Question de Mme CONWAY-MOURET Hélène (Français établis hors de France - SOCR) publiée le 07/05/2020

Mme Hélène Conway-Mouret attire l'attention de Mme la ministre des armées sur les difficultés d'accès aux financements des entreprises du secteur de la défense.
La France est partie à de nombreux accords multilatéraux ayant pour objet la régulation du commerce des armes. Elle a ainsi adhéré aux « principes directeurs des Nations unies pour les droits de l'homme et des entreprises », dont le principe 13 dispose que « la responsabilité de respecter les droits de l'homme exige des entreprises (…) qu'elles s'efforcent de prévenir ou d'atténuer les incidences négatives sur les droits de l'homme qui sont directement liées à leurs activités, produits ou services par leurs relations commerciales ». Conformément à ces normes internationales, la plupart des banques privées ont développé une politique de responsabilité sociale et environnementale (RSE) spécifique au secteur de la défense et de la sécurité, définissant des critères d'exclusion à la fourniture de produits et de services financiers et aux investissements.
Si la légitimité de ces chartes ne saurait être discutée au titre de la RSE des entreprises, il en va différemment de l'interprétation « extensive » dont elles peuvent faire l'objet. Ainsi, lorsqu'ils évaluent le profil de leurs clients existants ou potentiels dans le secteur de la sécurité et de la défense, les organismes de prêts privés procèdent à un examen objectif des risques engendrés par leurs activités au regard du corpus normatif international, mais aussi à un examen plus subjectif lié à l'impact que leurs décisions de financement pourraient avoir sur leur réputation. De fait, les entreprises de défense et de sécurité voient régulièrement leurs demandes d'emprunts refusées. De même, la banque européenne d'investissement (BEI) exclut de son champ de financement « les munitions et armes, équipements ou infrastructures militaires ou policiers » (BEI, 22 avril 2013). Celles qui y auraient intérêt ne peuvent davantage se tourner vers les fonds d'investissements ou les « business angels », pour lesquels la rentabilité financière dans le domaine de la défense est jugée insuffisante.
Ces refus engendrent une triple conséquence. D'une part, les entreprises sont soit obligées d'abandonner un marché soit contraintes de recourir aux banques étrangères, ce qui entame directement notre souveraineté. D'autre part, les start-up qui souhaitent intervenir dans le domaine militaire se retrouvent défavorisées par rapport à celles qui le font dans le champ civil, alors que les innovations en matière de défense trouvent généralement une application duale. Enfin, si la crise économique à laquelle nous sommes actuellement confrontés passe par une politique de relance à travers la mobilisation des banques privées, les entreprises de la défense continueront à être lésées. Ajoutons qu'il y a une incohérence à refuser l'accès des entreprises françaises du secteur de la défense aux capitaux dont elles ont besoin alors que, dans le même temps, l'État multiplie de dispositions législatives et réglementaires ayant pour objet de protéger « les entreprises stratégiques ». Or obliger une entreprise française opérant dans ce secteur à recourir à des capitaux étrangers conduit aux mêmes effets que si celle-ci cédait une partie de son capital à ces mêmes capitaux étrangers.
Elle lui demande donc quelle mesure l'État entend prendre pour corriger cette défaillance du marché, soit en incitant les banques privées à soutenir nos industriels de défense, soit en faisant appel à des dispositifs comme « RAPID » sous l'égide de la direction générale de l'armement et « DefInvest » mis en place par le ministère des armées et Bpifrance. Elle l'interroge également sur la possibilité de solliciter des fonds européens.

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Transmise au Ministère des armées


