Question de Mme ROSSIGNOL Laurence (Oise - SER) publiée le 29/10/2020

Mme Laurence Rossignol appelle l'attention de Mme la ministre de la transition écologique au sujet de la pratique de la chasse à courre.

Chaque année, la pratique de la chasse à courre donne lieu à des conflits d'usage et à des tensions avec les riverains chez lesquels les grands animaux viennent se réfugier. L'occupation des routes et des chemins forestiers par les équipages provoque également des différends sérieux avec les promeneurs et les automobilistes.
La population et l'opinion acceptent de plus en plus mal cette pratique. Depuis l'ouverture de la chasse pour la saison 2020, à Compiègne, dès le premier jour, un cerf s'est réfugié dans un chantier de la ville, mobilisant les forces de gendarmerie. En Indre-et-Loire, une meute de chiens hors de contrôle s'est introduite dans un élevage et a dévoré un lama.

La chasse à courre est interdite chez nombre de nos voisins : depuis une cinquantaine d'années en Allemagne, depuis vingt-cinq ans en Belgique, et en Angleterre, Écosse et au Pays de Galles depuis le début des années 2000.

En France, cette pratique, abolie à la Révolution et rétablie par Napoléon, continue de se pratiquer dans 67 départements du 15 septembre au 31 mars.

La chasse à courre ne participe pas à la régulation des espèces : le nombre des bêtes tuées par chasse à courre est infime par rapport au nombre d'animaux abattus dans une saison de chasse. Ce n'est pas tant la quantité des animaux tués qui heurte que la manière dont ils sont chassés.
Outre sa grande brutalité envers les animaux poursuivis, la chasse à courre n'est pas une activité sans conséquence sur le reste de la faune, qu'elle perturbe. Elle porte atteinte aux populations de cervidés, car la recherche du beau trophée conduit à chasser les meilleurs reproducteurs potentiels.

En France, la chasse à courre ne répond donc pas à des nécessités écologiques car elle ne remplace pas l'action des prédateurs qui eux chassent pour se nourrir et attaquent de préférence des animaux malades et déficients. Elle est de surcroît particulièrement néfaste au moment du brame et perturbe gravement l'équilibre de la forêt : sonneries de trompes, allées et venues des équipages, des chiens, des véhicules.

Elle ne répond pas davantage à des traditions populaires ancestrales. Désapprouvée même par de nombreux autres chasseurs, elle n'est qu'un jeu barbare pratiqué par quelques initiés. En matière de souffrance animale, elle génère des douleurs pour l'animal poursuivi. Les examens biochimiques effectués sur des échantillons de muscle et de sang de cerfs victimes sont caractéristiques d'un grand stress et de souffrances spécifiques.

Pourtant, le nombre des chasses à courre est en constante augmentation : cette hausse ne s'explique pas par un renforcement de l'adhésion à la pratique de la chasse à courre, mais parce que les équipages européens viennent en France du fait des interdictions en vigueur dans leurs pays.

Elle lui demande donc si elle entend prendre une initiative pour mettre fin à la pratique de la chasse à courre, comme elle l'a déjà fait concernant la chasse à la glu.

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Réponse du Secrétariat d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargé de la biodiversité publiée le 06/11/2020

Réponse apportée en séance publique le 05/11/2020

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, auteure de la question n° 1332, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.

Mme Laurence Rossignol. Ma question concerne la pratique de la chasse à courre, dont il ne vous a probablement pas échappé, madame la secrétaire d'État, qu'elle donne lieu, chaque année, à des tensions de plus en plus grandes entre, d'une part, les riverains et les autres usagers de la forêt et, d'autre part, les veneurs. L'occupation des routes et des chemins forestiers est de plus en plus conflictuelle.

Pour des raisons tenant probablement à l'extension de l'urbanisme, les animaux, dans ma région, ont pris quasiment l'habitude de venir se réfugier dans des zones urbanisées, dans les centres-villes parfois. À Compiègne, par exemple, le jour de l'ouverture de la chasse, un grand cerf est venu se réfugier dans un chantier ; il a fallu l'intervention de la gendarmerie. Très récemment, une meute de chiens a attaqué un élevage de lamas et en a dévoré un.

