Question de Mme LIENEMANN Marie-Noëlle (Paris - CRCE-R) publiée le 25/02/2021

Mme Marie-Noëlle Lienemann interroge M. le ministre de l'économie, des finances et de la relance sur les conséquences pour l'économie et la sécurité françaises de la création des ports francs au Royaume-Uni.
Le 6 octobre 2020 le gouvernement anglais a confirmé qu'il invitait les ports maritimes, les aéroports ainsi que les gares ferroviaires à se porter candidats au statut de port franc (free port) avant la fin de l'année. Le calendrier prévu par le gouvernement anglais vise à ce que ces ports francs entrent en activité d'ici la fin de l'année 2021. Son but est que ces ports francs puissent attirer les investissements internationaux pour participer au développement économique du Royaume-Uni d'après Brexit.
Or l'existence de ces ports francs fait courir des risques importants en matière de procédures douanières, de taxations directes ou indirectes, de blanchiment d'argent sale ou de financement d'actes terroristes (cf. « OECD-EUIPO report, Mapping the Real Route of Trade in Fake Goods », 2017 or « OECD-EUIPO report, Trade in Counterfeit Goods and Free Trade Zones », 2019.).
De surcroît, il est de nature à modifier les circuits de transit maritime au détriment des ports français ou européens. Ces ports francs non taxés par le Royaume-Uni profiteront en effet, essentiellement d'un avantage compétitif de coût, par rapport aux ports européens et particulièrement aux ports français.
Elle lui demande quelles initiatives il a pu prendre au niveau français comme au niveau européen pour limiter ces risques majeurs pour notre économie et les ports français. Elle lui demande aussi si l'accord « Brexit » signé le 20 décembre 2020 est de nature à protéger les ports européens de ce type de décision.
Enfin, elle lui demande si le gouvernement français a préparé une riposte à cette décision unilatérale de nos voisins d'outre-manche et quelles sont les mesures qu'il compte mettre en œuvre face à cette nouvelle menace.

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Transmise au Ministère auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance - Comptes publics


Réponse du Ministère auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance - Comptes publics publiée le 21/10/2021

Le Royaume-Uni a, en effet, décidé de mettre en place dès 2021 des ports francs avec trois objectifs : créer des zones favorables au commerce international et les investissements, favoriser l'emploi et le renouvellement urbain et créer des hubs d'innovation. À ce stade, 8 zones ont été sélectionnées par le Gouvernement britannique et se situent seulement en Angleterre à ce jour. L'inquiétude de la parlementaire face à la concurrence que pourraient créer ces zones pour nos économies française et européenne, et les dérives possibles en termes de fraudes et de trafics, est compréhensible. D'autres élus, notamment locaux, s'inquiètent également de cette situation. À ce stade, les services nationaux restent attentifs aux évolutions législatives anglaises, la mise en place de ces zones étant encore à leurs balbutiements. Au niveau européen, il existe déjà dans le cadre du code des douanes de l'Union (CDU) la possibilité de créer des zones franches, qui sont sous surveillance douanière et permettent de stocker des marchandises en suspension de droits et taxes. Ce dispositif est cependant peu utilisé : la Belgique et les Pays-Bas, qui concentrent les plus grands ports européens et mondiaux, ne possèdent ainsi pas de zones franches au sens du CDU. Elles ne paraissent en effet pas suffisantes à garantir une attractivité auprès des opérateurs économiques mondiaux. L'atout majeur réside plus dans les ports européens et français eux-mêmes qui sont la porte d'entrée d'un marché de 450 millions de consommateurs. Par ailleurs, les instances communautaires restent vigilantes quant à l'application des conditions négociées du Brexit et cette orientation britannique est donc suivie avec attention. Le Gouvernement français considère quant à lui l'attractivité des ports comme un élément essentiel du développement de l'économie nationale. Dans le cadre de son plan de relance -France Relance-, plus de 650 millions d'euros seront ainsi consacrés au volet maritime, dont 200 millions d'euros pour la transformation durable des ports. L'engagement du Gouvernement pour le développement des ports a, en outre, été rappelé par le premier Ministre, lors du Comité interministériel pour la mer de janvier 2021. Plusieurs résolutions ont été annoncées : les ports du Havre, Rouen et Paris vont fusionner pour devenir un établissement public unique avec des investissements pour la période 2020-2027 d'un montant global de 1,45 milliard d'euros. Des réflexions vont être lancées sur des mesures fiscales qui permettront de dynamiser l'attractivité des zones industrialo-portuaires. Des initiatives sont également en cours pour améliorer la fluidité du passage portuaire avec une meilleure coordination des administrations parties prenantes (douane, direction de l'Alimentation, direction de la répression des fraudes), se traduisant par la mise en place d'un guichet unique numérique « France Sésame » de nature à réduire le délai des formalités administratives dans les ports. S'agissant du risque de fraudes généré par des ports francs, de nombreux travaux internationaux menés sous l'égide de l'OCDE et de l'organisation mondiale des douanes (OMD) ont démontré que certaines organisations frauduleuses, voire criminelles, utilisaient ces plateformes pour infiltrer plus facilement le fret légal et y faire transiter des marchandises illicites. La douane française est engagée dans la lutte contre ces phénomènes et participe activement aux travaux menés dans ces enceintes internationales. Elle mène également des actions sectorielles pour mieux cerner les courants de fraude liés à des marchandises en particulier. Ainsi, par exemple, des travaux sont menés dans le cadre du Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac, lié à la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac, pour identifier spécifiquement les risques issus des ports francs et des zones franches, à travers le monde, dans la lutte contre le trafic de tabac. Concernant spécifiquement la lutte anti-blanchiment, le Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB) a clairement identifié la présence de ports francs au niveau international comme un facteur de vulnérabilité, qui permet aux criminels de stocker, éventuellement à long terme, des biens de grande valeur en leur offrant anonymat, sécurité et opacification de la traçabilité du bien. La DGDDI considère donc que le transit de biens dans ces ports francs constitue un critère de risque supplémentaire et le prend en compte dans ses orientations de contrôle. Le rétablissement des formalités douanières et des contrôles des marchandises en provenance du RU limite le risque de sur-attractivité de ces ports francs. En tout état de cause, la douane française adaptera sa posture de contrôle à l'évolution des flux qui transiteront par des zones franches côté britannique. En outre, schématiquement, deux types de zones franches et ports francs sont identifiés. Ceux où les États maintiennent leur autorité et où seules les marchandises ont un statut spécial (à l'image de ce que prévoit le code de l'Union), d'une part, et les zones « extraterritoriales » où les États ont une plus forte tendance à se désengager des contrôles de marchandises et des sociétés qui y opèrent. Ce dernier type représente un risque comparativement plus élevé. La position française sur le sujet vise donc à promouvoir le maintien systématique de la souveraineté des États sur les zones franches et ports francs, tout en veillant à ce que les autorités compétentes puissent y mener des contrôles et qu'elles procèdent effectivement à ces contrôles et au suivi des opérations menées, notamment dans le cadre de demandes d'assistance administrative et judiciaire. Enfin, la France soutient également la mise en œuvre des recommandations de l'OCDE visant au « renforcement de la transparence dans les zones franches » adoptées en octobre 2019 et à la conception desquelles la douane française a participé.

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