Question de M. SUEUR Jean-Pierre (Loiret - SOCR) publiée le 18/06/2020

M. Jean-Pierre Sueur appelle l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la parution du décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 portant création du traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DataJust ». Ce décret permet au ministère de la justice de mettre en œuvre, pour une durée de deux ans, un traitement automatisé de données à caractère personnel ayant pour finalité de développer un référentiel afin d'évaluer financièrement les préjudices. Or, des associations de protection des victimes de médicaments ainsi que des professionnels œuvrant dans le domaine de la justice regrettent de ne pas avoir été consultés préalablement à la publication de ce décret qui a par ailleurs été publié dans en période de crise sanitaire bien qu'il ne présente pas de caractère d'urgence. Sur le fond, ces associations et ces professionnels craignent que l'algorithme mis en œuvre dans ce traitement puisse poser des problèmes au regard du principe de personnalisation de la réparation des préjudices. Dans son arrêt du 20 novembre 2014, la Cour de Cassation a ainsi réaffirmé l'importance de ce principe en indiquant, dans son jugement que « la réparation du préjudice doit correspondre à ce dernier et ne saurait être forfaitaire ». Il lui demande donc quelles mesures elle compte prendre pour garantir que la mise en place de l'outil « DataJust » ne se traduira pas par l'instauration de barèmes en matière de réparation et conséquemment par une remise en cause de la personnalisation de la réparation des préjudices.

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Transmise au Ministère de la justice


Réponse du Ministère de la justice publiée le 01/10/2020

Il convient de rassurer les professionnels de la justice sur la teneur de ce décret, dont la parution durant la période d'urgence sanitaire tient au calendrier d'examen du texte par le Conseil d'État. Cette parution est donc sans lien avec la crise sanitaire, s'agissant d'un projet sur lequel le ministère de la justice a, au demeurant, communiqué amplement depuis son lancement. Le décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 portant création du traitement automatisé de données à caractère personnel « Datajust » vise, ainsi qu'il est souligné, à évaluer la possibilité d'élaborer un référentiel indicatif d'indemnisation des chefs de préjudices corporels extra-patrimoniaux, tels que les souffrances endurées ou le préjudice esthétique. La création d'un tel référentiel est en effet envisagée dans l'avant-projet de réforme de la responsabilité civile, qui a fait l'objet d'une large consultation publique en 2016 et qui est appelé à être débattu au Parlement. Il s'agirait d'un référentiel purement indicatif et qui aurait vocation à être réévalué régulièrement. Il répond à l'absence, pour l'heure, d'outil officiel, gratuit et fiable à disposition des publics concernés (victimes, assureurs, fonds d'indemnisation, avocats, magistrats). Il faut rappeler que divers référentiels « officieux » sont aujourd'hui utilisés par les praticiens. Ce projet novateur repose sur une méthode inductive, puisqu'il propose de partir de l'observation fine des trois dernières années de jurisprudence des juridictions administratives et judiciaires et de recourir, pour ce faire, aux technologies d'intelligence artificielle, en collaboration avec des magistrats. Loin de remplacer les professionnels du droit par des algorithmes, ce référentiel indicatif vise à mieux les informer, ainsi que les victimes qu'ils sont amenés à conseiller, sur le montant de la réparation que ces victimes sont susceptibles d'obtenir devant les juridictions - à l'instar du référentiel inter-cours ou des bases de données de jurisprudence actuellement utilisées par les praticiens. Mais cette indemnisation restera intégrale, ce point est essentiel. Loin de figer les indemnisations ou de porter atteinte à l'individualisation de la réparation, ce projet vise, in fine, à permettre une plus juste indemnisation des victimes dans le respect total de l'indépendance du juge. Le décret du 27 mars 2020 est enfin très circonscrit, puisqu'il encadre uniquement le développement informatique de l'algorithme destiné à créer ce référentiel indicatif pour une période de temps limitée à deux années. Cette étape doit permettre au ministère de la justice d'évaluer la faisabilité technique du projet. Si les travaux à mener s'avèrent concluants, un second décret viendra ensuite encadrer la mise à disposition au public, en conformité avec les règles prévues pour la mise œuvre de l'open data des décisions de justice. Une consultation aura alors lieu sur ce second projet de décret.

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