Réponse du Ministère des armées publiée le 12/11/2020

Les normes internationales conduisent les banques et les fonds d'investissement à développer une politique de responsabilité sociale et environnementale (RSE) dont la conduite peut engendrer des exclusions de financement de certains secteurs. On le constate dans le domaine de l'énergie fossile mais également de plus en plus souvent dans le secteur spécifique de la défense et de la sécurité. Cette situation peut ainsi conduire à l'incapacité pour les entreprises de défense, et en particulier les petites et moyennes entreprises (PME), les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et start-up, à se financer en France à des étapes charnières de leur développement ou d'obtenir des prêts ou des crédits dans leurs démarches à l'export. Les entreprises et les groupements professionnels évoquent régulièrement ce sujet avec le ministère des armées, notamment au sein du comité de politique industrielle de défense mis en place début 2019, et dont les réunions de travail sont pilotées par le service des affaires industrielles et de l'intelligence économique (S2IE) de la direction générale de l'armement (DGA). Ce sujet fait également l'objet d'échanges avec le ministère de l'économie, des finances et de la relance, et celui de l'action et des comptes publics, afin de rechercher des solutions pour accompagner le développement et la croissance de l'ensemble de la base industrielle de défense en intégrant pleinement les sociétés innovantes. Le ministère dispose de nombreux outils de soutien et d'accompagnement des PME, ETI et start-up de défense. Parmi ces dispositifs, a été créé en 2017 le fonds Definvest dont la gestion est confiée à Bpifrance, permettant de sécuriser le capital d'entreprises présentant un intérêt stratégique pour le secteur de la défense. Ce fonds, initialement doté de 50 millions d'euros (M€), permet de soutenir le développement de ces entreprises, notamment en matière d'innovation, mais aussi leur participation à des opérations de croissance externe en vue de consolider la filière. Depuis sa création, 8 entreprises en ont bénéficié pour un total investi par le ministère des armées de 13,5 M€ accompagné d'autres partenaires permettant de mobiliser au profit de ces sociétés 75,5 M€. On constate ainsi l'effet de levier que représente ce fonds. Dans le cadre du plan de relance, le ministère a doublé ce fonds pour le passer à 100 M€ afin d'accompagner les PME en difficultés dans le contexte de crise sanitaire actuel. Les entreprises du secteur peuvent également bénéficier du prêt SOFIRED-PME Défense géré par Bpifrance. Il finance les projets de développement ou de croissance externe des PME. Il prend la forme d'un prêt participatif de 100 000 à 1 000 000 d'euros, remboursable en 7 ans dont 2 ans de différé, en complément d'un cofinancement bancaire. L'Agence de l'innovation de défense, rattachée à la DGA, dispose d'un outil de financement dédié aux PME, le régime d'Appui pour l'Innovation Duale (RAPID). Celui-ci est un soutien à la recherche industrielle et au développement expérimental de projets s'appliquant dans les domaines civils et militaires. De nouveaux dispositifs ont été mis en place pour permettre aux entreprises, et en particulier les PME, de bénéficier d'un soutien, et le ministère y participe activement. Le Fonds européen de défense (FED), qui doit être doté à hauteur de 9 milliards d'euros (Md€) dans la proposition de Cadre financier Pluriannuel 2021-2027 de l'Union européenne, vise à apporter un soutien financier notamment via l'octroi de subventions aux projets, collaboratifs en matière de défense [1]. Ce fonds valorise la participation de PME aux projets, et dispose de capacités à accompagner certains projets portés exclusivement par des PME. Dans ce cadre, la DGA apporte un soutien actif aux PME de défense pour leur permettre de mieux comprendre le dispositif, de s'insérer dans les projets conduits par d'autres pays européens et d'y prendre part, notamment en les présentant aux grands maîtres d'œuvre européens. En complément, un dispositif d'accompagnement opérationnel est mis en place avec Bpifrance afin d'aider les PME à monter leur projet et leur dossier dans le cadre du FED. Pour permettre aux entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) de bénéficier pleinement de ces outils, la banque européenne d'investissement (BEI) qui en sera le principal partenaire financier, devra faire évoluer sa doctrine car elle exclut actuellement de son champ de financement « les munitions et armes, équipements ou infrastructures militaires ou policiers » (BEI, 22 avril 2013). En effet, bien qu'elle ne finance aujourd'hui que des projets civils ou duaux [3], aucune disposition du droit primaire ni du droit dérivé, pas plus que ses statuts, ne lui interdit de financer le secteur de la défense. À cet égard, la création du FED montre que l'Union européenne est en capacité de financer des projets dédiés à un usage militaire, car l'objectif est d'assurer la compétitivité de l'industrie de défense, ce qui est pleinement autorisé par les Traités. Les réflexions sur le sujet ont nettement évolué au cours de ces dernières années [4] et le Conseil européen, à l'initiative de la France, a demandé en 2019 à la BEI de s'impliquer davantage dans le domaine de la défense. De plus, le contexte actuel de crise renforce la nécessité d'étendre le champ d'action de la BEI afin qu'elle soit en mesure d'apporter un soutien à l'ensemble des secteurs industriels affectés. Les PME de la base industrielle et technologique de défense (BITD) pourront également avoir accès aux financements du programme Horizon Europe (qui prend la suite d'H2020) ; il est prévu d'être doté de 94,1 Md€ dans le Cadre financier pluriannuel 2021-2027 pour financer des projets de R&D et d'innovation au travers notamment de subvention ou d'instruments financiers. [1] Et déjà en 2019 et 2020 avec le Programme Européen de Développement Industriel pour la Défense. [2] Notamment le Fonds européen pour les investissements stratégiques ou les mécanismes spécifiques du programme pour la compétitivité des entreprises et des PME. [3] Dès décembre 2017 elle a adopté une stratégie intitulée « European security initiative » prévoyant d'investir sur trois ans 6 Md€ dans le domaine de la sécurité et de la défense, et elle finance aujourd'hui des projets duaux. [4] La BEI a par exemple indiqué vouloir s'impliquer plus fortement dans les activités de l'Agence Européenne de Défense.

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