Question de Mme PROCACCIA Catherine (Val-de-Marne - Les Républicains) publiée le 19/12/2019

Mme Catherine Procaccia attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la question des usurpations d'identités, et sur le traitement réservé aux cas déclarés par les différents organes de l'administration.

S'il n'existe pas de chiffre officiel récent, l'usurpation d'identité semblerait concerner près de 300 000 Français à l'heure actuelle. Naturellement, comme souvent, on pense que ce problème n'arrive qu'aux autres et qu'en étant assez prudent il est possible d'éviter les pièges. Pourtant, de plus en plus de Français ces dernières années découvrent, à travers des lettres d'organismes de crédit, de l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), à l'occasion d'un vote, d'un mariage ou autre, que leur identité a été usurpée. Souvent pour des questions de vol d'argent, ou parfois d'acquisition de la nationalité, les voleurs et usurpateurs ne manquent pas d'imagination. Le développement des technologies du numérique, et la dématérialisation progressive des documents administratifs, bien que pratiques, permettent au phénomène de se développer.

Au delà du constat de ce phénomène, difficile à endiguer pour les raisons habituelles d'anonymat sur internet que l'on connaît, c'est sur la réponse de l'État qu'elle souhaite l'interroger. Un cas récent a attiré son attention dans l'actualité, celui d'un homme dont l'identité a été usurpée aux fins d'ouvrir un garage à Roubaix et d'utiliser les véhicules immatriculés pour commettre des délits. Si cet homme a eu le bon réflexe de porter plainte dès réception de la première lettre de l'URSSAF, son calvaire ne s'est pas arrêté là et voilà qu'il lui est maintenant réclamé près de 200 000 euros d'amendes par le système automatisé de recouvrement des amendes, alors même que la justice est informée de l'usurpation. Plus qu'un cas unique, cette situation rocambolesque met en exergue l'absence de communication entre les services, ainsi que les dérives des systèmes automatisés en ligne.

Qu'il s'agisse du système automatisé de recouvrement des amendes (ANTAI) ou de l'agence nationale des titres sécurisés (ANTS), de plus en plus de Français ont le sentiment que l'État s'est éloigné d'eux, alors même que ces innovations étaient censées les en rapprocher en rendant les procédures accessibles plus facilement. Si la numérisation des procédures représente une voie d'avenir, tant elle permet à l'État de mieux fonctionner, cela ne peut pas se faire au détriment des Françaises et des Français qui peuvent parfois rencontrer des difficultés que ces systèmes ne sont pas prêts à traiter. Dès lors, elle lui demande s'il ne faudrait pas imaginer un service d'urgence pour tous ces cas où l'intervention d'un opérateur, en lien avec tous les services publics, aiderait à résoudre plus facilement ces problèmes qui aujourd'hui peuvent mettre des années à se régler. Elle souhaite l'interroger sur les moyens que compte mettre en place l'administration pour résoudre ces cas qui se multiplient.

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Transmise au Ministère de l'intérieur


