détenant désormais 62,76 % du capital de l'équipementier, a annoncé mercredi 4 décembre 2019 au soir l'autorité des marchés financiers (AMF).
Compte tenu du domaine d'activité de ce fleuron (leader mondial de la technologie Li-Fi) et comme il avait été alerté très tôt par dix-sept députés de toute sensibilité, le Gouvernement avait la possibilité de mettre un terme à cette OPA grâce au décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable (dit « Montebourg »). Les syndicats avaient également indiqué le risque évident de voir Searchlight mener une opération financière et non un projet industriel, le fonds étant par ailleurs immatriculé aux îles Caïmans.
Hélas, le Gouvernement s'en est tenu à une maigre conditionnalité, à savoir la rétrocession de 10 % du capital à un fonds d'investissement agréé par l'État, qui ne gênera en aucun cas le pillage de nos savoir-faire. Le seul élément « rassurant » est que cette OPA ne semble pas avoir réussi aussi bien que l'espérait Searchlight. N'ayant pas atteint le seuil de 90 % du capital et des droits de vote, il ne pourra pas décider seul de sortir la société de la cotation boursière.

Certes l'entreprise Latécoère, qui emploie près de 5 000 personnes dans treize pays (dont le tiers en France, contre la moitié voici quelques années), a connu quelques difficultés économiques en 2018, mais sa situation n'est pas mauvaise : si son bénéfice net a fondu de 80 % à 6 M€, son chiffre d'affaires de 2018 était en très légère hausse (+0,3 %), à 659,2 M€ ; si la société a subi une perte nette de 5,9 M€ au premier semestre 2019, elle a enregistré un bénéfice opérationnel courant en forte hausse (+ 52 %), à 10,8 M€.
Rien ne justifiait donc cette stratégie capitalistique catastrophique et la perte de contrôle nationale d'une entreprise spécialisée dans les aérostructures (tronçons de fuselage, portes) et les systèmes d'interconnexion (câblages, meubles avioniques et équipements embarqués). Cette tutelle étrangère, qui fragilise notre indépendance diplomatique, est inacceptable.

Elle lui demande donc de justifier publiquement les raisons pour lesquelles le Gouvernement n'a pas cru utile et nécessaire d'empêcher le passage sous pavillon américain d'une telle entreprise stratégique.
Elle demande également sur quelles garanties en termes d'emplois, d'activités et de maîtrise des brevets technologiques le Gouvernement a fondé son absence de réaction.
Elle souhaite savoir si le Gouvernement envisage de se donner les moyens de reprendre la main sur l'entreprise, si – comme on peut le craindre – les conséquences de cette OPA étaient négatives pour la pérennité de Latécoère, son activité en France, ses emplois sur le territoire national ou nos intérêts stratégiques, quitte à recourir à une nationalisation partielle ou temporaire…
Enfin, elle lui demande si – après les fiascos d'Alstom et General Electric et celui de l'OPA sur Latécoère – le Gouvernement compte prendre la mesure des menaces qui pèsent sur les entreprises stratégiques françaises (par exemple, l'entreprise Photonis, qui produit des composants du laser Megajoule rentrant dans le programme de dissuasion nucléaire français), en rendant plus opérationnelle sa doctrine sur l'application du décret « Montebourg ».

Pour défendre nos secteurs stratégiques, les dispositions juridiques existent, cela n'est qu'une question de volonté politique.

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Réponse du Ministère de l'économie et des finances publiée le 27/02/2020

