Question de M. ALLIZARD Pascal (Calvados - Les Républicains) publiée le 10/12/2020

M. Pascal Allizard attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de la relance à propos des dangers des cryptomonnaies et systèmes de paiement des entreprises du numérique.
Il rappelle que certaines des grandes entreprises de la technologie et du numérique sont investies dans des projets de systèmes de paiement, notamment de monnaie numérique.
Ces projets font peser un certain nombre de risques sociaux et économiques qui soulèvent des inquiétudes dans l'Union européenne et au-delà.
Comme viennent de le rappeler les autorités de la Banque centrale européenne, ces systèmes pourraient restreindre, plutôt qu'augmenter, le choix offert aux consommateurs, altérer la protection des données, menacer la stabilité financière et la souveraineté monétaire. Ils accroîtraient la dépendance vis-à-vis de technologies inventées et gérées ailleurs qu'en Europe.
De son côté, la BCE envisage de lancer un projet d'euro numérique.
Par conséquent, il souhaite savoir comment le Gouvernement se positionne par rapport au développement de systèmes de paiement des géants du numérique et comment il entend préserver la solidité du système financier de la zone euro dans ce contexte.

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Réponse du Ministère de l'économie, des finances et de la relance publiée le 11/03/2021

Il convient de rappeler que le Gouvernement entend fortement peser dans le débat concernant la création de monnaie virtuelle à la lumière des enjeux de souveraineté, qui doivent être fortement distinguées suivant qu'il s'agit d'une monnaie virtuelle publique (au cas d'espèce l'euro numérique) ou de de projets privés (les crypto-actifs à des fins de paiement). S'agissant d'une monnaie virtuelle publique, il importe de préciser à titre liminaire que la décision finale de créer ou non un euro numérique n'appartient pas au Gouvernement français seul mais requiert un accord des membres de l'Eurogroupe, en lien avec la Banque centrale européenne et les autres banques centrales, dans le cadre du Système européen des banques centrales (SEBC). C'est d'ailleurs dans ce cadre que des travaux théoriques visant à évaluer les avantages et les risques d'un euro numérique sont actuellement menés. À ce titre, la Banque centrale européenne (BCE) a effectivement publié un rapport sur l'euro numérique[i], suivant un modèle (i) placé sous la responsabilité de la BCE (un modèle dans lequel l'accès à l'euro numérique fait l'objet d'une intermédiation par le secteur bancaire privé demeurant possible), (ii) institué dans le cadre de l'Eurosystème, (iii) destiné aux ménages et aux entreprises, (vi) pour effectuer leurs paiements de détail (i.e. en complément des espèces et des dépôts de banque centrale de gros). Le rapport de la BCE souligne les avantages associés à un euro numérique : (i) conforter la numérisation de l'économie européenne et l'indépendance stratégique de l'UE ; (ii) offrir une alternative à la diminution du recours aux espèces et corrélativement garantir l'inclusion financière des personnes les plus vulnérables (hors du circuit bancaire) ; (iii) proposer une alternative pour les paiements en Europe et transfrontaliers ; (iv) constituer un nouveau canal de transmission de la politique monétaire ; (v) atténuer les risques pesant sur la fourniture normale de services de paiement (solutions plus diversifiées et sécurisées, meilleur résilience, garantie de stabilité associée à la monnaie banque centrale) ; (vi) renforcer le rôle international de l'euro ; (vii) favoriser l'abaissement du coût et de l'empreinte écologique des systèmes de paiement. Toutefois, sans même traiter à ce stade des défis relatifs à la faisabilité juridique du projet, le rapport insiste sur plusieurs points de vigilance : (i) le risque d'interférence avec la politique monétaire de la BCE, de stabilité financière (en particulier de l'élargissement de la taille de bilan de l'Eurosystème et de son exposition aux chocs éventuels dans le cas d'achats massifs d'euros digitaux par des non-résidents) et de fourniture de services par le secteur bancaire (risque de désintermédiation) ; (ii) les conséquences d'un euro numérique sur la profondeur et la liquidité de certains marchés d'actifs financiers ; (iii) les implications en termes de libertés fondamentales des citoyens, de protection des données, de résilience, de cybersécurité et de protection des consommateurs ; (iv) les conditions d'utilisation strictes en dehors de la zone euro et le rôle international de l'euro numérique. À la lumière de ces enjeux qui dépassent la stricte dimension monétaire, le Gouvernement se montre très attentif, en plaidant pour un approfondissement des travaux et en veillant à que les membres de l'Eurogroupe soient bien associés au processus de décision. Une décision finale devrait intervenir mi-2021 sur ce sujet. Par ailleurs, s'agissant des monnaies virtuelles privées (les crypto-actifs à des fin de paiement, et au sein d'entre eux, les stablecoins, qui prétendent offrir une valeur stable), le Gouvernement entend peser fortement sur les conditions de décision des acteurs privés dans le cadre d'une réglementation très exigeante : l'émergence des global stablecoins (au premier rang desquels le projet Libra) soulève en effet des enjeux inédits en terme de souveraineté (monétaire, économique, juridique, numérique et fiscale), du fait de leur usage potentiellement massif. Un encadrement juridique de ces crypto-actifs est actuellement en cours de négociation, la Commission européenne ayant proposé un projet de règlement en la matière. La France se félicite d'une approche européenne coordonnée en la matière, et plaide pour des règles exigeantes, de manière à ce que les projets de stablecoins ne permettent pas à l'émetteur de procéder à de la création monétaire et à bénéficier de seigneuriage privé, et à ce que le consommateur soit adéquatement protégé. _______ [i] https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/other/Report_on_a_digital_euro~4d7268b458.en.pdf

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