Cette pratique n'a aucune justification écologique, le nombre de bêtes tuées dans une chasse à courre n'étant pas de nature à concourir à la régulation des espèces. Elle est même anti-écologique, puisqu'il faut chercher le plus bel animal, le plus beau trophée. Ce sont donc souvent de beaux reproducteurs qui sont tués par les veneurs. La chasse à courre ne correspond pas non plus à des traditions ancestrales, et elle est désapprouvée par nombre de nos concitoyens, ainsi que par beaucoup de chasseurs. C'est un jeu barbare qui entraîne des douleurs importantes chez l'animal. Or nous avons reconnu, voilà quelques années, la sensibilité animale dans notre droit.

Le nombre de chasses à courre est en constante augmentation, puisque les ressortissants d'autres pays européens, qui ont, eux, interdit la chasse à courre, viennent en France la pratiquer.

Ma question est simple : après avoir annoncé la fin de la chasse à la glu, le gouvernement auquel vous appartenez entend-il abolir la chasse à courre ?

Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Rossignol, vous le soulignez à raison, notre sensibilité et notre regard vis-à-vis du monde animal ont évolué. Il suffit de voir la place très importante que cette question a prise dans le débat public aujourd'hui. Nous sommes attendus et observés sur ces sujets.

Nos habitudes, nos pratiques, nos patrimoines culturels peuvent évoluer. Ainsi, nous avons récemment pris des décisions fortes, en concertation avec les acteurs concernés, sur les cirques itinérants qui pouvaient détenir des animaux sauvages ou sur les delphinariums.

Concernant la chasse, j'appartiens à un gouvernement qui, par un dialogue régulier avec les chasseurs, a permis le plus d'avancées pour encadrer les pratiques et répondre à ces inquiétudes. Le chemin est long, et nous devons avoir ce débat.

La vénerie regroupe à ce jour 390 équipages, pour 70 000 veneurs et suiveurs. Vous évoquez les craintes sur les populations de cervidés. Or les prélèvements sont assez faibles. En outre, ils sont réalisés dans le cadre d'un plan de chasse à l'échelle d'un territoire, qui vise à assurer la conservation d'une population de cervidés viable. Le cerf élaphe a d'ailleurs vu son aire de répartition s'étendre.

Le récent incident de Compiègne a permis de réaffirmer les mesures applicables aux modalités d'encadrement de fin de chasse à courre qui ont été adoptées en réponse aux incidents de l'automne 2018 dans l'Oise. Un arrêté du 25 février 2019 a modifié celui du 18 mars 1982 relatif à la vénerie pour introduire les règles suivantes : l'animal est gracié dès lors qu'il se trouve à proximité des habitations, jardins ou zones commerciales ; le maître d'équipage veille à ce que l'animal ne soit pas approché, s'assure de la sécurité des personnes, met tout en œuvre pour retirer les chiens dans les meilleurs délais et facilite le déplacement de l'animal loin de la zone habitée ; il peut enfin être décidé de faire procéder à l'anesthésie de l'animal.

La société de vénerie a, de son côté, établi une charte de bonnes pratiques, qui impose un retrait des chiens si le gibier arrive en ville et de le gracier dans cette situation.

Enfin, je rappelle qu'à chaque incident de chasse une enquête est diligentée afin de vérifier si toutes les procédures évoquées ont bien été respectées, chacun s'exposant à des sanctions si tel n'était pas le cas.

Toute évolution, quelle qu'elle soit, qu'elle concerne les pratiques ou les outils de gestion adaptative, vous le savez, nécessite un dialogue, un échange. Ces objectifs doivent être éclairés par une donnée scientifique, qui accompagne ce nouveau regard sur le capital naturel. Des solutions et un diagnostic partagés dans le dialogue : voilà ce à quoi je m'engage.

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour la réplique.

Mme Laurence Rossignol. Je vous remercie, madame la secrétaire d'État, de renforcer tous les arguments que j'ai avancés contre la chasse à courre. Je vous remercie également d'en apporter de nouveaux, mais la conclusion de votre propos n'est pas à la hauteur de votre sensibilité sur le sujet.

Vous avez énoncé toutes les mesures qui ont été prises pour limiter les dangers de la chasse à courre. Pour dire les choses très franchement, il me semble que, dans notre région, nos préfets et nos gendarmes ont autre chose à faire que de réguler la pratique de la chasse à courre. C'est une perte de temps pour la force publique, une perte de temps pour l'État.

Vous en appelez au dialogue. Si le Gouvernement pouvait avoir le même sens du dialogue quand il s'agit des mesures qu'il prend sur le plan social, ce serait une très bonne chose ! (Mme Catherine Procaccia s'esclaffe.)

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