Question de M. RETAILLEAU Bruno (Vendée - Les Républicains) publiée le 11/06/2020

Question posée en séance publique le 10/06/2020

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, il y a quelques semaines, je vous ai entendu parler d'« écroulement ». Personnellement, ce terme ne m'avait pas choqué. Vous parliez alors d'un écroulement économique et social ; aujourd'hui, la menace qui est devant nous est celle d'un écroulement civique.

Comment, en quelques jours, avez-vous pu laisser l'État autant reculer ? Vous avez autorisé des manifestations interdites et, surtout – surtout ! –, vous avez laissé faire des minorités agissantes qui, sous prétexte de l'antiracisme, veulent propager la haine vis-à-vis de nos forces de l'ordre et fracturer notre modèle républicain.

Quand une garde des sceaux s'immisce dans une affaire privée, alors qu'elle doit être le garant de l'indépendance de la justice, c'est évidemment l'État de droit qui est fragilisé. Quand, en réponse à son invitation imprudente, elle se voit infliger un camouflet calculé, c'est toute la République qui est humiliée !

Quand votre ministre de l'intérieur déclare que l'émotion doit dépasser la règle de droit – mes chers collègues, c'est dans cette enceinte que nous votons la loi ! –, c'est évidemment là encore une fragilisation de l'État de droit. C'est la porte ouverte à la loi de la jungle et la possibilité compromise, demain, de la concorde civile.

Quand le même ministre fait cette trouvaille, cette acrobatie sémantique de « soupçon avéré », qui va livrer nos policiers et nos gendarmes à la présomption de culpabilité, c'est évidemment la présomption d'innocence qui est défigurée !

Alors, certes, vous avez raison, nous devons être intraitables avec et contre le racisme, mais il ne faut pas tomber dans les pièges tendus par ceux qui veulent communautariser la France et désigner notre pays comme éternellement coupable !

Monsieur le Premier ministre, les policiers et les gendarmes sont notre bouclier. Vous ne pouvez pas simplement nous dire, tout en leur proclamant votre respect et votre estime, qu'ils sont effectivement pour nous une protection : vous devez le leur prouver ! Reprenez-vous à votre compte l'expression de votre ministre de l'intérieur ? Reprenez-vous à votre compte l'initiative de votre garde des sceaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)


Réponse du Premier ministre publiée le 11/06/2020

Réponse apportée en séance publique le 10/06/2020

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Retailleau, je connais votre maîtrise du langage, qui est d'ailleurs souvent admirée. C'est la raison pour laquelle, vous sachant précis, je suis surpris par un certain nombre des expressions que vous avez utilisées dans votre intervention. J'ai du reste essayé de les noter pour ne pas m'exposer à la même critique que celle que je pourrais éventuellement formuler.

Vous avez dit, monsieur le président Retailleau, que la garde des sceaux avait voulu s'immiscer dans une affaire privée. Il n'en est rien : le fait que la ministre de la justice propose de recevoir le comité qui s'est constitué autour de l'affaire Adama Traoré, que je ne connais pas, mais qui existe, pour savoir où nous en sommes, pour avoir un échange sur des faits qui sont anciens, comme vous le savez, sur une instruction qui est lente – vous le déplorez comme moi –, ne constitue en aucune façon une immixtion dans la procédure en cours.

Il est vrai que si, à l'invitation d'un membre de la famille, la garde des sceaux donnait une instruction individuelle, nous serions dans l'illégalité. Or il ne vous a pas échappé que la garde des sceaux avait à juste titre indiqué qu'il n'en était pas question et qu'il ne saurait en être question.

Monsieur le président Retailleau, en vous plaçant sur ce terrain, je crois que vous ne décrivez pas réellement la position de la garde des sceaux, ni son expression, ni la volonté qu'elle a exprimée.

De la même façon, vous faites le reproche au ministre de l'intérieur de se placer en dehors des règles de la République, parce qu'il aurait évoqué dans une interview – vous le savez, dans une interview, on répond – le concept de « soupçon avéré », dont je reconnais volontiers qu'il peut s'apparenter à un oxymore.

Si vous le pensez vraiment, monsieur le président, vous ignorez – mais je sais bien que ce n'est pas possible – la pratique administrative actuelle. Que se passe-t-il quand des faits, qui n'ont pas donné lieu à une déclaration de culpabilité, sont susceptibles de troubler l'exercice du service public ? L'autorité administrative peut et, souvent, doit prendre des mesures, telles qu'une suspension, par exemple. Ce n'est en rien une méconnaissance de la présomption d'innocence, comme vous semblez le déplorer : c'est simplement de bonne administration.

Ce n'est pas moi qui ai inventé cette pratique, non plus que le ministre de l'intérieur : c'est la pratique constante – constante, monsieur le président Retailleau ! – de l'administration. C'est du reste une bonne pratique et je l'assume. En effet, lorsque des faits sont de nature à rendre impossible l'exercice serein du service public et que la justice n'a pu déterminer si les auteurs présumés de ces faits sont coupables, l'autorité administrative est dans son droit en suspendant ses agents. C'est ce qu'a voulu dire le ministre de l'intérieur, et il a parfaitement bien fait de le dire.

Puisque vous et moi sommes attachés à la République, je préférerais que nous expliquions tout cela ensemble à nos concitoyens, parce qu'il est vrai que n'est pas simple, plutôt que vous feigniez d'avoir compris un autre sens à nos propos que celui que nous leur donnons. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. Marc-Philippe Daubresse. L'émotion ne prime pas le droit !

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