Question de Mme BENBASSA Esther (Paris - GEST) publiée le 17/12/2020

Mme Esther Benbassa interroge M. le ministre de l'intérieur sur les décrets n° 2020-1510, n° 2020-1511 et n° 2020-1512 du 2 décembre 2020 élargissant les possibilités de fichage des Français par les forces de l'ordre et le renseignement.

Le 4 décembre 2020, trois décrets pris par le Gouvernement sont parus au Journal officiel. Ces décrets suscitent légitimement l'inquiétude des défenseurs des libertés en ce qu'ils viennent dangereusement étendre les possibilités de fichage des Français, sous-couvert de lutte antiterroriste.

En effet, apportant de nouvelles dérogations au titre I de l'article 6 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, ces décrets permettent aux forces de l'ordre et aux renseignements de collecter bien plus d'informations sensibles et de données à caractère personnel qu'auparavant. Les fichiers en question, « enquêtes administratives liées à la sécurité publique » (EASP), « prévention des atteintes à la sécurité publique » (PASP) et « gestion de l'information et prévention des atteintes à la sécurité publique » (GIPASP) concernent des « activités susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou de constituer une menace terroriste portant atteinte à ces mêmes intérêts ».

Si certaines activités pouvaient déjà être fichées, le Gouvernement entend, par ces nouvelles dérogations, s'attaquer maintenant aux opinions seules – ouvrant la possibilité de fichage des Français selon leurs « opinions politiques » et « convictions philosophiques et religieuses » mais aussi leur « appartenance syndicale ». Tout aussi inquiétant, ces décrets permettent également que des données personnelles de santé soient obtenues et répertoriées.

Ces dispositions interrogent. En effet, si le risque terroriste est bien réel, il existait déjà d'autres fichiers de renseignements pour y faire face et l'élargissement de ces méthodes par décret n'est en aucun cas un moyen de lutter plus efficacement contre la menace potentielle. Par ailleurs, l'ajout de la mention « de porter atteinte aux institutions de la République » à l'alinéa 2 de l'article R. 236-11 du code de la sécurité intérieure, par les décrets n° 2020-1511 et n° 2020-1512 interroge également car celle-ci semble bien trop large et ambiguë pour ne pas y voir une atteinte à la liberté d'opinion. En ce sens, la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) avait rendu des avis sur les fichiers PASP et GIPASP (objet des deux décrets précités). Elle note que « la rédaction de certaines catégories de données est particulièrement large ». De fait, pourront figurer, au-delà de ce qui a été évoqué plus tôt, les « comportement[s] et habitudes de vie », les « déplacements », les « photographies », les « signes physiques particuliers et objectifs », les « éléments patrimoniaux », les « pratiques sportives » ou encore les « activités sur les réseaux sociaux ». En outre, les personnes morales – notamment les associations – pourront désormais également faire l'objet de ces mesures.

L'inquiétude est donc grande. Tout ce qui figurait au fichier EDVIGE (exploitation documentaire et valorisation de l'information générale) et avait été supprimé suite à une vive opposition de l'opinion publique en 2008, réapparaît par ces décrets ; et comme pour la loi sur le renseignement par le passé, l'exécutif rend possible, a posteriori, une pratique jusqu'ici illégale.

Par ces décrets, le Gouvernement est de nouveau l'auteur de dispositions sécuritaires dont la démesure face à l'objectif présenté permet d'en contester l'efficacité et, conséquemment, le bien-fondé. Afin de maintenir l'État de droit et la protection des libertés, leur retrait immédiat semble nécessaire.

Ainsi, elle lui demande quelle mesure il serait susceptible de prendre pour garantir l'État de droit et la protection des libertés.

- page 6009

Transmise au Ministère de l'intérieur


La question est caduque

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