Réponse du Ministère de l'intérieur publiée le 18/11/2021

Le Gouvernement est conscient des difficultés auxquelles peuvent être confrontées les personnes qui sont victimes d'une usurpation d'identité, laquelle a été érigée en infraction dans le code pénal par la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 dite « LOPPSI II » (Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure). Son article L.226-4-1, énonce que « le fait d'usurper l'identité d'un tiers ou de faire usage d'une ou plusieurs données de toute nature permettant de l'identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d'autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende. » D'autres infractions pénales sanctionnent l'utilisation indue d'un titre d'identité (prise d'un nom par un tiers prévu par l'article 434-23 du code pénal, usage d'un faux dans un acte public prévu par l'article L.433-19 notamment). En 2014, ce corpus de règles coercitives a donné lieu à 172 condamnations avec un emprisonnement ferme total ou partiel, pour un quantum moyen de 2,8 mois. 143 amendes ont également été prononcées pour un montant moyen de 528 euros (Voir Ass. nat., Question écrite n° 84135, JOAN du 10 mai 2016). Suivant les informations transmises par le ministère de la justice en 2020, le nombre de condamnations comprenant au moins une infraction relative à l'usurpation d'identité s'élevait à 3 261. La fraude à l'identité et documentaire sont des questions actuelles, d'intérêts public et privé. Le rapport issu de la commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, en date du 8 septembre 2020 [1], fait état de la forte dynamique du nombre d'infractions détectées par les services de police et de gendarmerie comprenant les cas de fraude à l'identité, passant de 1,02 à 1,19%, de 2017 à 2019 (état 4001). Les données relatives à la fraude [2] issues du travail de détection réalisé dans les préfectures confirment l'importance de ce phénomène : en 2020, le nombre de tentatives de fraude à l'obtention des cartes nationales d'identité ou des passeports était de 4 175. Le droit international, en particulier la réglementation établie par l'Organisation de l'aviation civile internationale et, plus récemment, le droit de l'Union européenne qui s'en inspire, ont structuré un ensemble de mesures opérationnelles. En premier lieu, s'agissant des titres d'identité et de voyage (carte nationale d'identité et passeport), le risque d'usurpation d'identité est appréhendé par la mise en œuvre de mesures de prévention intégrées à la procédure de délivrance de ces titres, certaines en application directe de normes internationales (réglementation de l'Organisation de l'aviation civile internationale – OACI). En second lieu, le règlement (UE) 2019/1157 du 20 juin 2019 renforçant la sécurité des cartes d'identité des citoyens de l'Union et des titres de séjour délivrés aux citoyens de l'Union impose notamment aux Etats membres la mise en circulation, au plus tard, le 2 août 2021, des cartes d'identité conformes aux normes prescrites. Elles comportent des données biométriques, des empreintes digitales ainsi que la photographie numérisée dans un composant électronique sécurisé. En France, un dispositif supplémentaire de cachet électronique visible permettra, grâce également à l'utilisation de moyens cryptographiques, de contrôler le contenu des données inscrites dans le document et, ainsi, de lutter contre les tentatives de falsification ou de contrefaçon. Enfin, le règlement européen n° 910/2014/UE sur l'identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur, dit règlement « eIDAS » vise à établir un cadre d'interopérabilité pour les différents systèmes mis en place au sein des États membres afin de promouvoir le développement d'un marché de la confiance numérique, et in fine, de lutter contre l'usurpation d'identité lors de l'accès aux services publics dématérialisés. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) a ainsi publié en mars 2021 un référentiel d'exigences applicables aux prestataires de vérification d'identité à distance (PVID), qui constitue le fondement du schéma unifié d'évaluation des services de vérification d'identité à distance, quel que soit le niveau de garantie (substantiel ou élevé) et quel que soit le cadre réglementaire. Les services de confiance et les moyens d'identification électronique recourant à une vérification d'identité à distance devront donc s'y conformer. S'inscrivant dans ce cadre, le droit prévoit une série de dispositions qui organisent la prévention de l'usurpation d'identité lors de la délivrance des titres d'identité et de voyage et des titres de séjour. D'une part, le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 modifié relatif aux passeports a institué le passeport biométrique. L'article 2 de ce décret prévoit l'intégration dans le document d'un composant électronique, sous la forme d'une puce comportant des sécurités de nature à prémunir le titulaire du titre contre les risques d'intrusion, de détournement et de modification du document et des données qu'il contient, dont les empreintes digitales. Recueillies à la remise du titre, ces dernières sont utilisées dans le cadre de son renouvellement quel qu'en soit le motif, pour s'assurer que le demandeur est le titulaire légitime à qui le titre soumis a été initialement remis. D'autre