Question de M. CANÉVET Michel (Finistère - UC) publiée le 11/06/2020

M. Michel Canevet attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances au sujet des déséquilibres qui persistent dans les relations commerciales entre les producteurs et la grande distribution.

Presque deux ans après la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, issue des états généraux de l'alimentation, l'objectif de rétablir l'équilibre des relations commerciales entre les producteurs et la grande distribution n'est pas encore atteint. En effet, au lieu d'avoir un impact positif sur le revenu des producteurs, elle a surtout eu pour conséquence de modifier l'offre de la grande distribution, et ce au détriment des petites et moyennes entreprises (PME) (le rythme de croissance des ventes en valeur des produits des PME a par exemple diminué de 3,7 points entre 2018 et 2019). Par ailleurs, les hausses de prix n'ont pas poussé les grandes surfaces à réduire leurs marges, comme escompté, mais ont été répercutées sur le consommateur (+ 3,43 % pour les premiers prix).

Pourtant, des dispositifs existent déjà : ainsi, l'article L. 442-1 du code de commerce permettrait déjà d'engager la responsabilité des acteurs de la grande distribution dès lors qu'ils soumettent ou tentent de soumettre les producteurs à des obligations créant un déséquilibre significatif dans leur relation. Par ailleurs, d'autres mécanismes pourraient être envisagés : aux États-Unis, le « Robinson-Patman act » de 1936 prohibe ainsi certaines pratiques de la grande distribution, notamment une discrimination au niveau des prix : cela pourrait permettre de protéger les producteurs et les PME face aux géants de la distribution, en fixant un prix identique d'achat. Cette loi interdit ainsi les ventes qui entraînent une discrimination par les prix lors de la vente de biens à des distributeurs situés dans la même situation, et ce depuis plusieurs décennies.

Il lui demande donc si des mesures de type Robinson Act peuvent être envisagées pour rétablir enfin un véritable équilibre dans les relations commerciales entre producteurs et grande distribution.

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Transmise au Ministère de l'économie, des finances et de la relance


Réponse du Secrétariat d'État auprès des ministres de l'économie, des finances et de la relance, et de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques publiée le 20/01/2021

Réponse apportée en séance publique le 19/01/2021

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, auteur de la question n° 1209, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de la relance.

M. Michel Canevet. Monsieur le secrétaire d'État, vous étiez dans le centre Finistère voilà une dizaine de jours et à Varennes-sur-Allier ce week-end. Vous avez pu constater l'importance de l'agriculture pour les zones rurales, mais aussi que certains producteurs, en particulier de viande bovine et de lait, souffrent terriblement, car ils ont du mal à vivre de la vente de leurs produits. On espère bien sûr une évolution technologique, notamment le recours aux outils connectés, pour améliorer la productivité, mais cela ne suffira pas.

Vous êtes par ailleurs conscient que, dans notre pays, la grande distribution est concentrée entre quelques mains et qu'elle assure l'essentiel des ventes des produits.

La loi Égalim, adoptée par le Parlement en 2018, n'a pas apporté de réponses à l'ensemble des problématiques auxquelles les producteurs sont confrontés. Elle ne leur permet pas de vivre du fruit de leur travail. Il faut maintenant travailler sur d'autres axes afin de trouver des solutions.

Aux États-Unis, depuis 1936, le Robinson-Patman Act, oblige les PME à vendre leurs productions au même prix à l'ensemble des distributeurs de façon à éviter la pression par les volumes.

Le Gouvernement envisage-t-il des solutions afin de permettre à l'ensemble des producteurs de gagner enfin leur vie grâce à la vente de leurs produits ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Michel Canevet, le Gouvernement est pleinement engagé dans la lutte contre les pratiques commerciales déloyales.

Vous l'avez rappelé, en 2018, le Président de la République a lancé les États généraux de l'alimentation, processus de concertation réunissant l'ensemble des acteurs de la filière agroalimentaire, qui a abouti au vote de la loi dite « Égalim ». Il faut souligner que, auparavant, le législateur a multiplié ses interventions dans le domaine des relations commerciales : loi Galland en 1996, loi relative aux nouvelles régulations économiques en 2001, loi en faveur des petites et moyennes entreprises, dite « loi Dutreil » en 2005, loi de modernisation de l'économie en 2008, loi Hamon en 2014, loi Sapin II en 2016.

Aujourd'hui, il importe de laisser les mesures de la loi Égalim produire leurs effets, d'autant qu'il est encore trop tôt pour mesurer leur impact, notamment sur le revenu des agriculteurs. C'est pour cette raison que le Parlement, par la loi d'accélération et de simplification de l'action publique, adoptée en octobre dernier, a prolongé jusqu'en 2023 l'expérimentation des mesures d'encadrement des promotions et de relèvement du seuil de revente à perte.

Par ailleurs, les interprofessions commencent à élaborer leurs indicateurs de coûts de production, comme le prévoit la loi, notamment dans la filière laitière que vous évoquiez.

Il est nécessaire de laisser le temps aux opérateurs de s'emparer du texte et de les inciter à la contractualisation en amont dans les filières. La DGCCRF, par son programme de contrôle, les pousse en ce sens. Il n'apparaît donc pas opportun de légiférer de nouveau à court terme, notamment pour rétablir l'interdiction de discrimination abusive, laquelle, je vous le rappelle, a été supprimée par le législateur en 2008.

Vous évoquez également la possibilité de poursuivre les distributeurs sur le fondement du déséquilibre significatif. Je vous informe que le ministre chargé de l'économie assigne régulièrement les distributeurs devant les tribunaux de commerce pour des pratiques abusives envers leurs fournisseurs. Depuis 2008, de nombreuses décisions de justice ont été rendues dans des affaires engagées par le ministre. Ainsi, des amendes civiles, pour un montant de 16 millions d'euros, ont été prononcées contre les auteurs de telles pratiques, parfois également condamnés à restituer aux fournisseurs lésés plus de 180 millions d'euros indûment perçus.

Très récemment, Bruno Le Maire a engagé deux actions judiciaires dans lesquelles il demande au juge la condamnation à près de 220 millions d'euros d'amende civile. En 2020, il a développé le recours aux sanctions administratives dans le domaine de pratiques restrictives de concurrence en sanctionnant quatre grands opérateurs de la distribution alimentaire pour non-respect de la date de signature des conventions.

Enfin, le législateur vient d'adopter, dans le cadre de la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, une disposition instituant la possibilité d'associer à une injonction administrative une astreinte financière dissuasive.

Le Gouvernement est donc particulièrement attentif à l'état des relations entre fournisseurs et distributeurs, notamment dans cette période de négociations commerciales, qui font l'objet d'un suivi spécifique des services de la DGCCRF.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, pour la réplique.

M. Michel Canevet. Je partage bien entendu votre analyse sur le foisonnement textuel, mais pas votre conclusion sur le fait que nous n'aurions pas assez de recul pour pouvoir analyser les effets de la loi Égalim.

Très concrètement, on voit qu'un certain nombre de producteurs, notamment de lait et de viande bovine, mais ils ne sont pas les seuls, ont du mal à vivre de leur activité, ce qui n'est pas normal. Il importe donc d'agir. Agir, cela signifie trouver d'autres solutions !

Je sais que le Gouvernement a confié une mission à Serge Papin sur ce sujet : il faudra qu'elle produise des résultats. Ils sont très attendus sur le terrain.

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