Question de M. KENNEL Guy-Dominique (Bas-Rhin - Les Républicains) publiée le 30/01/2020

M. Guy-Dominique Kennel attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur l'insuffisance notoire de l'engagement financier de l'État et des impacts sur les territoires face à l'arrivée massive des mineurs non accompagnés (MNA) sur le territoire français, en particulier dans le département du Bas-Rhin.

En effet, le dispositif départemental d'accueil des MNA, pourtant renforcé au mois de mars 2019, était déjà saturé au mois de décembre de la même année. La pertinence de la clé de répartition nationale, qui semble être arrivée au bout de son efficience, est aujourd'hui mise en cause. Les services qui prennent en charge les MNA se heurtent à la difficulté de trouver des appartements disponibles. Le flot ininterrompu et imprévisible des arrivées n'est pas compensé par les sorties à 18 ans. Les jeunes majeurs, ex-MNA, que le département continue à prendre en charge dans le cadre de son contrat jeune majeur insertion (CJM), ne sont pas comptabilisés dans la clé de répartition (deux tiers des jeunes bénéficiant de CJM sont des ex-MNA dans le Bas-Rhin).

En outre, depuis 2014, le coût global de la prise en charge des MNA par le département du Bas-Rhin est passé de 4 M€ à 15,3 M€ (y compris coût des ressources humaines) en 2018. En 2018, le Gouvernement avait annoncé un financement exceptionnel au titre de la prise en charge pour compenser la forte hausse des MNA entre 2016 et 2017, ce qui s'est traduit pour le Bas-Rhin par le versement d'une dotation de 1 932 000 € en 2018. Le ministère avait annoncé la reconduction de cette mesure, selon des règles à définir. Un arrêté du 27 août 2019 fixe la dotation par département à 6 000 € (et non plus 12 000 €) par jeune pour 75 % des jeunes supplémentaires pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) au 31 décembre 2018, par rapport au 31 décembre 2017, soit 480 000 € pour le Bas-Rhin, ce qui est bien inférieur à la dotation 2018. Le département subit un désengagement inadmissible de l'État.

À cela s'ajoute, pour le département, l'obligation d'attester que la personne a bénéficié d'une première évaluation de ses besoins en santé et, le cas échéant, d'une orientation en vue d'une prise en charge. De même, en dépit du protocole signé avec la préfecture pour engager l'État pour que les jeunes aient une réponse sur leur titre de séjour dans le mois de leur majorité, la délivrance d'un titre de séjour reste un frein à l'accès à l'autonomie de ces jeunes en raison des délais et de la nature du titre délivré. En effet, la précarité des titres – très souvent de trois mois – ne permet pas une réelle insertion.

Il lui demande donc de soutenir davantage les départements dans cette prise en charge primordiale, notamment en redéfinissant la clé de répartition, en maintenant la compensation de 2018, en prenant en considération non pas le flux mais le « stock », en retirant l'obligation d'attester des besoins de santé pour le versement des forfaits, en simplifiant les justificatifs à produire par les départements - ne pas exiger de procéder à une réédition des états 2019 déjà adressés - et en délivrant des titres de séjours pérennes.

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Transmise au Secrétariat d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé


Réponse du Secrétariat d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé publiée le 04/03/2020

Réponse apportée en séance publique le 03/03/2020

M. le président. La parole est à M. Guy-Dominique Kennel, auteur de la question n° 1101, transmise à M. le secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé.

M. Guy-Dominique Kennel. Permettez-moi, monsieur le secrétaire d'État, d'appeler votre attention sur la charge que représente pour le département du Bas-Rhin le coût des mineurs non accompagnés et des jeunes majeurs.

Le nombre de jeunes pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) ne cesse de grimper : il a progressé de 11 % en un an – un niveau jamais atteint précédemment. Les dépenses liées à cette prise en charge se sont élevées à 15,3 millions d'euros en 2018, alors que la compensation de l'État n'a été que de 2,3 millions d'euros, soit 13 millions d'euros restant à la charge du département du Bas-Rhin.

La saturation du dispositif ne s'explique pas seulement par la hausse du nombre de mineurs pris en charge – 100 jeunes de plus en un an, je le rappelle – ; elle est aussi due au nombre de jeunes majeurs accompagnés, qui, lui, a crû de 36,4 % par rapport à 2018.