part, les titres de séjour biométriques délivrés en application du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) comportent des fonctionnalités similaires : le dispositif de rendez-vous de remise du document est à cet égard efficace, en ce qu'il permet la vérification de l'identité de l'individu. En effet, l'empreinte des dix doigts sera prise lors de l'enregistrement de la demande et le titre sera remis après contrôle de l'empreinte des deux pouces. En outre, depuis le 1er septembre 2016, le ministère de l'Intérieur s'est doté d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dont la finalité est de faciliter le contrôle de la validité des documents émis par les autorités françaises et de lutter contre l'utilisation indue de tels documents. Cette base de données appelée DOCVERIF, créée par arrêté du 10 août 2016 permet de consulter l'état de validité d'un titre (carte nationale d'identité, passeport et titre de séjour) et, notamment, de détecter si un individu tente d'utiliser indûment un titre déclaré perdu ou volé par son titulaire légitime. Si l'application est utilisée par les forces de l'ordre dans le cadre de leurs missions, elle est également accessible à d'autres utilisateurs, administrations publiques, organismes chargés d'une mission de service public ou établissements de crédit qui le souhaitent par convention, dans le cadre de leurs obligations légales ou réglementaires de sécurisation des procédures dont elles ont la responsabilité. Les Français ne sont cependant pas à l'abri d'une utilisation indue de leur identité prenant, dans certains cas, la forme d'une usurpation d'identité lorsqu'ils justifient de leur état civil dans des démarches courantes. Le risque est renforcé à l'aune du développement des procédures dématérialisées (contractualisation en ligne, etc.) mais aussi des tentatives d'escroquerie sur internet qui en sont le corollaire. De façon générale, les usagers ont intérêt à réserver l'emploi de leurs données personnelles d'identification et le dépôt de documents officiels, en particulier, la copie ou le contenu des titres d'identité et de voyage ou titres de séjour, à des sites internet fiables et pour des démarches où la fourniture de ces documents est obligatoire. L'ANSSI met à disposition des particuliers et des entreprises (https://www.ssi.gouv.fr) des conseils pratiques utiles pour prévenir le vol de données dans une installation informatique personnelle et pour naviguer en sécurité sur l'internet. Tant les agents de l'Etat dans le cadre de leurs fonctions que les victimes disposent de moyens pour agir en cas de survenance de faits d'usurpation d'identité. En premier lieu, au sens de l'alinéa 2 de l'article 40 du Code de procédure pénale, « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs  ». Cela conduit notamment les agents de l'Etat à signaler directement au parquet tout fait circonstancié de fraude à l'identité dont ils auraient eu connaissance dans l'exercice de leurs fonctions. Ainsi, en 2019, selon des chiffres fournis par la direction de la modernisation et de l'administration territoriale du ministère de l'Intérieur, 590 cas d'usurpation d'identité ont été détectés dans le cadre de demandes de titre ou de titres déjà délivrés [3]. En second lieu, en ce qui concerne les victimes, il leur est fortement recommandé de réunir tous les éléments probants à leur disposition (quand elle est possible, la désignation expresse de l'auteur des faits supposés, la liste objective des préjudices subis, accompagnée de preuves établissant la matérialité constitutive de l'infraction répréhensible pénalement…). Afin d'être orientées dans leurs démarches, les victimes d'usurpation d'identité peuvent se rapprocher d'un avocat. Ce dernier pourra leur apporter des conseils pratiques et les aider à constituer un dossier probant. Les points d'accès au droit et les maisons de justice et du droit, lieux d'accueil publics, peuvent permettre à toute personne de bénéficier de conseils juridiques gratuitement et d'un accompagnement personnalisé par des avocats et des professionnels du droit tenus au secret professionnel. En outre, les victimes de l'utilisation indue d'un titre dont elles sont titulaires, ou d'une usurpation d'identité, doivent, dans les meilleurs délais, déposer plainte. D'une part, le dépôt de plainte est effectué auprès des services de police et de gendarmerie ou directement transmis au procureur de la République territorialement compétent, généralement, du lieu où s'est produite l'infraction, par courrier recommandé avec accusé de réception. D'autre part, dans le cas où le dépôt de plainte simple s'avérerait infructueux car suivi d'un classement sans suite ou dénué de réponse positive du parquet dans un délai de 3 mois, les victimes peuvent déposer plainte avec constitution de partie civile conformément à l'article 85 du code de procédure pénale. Cette procédure leur permet l'ouverture de certains droits (demandes d'actes au juge d'instruction, recours en annulation…), notamment celui d'être précisément informées des suites données à ladite procédure. [1] Rapport fait au nom de la commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, Tome 1, 8 septembre 2020, Assemblée Nationale, n° 2485 [2] Indicateurs Indigo [3] Indicateurs Indigo pour l'année 2019

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