Question de Mme ROSSIGNOL Laurence (Oise - SER) publiée le 17/06/2021

Mme Laurence Rossignol attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur la situation des travailleurs et des travailleuses de l'office national des forêts (ONF). Comme dans d'autres services publics pris dans un triple-processus de privatisation-défonctionnarisation-filiarisation, les conditions de travail des agents et des agentes de l'ONF se sont fortement dégradées au cours des vingt dernières années ; la vague de suicides qui traverse l'office depuis plus de dix ans est la partie la plus visible de cette dégradation.

Ses effectifs ont été divisés par deux en quarante ans : des 15 000 agents présents en 1985, il en reste moins de 9 000 aujourd'hui. Entre 2018 et le début 2020, 611 postes, tous statuts confondus, ont été supprimés. Les salariés de droit privé représentent aujourd'hui 40 % des effectifs. En 2020, plusieurs annonces sont faites par le Gouvernement et le directeur général de l'ONF, dont la modification du code forestier invitant à « généraliser l'accès des personnels sous contrat de droit privé à l'ensemble des métiers et fonctions de l'établissement ». La loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique modifie directement le code forestier (article 79) en encourageant le recrutement de salariés de droit privé ; on sait d'expérience qu'une telle privatisation conduit nécessairement à une détérioration du service rendu. De plus, parallèlement à cette baisse durable de l'emploi, la surface totale des forêts augmente ; ainsi, le triage, c'est-à-dire le secteur géographique du technicien forestier, est passé de 1 000 à 2 000 hectares en vingt ans. Le nombre d'agents diminue, la charge de travail augmente.

Les agents de l'ONF sont de plus confrontés à une injonction impossible à tenir : d'un côté, l'objectif de rentabilité adossé à celui de productivité, de l'autre, la mission de service public de préservation de l'environnement qui incombe à l'office. Ce double objectif, intenable puisque contradictoire, place les travailleurs et travailleuses de l'ONF dans une situation précaire, tant au niveau psychologique qu'éthique. Beaucoup ont le sentiment que leur hiérarchie leur impose de détruire ce qu'ils prennent pour juste et bon - une forêt plurielle et durable – au bénéfice de ce qu'ils nomment les « forêts-palette », celles remplies de résineux, marquant ainsi la perception négative qu'ils en ont.

Alors même que les forêts françaises sont placées devant un double défi, écologique et économique, l'ONF est lui plongé dans une crise sociale, dont le Gouvernement ne semble pas avoir pris la mesure, contrairement à la convention citoyenne pour le climat qui a estimé, dans ses propositions finales, qu'il était « impératif de pérenniser l'existence de l'ONF et d'en augmenter ses effectifs ». Certes, 200 millions d'euros destinés à la filière bois ont été annoncés en décembre 2020 par l'intermédiaire du programme France Relance, dont 150 millions pour l'adaptation de nos forêts au changement climatique, mais tant que l'État et la direction de l'ONF resteront dans l'obsession de la productivité, la dégradation des espaces forestiers français s'intensifiera, tout comme celle des conditions de travail, et donc de la santé physique et psychologique des femmes et des hommes de l'ONF.

Elle lui demande comment le Gouvernement compte relever le double défi devant lequel se trouvent les forêts française alors même que l'office national des forêts connaît une baisse durable de ses effectifs, que ses agents et agentes évoquent une précarisation de leur situation. En clair, elle lui demande comment le Gouvernement peut justifier la progressive mais certaine privatisation de l'ONF, alors même que, dans ses discours, le Président de la République fait des forêts françaises un axe majeur de son action environnementale.

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Réponse du Ministère de l'agriculture et de l'alimentation publiée le 03/02/2022

