Question de M. MIZZON Jean-Marie (Moselle - UC) publiée le 25/06/2020

M. Jean-Marie Mizzon interroge M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique, sur l'inquiétante intrusion des algorithmes dans la vie des Français notamment en matière judiciaire. Le 27 mars 2020, alors que la France est en plein confinement, un décret est publié au Journal officiel. Il autorise le ministère de la justice à développer DataJust, un algorithme destiné à : « l'élaboration d'un référentiel d'indemnisation des préjudices corporels ». Aussitôt, les avocats, vent-debout contre ce texte, dénoncent : « une barémisation de la vie humaine » qui se résumerait dès lors à un code-barres. DataJust va effectivement permettre la collecte de toutes les décisions de justice liées à des dossiers d'indemnisation de victimes depuis 2017. Cet algorithme va, par-là même, constituer une base de données sur laquelle les juges pourront s'appuyer pour rendre leur décision. Or, toute vie humaine est singulière et, par voie de conséquence, chaque dossier est particulier et ne peut souffrir une justice mécanisée. De plus, remplacer l'intelligence du juge par une intelligence artificielle qui repose sur un algorithme au prétexte de rendre une justice égalitaire équivaudrait plutôt à la rendre inéquitable par la négation du particularisme de chaque dossier. Aussi, il souhaite savoir si DataJust a fait l'objet d'une étude préalable quant à la légitimité de sa création et au bien-fondé de son utilisation.

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Transmise au Ministère de la justice


Réponse du Ministère de la justice publiée le 01/10/2020

Il convient de rassurer les professionnels de la justice sur la teneur de ce décret, dont la parution durant la période d'urgence sanitaire tient au calendrier d'examen du texte par le Conseil d'État. Cette parution est donc sans lien avec la crise sanitaire, s'agissant d'un projet sur lequel le ministère de la justice a, au demeurant, communiqué amplement depuis son lancement. Le décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 portant création du traitement automatisé de données à caractère personnel « Datajust » vise, ainsi qu'il est souligné, à évaluer la possibilité d'élaborer un référentiel indicatif d'indemnisation des chefs de préjudices corporels extra-patrimoniaux, tels que les souffrances endurées ou le préjudice esthétique. La création d'un tel référentiel est en effet envisagée dans l'avant-projet de réforme de la responsabilité civile, qui a fait l'objet d'une large consultation publique en 2016 et qui est appelé à être débattu au Parlement. Il s'agirait d'un référentiel purement indicatif et qui aurait vocation à être réévalué régulièrement. Il répond à l'absence, pour l'heure, d'outil officiel, gratuit et fiable à disposition des publics concernés (victimes, assureurs, fonds d'indemnisation, avocats, magistrats). Il faut rappeler que divers référentiels "officieux" sont aujourd'hui utilisés par les praticiens. Ce projet novateur repose sur une méthode inductive, puisqu'il propose de partir de l'observation fine des trois dernières années de jurisprudence des juridictions administratives et judiciaires et de recourir, pour ce faire, aux technologies d'intelligence artificielle, en collaboration avec des magistrats. Loin de remplacer les professionnels du droit par des algorithmes, ce référentiel indicatif vise à mieux les informer, ainsi que les victimes qu'ils sont amenés à conseiller, sur le montant de la réparation que ces victimes sont susceptibles d'obtenir devant les juridictions - à l'instar du référentiel inter-cours ou des bases de données de jurisprudence actuellement utilisées par les praticiens. Mais cette indemnisation restera intégrale, ce point est essentiel. Loin de figer les indemnisations ou de porter atteinte à l'individualisation de la réparation, ce projet vise, in fine, à permettre une plus juste indemnisation des victimes dans le respect total de l'indépendance du juge, et de manière transparente. La loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 dite « République numérique » impose en effet la transparence des algorithmes publics, offrant ainsi une garantie supplémentaire contre un éventuel phénomène de « boîte noire » en matière d'usages judiciaires de l'intelligence artificielle. Le décret du 27 mars 2020 est enfin très circonscrit, puisqu'il encadre uniquement le développement informatique de l'algorithme destiné à créer ce référentiel indicatif pour une période de temps limitée à deux années. Cette étape doit permettre au ministère de la justice d'évaluer la faisabilité technique du projet. Si les travaux à mener s'avèrent concluants, un second décret viendra ensuite encadrer la mise à disposition au public, en conformité avec les règles prévues pour la mise œuvre de l'open data des décisions de justice. Une consultation aura alors lieu sur ce second projet de décret.

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