La politique d'accompagnement des jeunes majeurs dans le département du Bas-Rhin, qui est d'ailleurs à saluer, s'appuie sur une prise en charge globale avec hébergement et accompagnement éducatif : près de 6 200 enfants et jeunes sont accompagnés ou confiés à l'ASE au 31 décembre 2019 ; sur les 2 977 situations de placement, 389 sont devenus majeurs ; 225 jeunes majeurs bénéficient d'un contrat d'insertion « jeune majeur », avec hébergement pour plus de 95 % d'entre eux, soit plus de 350 jeunes pris en charge sur l'année.

Les nouvelles arrivées ne sont pas compensées par les sorties à 18 ans, et ces jeunes majeurs, que le département continue de prendre en charge, ne sont pas comptabilisés dans la clé de répartition. Il s'ensuit une insuffisance de l'engagement financier de l'État, lequel ne veut pas voir l'enjeu fondamental que recouvre la prise en charge de ces jeunes et laisse les départements seuls face à cette responsabilité.

Aussi, monsieur le secrétaire d'État, je me permets de vous poser trois questions précises : le Gouvernement envisage-t-il de contrôler davantage l'arrivée des mineurs non accompagnés ? Faute de prise en compte des jeunes majeurs, le département doit-il renvoyer ces jeunes majeurs vers l'État et abandonner sa politique d'insertion ? Le Gouvernement va-t-il abonder son engagement financier envers le département du Bas-Rhin ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur Guy-Dominique Kennel. Elle porte sur le sujet des mineurs non accompagnés, dont je me suis emparé dès ma nomination et qui fait l'objet de nombreuses discussions depuis un an, notamment avec le président Frédéric Bierry.

Nous sommes sensibles aux difficultés rencontrées depuis quelques années par les conseils départementaux pour la mise à l'abri, l'évaluation et la prise en charge des mineurs non accompagnés, qui sont mineurs avant d'être étrangers et doivent à cet égard bénéficier de la protection de notre pays.

Depuis le début de l'année 2019, nous avons renforcé l'appui opérationnel et financier apporté aux départements.

Il y a eu, vous le savez, une réforme des modalités de participation financière forfaitaire de l'État à la phase de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se présentant comme mineurs non accompagnés. Il s'agissait de permettre une compensation plus juste des dépenses engagées par les départements, sur la base d'un forfait de 500 euros par jeune évalué, dont 90 euros pour la réalisation d'un examen médical obligatoire, auxquels s'ajoutent 90 euros par jour de mise à l'abri pendant quatorze jours, puis 20 euros par jour pendant les neuf jours suivants au maximum.

Pour 2019, le Gouvernement et l'Assemblée des départements de France se sont mis d'accord sur la prolongation de cette aide exceptionnelle, pour un montant de 175 millions d'euros en 2019.

Sur un plan opérationnel, conformément à l'article 51 de la loi du 10 septembre 2018, nous avons déployé un outil d'appui à l'évaluation de la minorité, le fameux fichier AEM, qui vise à faciliter et fiabiliser l'évaluation, par chaque département, de la situation des personnes se présentant comme mineurs non accompagnés. Cet outil est opérationnel depuis le 7 février 2019. Nous ne l'avons pas rendu obligatoire, mais, aujourd'hui, la quasi-totalité des départements – seulement une dizaine fait exception – y a recours. D'ailleurs, le département du Bas-Rhin figurait parmi les territoires d'expérimentation de ce dispositif, et je tiens à remercier ici son président Frédéric Bierry.

Ce traitement AEM a notamment pour vocation de lutter contre les évaluations multiples de minorité, dues à une sorte de « nomadisme administratif », qui contribuent à emboliser le système et peuvent accroître les coûts supportés par les départements. Son utilisation s'est traduite, notamment dans le Bas-Rhin – vous en aurez la confirmation auprès de votre président –, par une baisse de 15 % à 20 % des flux, selon les estimations actuelles.

Enfin, nous avons revu – je m'y étais engag頖 le dispositif de répartition entre départements des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. Cette clé de répartition se fondait sur la population des jeunes âgés de 19 ans et moins présente sur le territoire ; nous l'avons revue pour intégrer des critères démographiques avant, éventuellement, d'y ajouter d'autres critères pour prendre en compte la réalité socio-économique des territoires.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d'État !

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. Mais cette dernière évolution, qui nécessite de passer par la loi, se fera dans un second temps.

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