Le Gouvernement est attaché à la pérennité de l'office national des forêts (ONF) et entend conserver l'unité de gestion des forêts publiques, domaniales et communales, par l'ONF. Pour mener une politique forestière ambitieuse et développer les usages du bois, l'État a besoin d'un ONF fort et performant, au regard des défis que rencontre la forêt face au changement climatique et du potentiel qu'elle représente par la valorisation des matériaux bois dans l'atténuation du changement climatique. Il s'agit de maintenir les différents services que les forêts publiques rendent, que ce soit les services économiques, environnementaux, climatiques ou sociétaux. La gestion durable et multifonctionnelle est au cœur du modèle de l'ONF et doit le rester. Ce principe est un élément central du nouveau contrat d'objectif entre l'État et l'ONF pour la période 2021-2025. Pour autant, l'ONF connaît depuis plusieurs années une situation financière en déséquilibre, aggravée récemment par la crise des scolytes dans l'Est de la France, la crise économique et l'impact du changement climatique. Cette situation appelle donc des réponses conjoncturelles mais aussi structurelles, notamment sur son modèle de financement. L'endettement de l'ONF atteint aujourd'hui 350 millions d'euros (M€) et menace la pérennité de l'établissement. Dans ce contexte, le Gouvernement a décidé de renouveler, dans le cadre du contrat État-ONF 2021-2025, sa confiance en l'ONF, garant de la gestion durable et multifonctionnelle des forêts publiques, tout en engageant des mesures importantes visant à lui redonner des perspectives soutenables. L'État maintient le statut de l'établissement public à caractère industriel et commercial de l'ONF et réaffirme qu'il n'existe aucun projet de privatisation. Ce contrat conforte les missions d'intérêt général (MIG) portées par l'ONF, et consacre la notion de prise en charge à coût complet de ces missions, quel qu'en soit le commanditaire. De son côté l'État s'engage sur un financement complet des MIG qu'il confie à l'ONF. La revalorisation des financements accordés au titre des MIG, à périmètre constant, sur la biodiversité et en outre-mer va permettre de rétablir cet équilibre, et représente 12 M€ depuis 2021 et atteindra 22 M€ en 2024. Les MIG confiées par l'État à l'ONF représenteront ainsi 55 M€ par an. En complément, le Gouvernement décide de mobiliser 60 M€ supplémentaires répartis entre 2021 et 2023 (30 M€ en 2021, 20 M€ en 2022 et 10 M€ en 2023) pour soutenir son établissement en renforçant la subvention d'équilibre. Ceci vient en complément des 140 M€ de versement compensateur annuel. Enfin, dans le cadre du volet forestier du plan France Relance, une dotation de 30 M€ a été allouée pour 2021 à l'ONF pour financer la reconstitution des forêts domaniales atteintes par les crises sanitaires, parmi lesquelles notamment celle des scolytes, ainsi que 1 M€ pour mettre en place de nouveaux vergers à graines de l'État sur des essences d'avenir en lien avec le changement climatique. En contrepartie de ces engagements de l'État, il est demandé à l'établissement un effort de réduction de ses charges à hauteur de 5 % à l'horizon de cinq ans afin d'atteindre l'équilibre financier de l'établissement en 2025. Il est ainsi attendu de l'ONF la poursuite de la mise en œuvre de son schéma d'emplois (- 95 ETP par an) sur la durée du prochain contrat État-ONF et une modération de ses dépenses de fonctionnement à hauteur de 4 M€ dès 2022. Ceci représente une baisse inférieure à 5 % du montant des charges annuelles sur la durée du contrat. Dans le cadre de cet effort, l'État demande à l'établissement de préserver le maillage territorial pour garantir le niveau de services auprès des communes. En parallèle, le Gouvernement a souhaité maintenir l'association étroite des communes forestières à la gouvernance de l'ONF. L'ONF et la FNCOFOR vont s'engager dans une convention arrêtant leurs engagements réciproques sur 2021-2025. Par ailleurs, sur la base d'une comptabilité analytique réformée, l'ONF va assurer une transparence économique et financière renforcée vis-à-vis de l'État, des communes forestières et de ses administrateurs. Initialement envisagé après un réexamen à compter de 2023, le Président de la République a annoncé qu'aucun soutien complémentaire des communes propriétaires de forêts au budget de l'ONF ne sera sollicité. Cette décision doit permettre de s'engager ensemble avec les communes forestières au développement de la filière, en particulier en développant la contractualisation de la vente de bois. En synthèse, le Gouvernement entend ici, avec ses engagements forts et ses orientations précises, donner à l'ONF de la visibilité et des perspectives soutenables, assurer un retour progressif à l'équilibre financier en associant toutes les parties prenantes et lui donner des outils pour mieux maîtriser à l'avenir son modèle économique. L'importance accordée à l'ONF par le Gouvernement reflète l'ambition portée pour la filière forêt-bois et la volonté de placer cette filière au cœur de sa stratégie dé-carbonation. En effet, la filière permet de compenser environ 20 % des émissions françaises de CO2. Elle joue aussi un rôle majeur en matière d'atténuation du changement climatique. Ce rôle repose sur la résilience des forêts, et notamment sur leur capacité à s'adapter à ce changement climatique. Or les sécheresses des années 2003, 2018 et 2019, ainsi que les attaques de scolytes des forêts d'épicéas de l'Est de la France ont été des alertes fortes sur la résilience des forêts. Pour répondre à ce défi, le Gouvernement a décidé, dès juillet 2020, d'investir 200 M€ dans la filière forêt et bois. Dès juillet dernier, le Premier ministre a renforcé ces moyens à hauteur de 100 M€, portant ainsi l'effort à 300 M€ dans le cadre du plan France Relance. Dans le cadre du plan France 2030 annoncé par le Président de la République le 12 octobre dernier, 500 M€ sont dédiés pour les forêts françaises et la filière bois. Les assises de la forêt et du bois sont l'occasion de partager les enjeux et de construire des solutions opérationnelles permettant de déployer au mieux ces moyens. Conscients de l'impact de la crise des scolytes, le Gouvernement français a instauré dès 2018 des aides à l'exploitation et à la commercialisation des bois colonisés par ces insectes et les a prolongés systématiquement. Au regard des impacts sur les finances des communes propriétaires de forêt, le ministère de l'agriculture et de l'alimentation et la ministre chargée de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ont décidé un mécanisme de soutien exceptionnel en faveur des communes forestières particulièrement touchées par la crise des scolytes, et qui entraîne une dégradation importante de leur situation financière. Par ailleurs, les modalités de constitution d'un fonds d'amorçage pour les communes forestières font actuellement l'objet de discussions avec la Banque des Territoires. De même, des échanges avec les représentant de Régions de France et de la fédération nationale des communes forestières doivent être menés prochainement afin de déterminer l'architecture optimale du dispositif. L'ensemble de ces efforts illustre la détermination du Gouvernement à répondre aux enjeux de la filière forêt et bois.

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