Question de M. JOLY Patrice (Nièvre - SOCR) publiée le 07/05/2020

M. Patrice Joly attire l'attention de M. le Premier ministre sur la responsabilité personnelle et pénale des maires et celle des collectivités à l'aune du déconfinement prévu le 11 mai 2020.

À la suite des annonces du Premier ministre à l'Assemblée nationale, le 28 avril 2020, une fois encore, les maires sont placés en première ligne dans la crise sanitaire, sans précédent, que traverse notre pays.

Dans un contexte très difficile, ils pallient les manques et assurent la continuité des services publics et de l'État. Ils ont eu à organiser, dans l'urgence et avec parfois peu de moyens, le premier tour des élections municipales, puis l'accueil des enfants des personnels de santé, la continuité des services municipaux… Aujourd'hui, il leur est demandé de jouer un rôle moteur dans le déconfinement qui s'annonce.

Plus que jamais, ils doivent assurer la protection de leur population et de leurs agents. Il reste cependant des zones d'ombre autour de la question de la responsabilité personnelle des maires, y compris pénale, et de celle des collectivités, ce qui soulève de nombreuses craintes de leur part.

Ainsi, concernant la réouverture des écoles, ils s'interrogent sur leur capacité à appliquer cette décision d'ouverture des écoles dans des conditions satisfaisantes du point de vue sanitaire, compte tenu des moyens limités dont ils disposent en termes de protection, locaux, équipements, personnels : il lui demande comment est envisagée l'articulation des décisions de l'éducation nationale et de celles des mairies qui auront la responsabilité matérielle de cette ouverture s'agissant des locaux (désinfection), de la restauration, de la distanciation sociale etc. ; ce qu'il en est de l'ensemble des mesures de protections concernant les enseignants et du rôle de l'éducation nationale. Dans ces conditions, ils craignent que leur responsabilité puisse être engagée en cas de contamination d'un élève, d'un membre du personnel, d'un enseignant ou de tout intervenant nécessaire au fonctionnement de ce service public.

De plus, l'annonce du président de la République de fournir des masques « grand public » à chacun de nos concitoyens, dont la distribution pourrait être assurée au moins en partie par les communes, pose également la question de la responsabilité des maires. Ils se demandent si la responsabilité de la commune distribuant des masques à ses habitants peut être engagée de même que celle du maire ; si ces responsabilités sont susceptibles d'être appréciées différemment selon les bénéficiaires, qu'ils soient des agents ou la population ; si cette responsabilité est différenciée selon les types de masques distribués compte tenu de leur efficacité, FFP2, chirurgicaux ou en tissu.

Plus particulièrement, s'agissant des masques en tissu, ils s'interrogent sur les risques particuliers liés aux matériaux utilisés et dans les modalités de conception (quand bien même les normes de l'agence française de normalisation - AFNOR - seraient censées être suivies), sur l'efficacité des masques en tissu par rapport à des masques FFP2, sur le nombre de masques nécessaires pour leur population selon le type de masque (FFP2, chirurgicaux, tissu) afin de procéder aux commandes les plus justes, sur la date à laquelle chaque Français sera destinataire d'un masque et les modalités de distribution sachant que diverses hypothèses sont envisagées, sur les aides financières et logistiques apportées par l'État et sur la nécessité pour les communes de faire des dotations de masques à leurs administrés au regard du nombre de masques nécessaires pour chaque Français.

C'est pourquoi les interrogations des maires étant multiples, il lui demande de bien vouloir répondre à toutes leurs interrogations et de lui indiquer les mesures que le Gouvernement envisagent pour les protéger.

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Transmise au Ministère de la justice


Réponse du Ministère de la justice publiée le 03/09/2020

Lorsque les maires n'ont pas causé directement le dommage, par exemple pour les infractions non intentionnelles telles que les blessures involontaires en cas de contamination par le covid-19 sur les lieux dont le maire a la responsabilité, notamment les écoles, les conditions d'engagement de leur responsabilité pénale sont restrictives. Pour de telles infractions non intentionnelles, la loi exige depuis la loi dite « Fauchon » du 10 juillet 2000 que la faute soit plus importante lorsque le lien de causalité avec le dommage est indirect. Le quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal prévoit ainsi que « les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter », ne sont responsables que si elles ont commis : - Soit une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ; - Soit une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer. Par conséquent, la faute pénale non intentionnelle des maires ne peut être retenue dans de telles circonstances qu'en cas de faute d'une particulière intensité. Par ailleurs, l'article 1er de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions a introduit dans le code de la santé publique un article L. 3136-2 relatif aux conditions d'engagement de la responsabilité pénale en cas de catastrophe sanitaire. En application de cet article, l'article 121-3 du code pénal est applicable « en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l'auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l'état d'urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu'autorité locale ou employeur ». Ce nouvel article constitue une disposition interprétative de l'appréciation in concreto de la faute d'imprudence ou de négligence énoncée par le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal. Il rappelle ainsi que seul peut être considéré comme fautif un comportement qui n'est pas celui d'une personne normalement diligente au regard des circonstances de l'espèce. Ces dispositions exigent des juridictions qu'elles se livrent à une analyse approfondie des situations, c'est-à-dire du contexte très particulier dans lequel ont été prises les décisions, afin de pouvoir caractériser l'existence d'une faute d'imprudence ou de négligence de la part des décideurs. Les conditions restrictives d'engagement de la responsabilité pénale exposées ci-dessus doivent ainsi permettre aux maires de poursuivre leur mission au service de leur commune sans que le risque pénal les empêche, dans le contexte de la crise sanitaire, de prendre les décisions qu'ils estiment devoir prendre dans l'intérêt général de leurs administrés.

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