Le contrôle des investissements étrangers en France constitue l'une des préoccupations les plus essentielles du ministère de l'économie et des finances, qui poursuit l'objectif de protéger les intérêts nationaux de la façon la plus rigoureuse et la plus efficace tout en étant soucieux d'améliorer l'attractivité de l'économie auprès des investisseurs étrangers. Les projets d'investissements étrangers concernant des sociétés françaises, notamment la société Latécoère, font l'objet d'un contrôle particulièrement attentif de la part des services du ministère de l'économie et des finances. Le respect de la confidentialité des informations liées à l'opération, comme de toutes les opérations soumises à la procédure de contrôle des investissements étrangers, constitue cependant une condition fondamentale de son succès et de son efficacité. Outre la protection nécessaire du secret des affaires et du secret de la défense nationale, cette procédure repose en effet avant tout sur la confiance des parties prenantes dans le traitement, par l'administration, des informations qu'elles fournissent dans ce cadre. Le ministère ne communique donc jamais sur des dossiers individuels et les conditions édictées par le ministre dans le cadre d'investissements étrangers ne sont jamais rendues publiques, hormis dans les cas très rares où d'autres réglementations l'imposent. À l'occasion de l'acquisition de la société Latécoère, l'une des conditions exigées à l'égard de l'investisseur a été exceptionnellement rendue publique afin de respecter la réglementation applicable en matière de transparence des marchés financiers en période d'offre publique d'acquisition. Cette condition, bien que ne pouvant être séparée de l'ensemble des éléments du dossier auquel elle se rattache, illustre le souci du Gouvernement de protéger les intérêts nationaux dans le cadre de cet investissement, mais ne le résume pas. Les autres conditions édictées par le ministre font l'objet de la confidentialité exigée par les enjeux mentionnés ci-dessus. Le Gouvernement ne pourrait révéler publiquement des éléments qui relèvent de l'instruction de ces décisions sans méconnaitre la loi. En effet, l'article L. 151-6 du code monétaire et financier encadre de manière particulièrement stricte la communication au public d'informations relatives à ce contrôle, précisant que ne peuvent être communiquées que des données statistiques garantissant l'anonymat des personnes physiques et morales concernées par la procédure d'autorisation préalable des investissements étrangers dans une activité en France. L'article L. 151-7 organise également un cadre dans lequel le Gouvernement peut tenir le Parlement informé de son action dans cette matière. Ces précautions sont indispensables pour assurer la nécessaire préservation des informations relatives aux activités sensibles des entreprises françaises concernées. La question posée permet cependant de rappeler le sens et les moyens de l'action du Gouvernement en la matière. Le contrôle de l'opération concernant la société Latécoère s'effectue selon la procédure prévue et encadrée par le code monétaire et financier, et s'applique lorsque trois critères cumulatifs sont réunis : un critère relatif à la nature étrangère de l'investisseur, un critère relatif à l'importance de la participation qu'il est envisagé d'acquérir dans la société, et un critère relatif à la nature – susceptible ou non de porter atteinte aux intérêts nationaux – de l'activité réalisée par la société. Lorsque ces trois critères sont réunis, le ministre chargé de l'économie n'autorise l'investissement que dans des conditions permettant d'assurer que celui-ci ne portera pas atteinte aux intérêts nationaux concernés. Ces conditions sont adaptées à l'investissement et visent à garantir la pérennité des activités sensibles en France. Les dizaines de dossiers de contrôle des investissements traités chaque année font ainsi l'objet d'une égale vigilance, et toutes les mesures sont prises pour garantir la pérennité, sur le territoire français, des activités sensibles des entreprises concernées. Cet objectif d'une protection rigoureuse et efficace ne peut cependant être mise en œuvre que s'il est adapté aux réalités économiques des investissements internationaux et à l'évolution permanente des technologies clés. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a opéré une profonde réforme du dispositif de contrôle français, qui s'est déroulée en deux temps : dans un premier temps, la loi PACTE du 22 mai 2019 a permis de renforcer les pouvoirs d'injonction et de sanction du ministre chargé de l'économie, tout en améliorant la transparence du contrôle, à la fois par l'exigence d'un rapport annuel transmis au Parlement et par l'ouverture de la faculté, encadrée, de certains parlementaires d'entendre les ministres et administrations compétentes et de procéder à des investigations ; dans un second temps, le décret en Conseil d'État 2019-1590 du 31 décembre 2019 a notamment permis de couvrir des activités jusqu'ici absentes de cette procédure, en tirant les conséquences de l'adoption du règlement européen 2019/452 du 19 mars 2019, d'abaisser à 25% le seuil de participation susceptible de permettre au contrôle de se déclencher, de permettre aux investisseurs et aux sociétés françaises de contacter la Direction générale du Trésor plus rapidement dans le processus d'investissement, de mieux protéger nos technologies clés en listant par arrêté les secteurs de recherche et développement soumis au contrôle.

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