Question de M. SUEUR Jean-Pierre (Loiret - SER) publiée le 08/07/2021

M. Jean-Pierre Sueur appelle l'attention de M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur le fait que, par une déclaration du 24 juin 2021 relative à l'emploi d'armes explosives en zones peuplées, la commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) recommande aux autorités françaises d'adopter une position de principe dans le cadre du processus d'élaboration d'une déclaration politique multilatérale visant à mettre un terme aux conséquences humanitaires dramatiques de l'emploi d'armes explosives en zones peuplées. Plus particulièrement, celle-ci recommande à la France « d'appuyer une reconnaissance sans équivoque des effets, directs et indirects, de l'emploi d'armes explosives, y compris à large rayon d'impact, en zones peuplées sur la population et les biens civils » ainsi que d'adopter une politique visant à éviter l'emploi de telles armes en zones peuplées, « que cette utilisation viole ou non le droit international humanitaire. » Selon la CNCDH, un tel engagement de la France pourrait inciter les autres États et parties aux conflits armés, étatiques comme non étatiques, à suivre une politique identique. En conséquence, il lui demande quelle suite il compte donner à ces recommandations.

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Réponse du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères publiée le 30/09/2021

La Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNDCH), qui exerce un rôle de conseil, de protection et de promotion des droits fondamentaux, a pour mission de veiller au respect par la France de ses engagements institutionnels et internationaux. La Commission assure, dans les limites de ses compétences, un rôle de conseil et de proposition dans le domaine du droit international humanitaire (DIH). A ce titre, par sa déclaration du 24 juin 2021, elle recommande à la France « de peser de tout son poids, d'une manière constructive, pour aboutir à l'adoption d'une déclaration permettant de renforcer la protection des civils en zones peuplées.  ». La France partage les graves préoccupations humanitaires exprimées par la CNCDH concernant les souffrances des civils dans les conflits armés. Ces souffrances sont fréquemment liées aux méthodes employées par certaines parties aux conflits en violation du DIH, dont l'emploi indiscriminé d'armes explosives dans des zones habitées. Ces graves préoccupations humanitaires trouvent ainsi leur origine non pas dans une défaillance du DIH, mais dans le non-respect de ce droit, souvent dans l'intention d'en tirer un avantage opérationnel. L'usage indiscriminé de ces armes par certaines parties aux conflits a des conséquences directes et indirectes majeures sur les populations civiles : il est de nature à provoquer des victimes civiles et la destruction de biens civils, notamment des infrastructures essentielles empêchant durablement le retour des populations déplacées et le rétablissement de conditions de vie normales. Comme souligné à juste titre par la Commission, le « DIH règlemente l'emploi d'armes explosives en zones peuplées par ses dispositions relatives à la conduite des hostilités ». Il est essentiel, en effet, de rappeler que l'emploi d'armes explosives de tout type, en particulier dans des zones où des civils sont présents en grand nombre, n'échappe pas aux règles fondamentales du DIH, lequel prohibe les attaques dirigées contre la population civile et les biens de caractère civil, ainsi que les attaques ciblant indistinctement la population et les biens civils et les objectifs militaires. Ces règles imposent en tout temps d'opérer une distinction entre civils et combattants et entre biens civils et objectifs militaires, de veiller constamment à épargner les civils en application du principe de précaution dans l'attaque, et d'observer un principe de proportionnalité dans la conduite des hostilités. Ces principes, s'ils étaient universellement respectés par toutes les parties aux conflits, États comme acteurs non-étatiques, limiteraient efficacement et durablement les pertes, les dommages incidents, directs et indirects, causés par les conflits armés en zone urbaine et permettraient, ainsi, de réduire les souffrances civiles. Afin de faire cesser les violations imputables aux acteurs qui s'affranchissent du respect du DIH, l'enjeu réside dans l'application pleine et entière de ce droit dont les principes conservent toute leur pertinence pour assurer la protection des civils en situation de conflit armé. La France est profondément attachée au DIH et place le respect et la promotion de ces principes au cœur de son action diplomatique. A ce titre, elle salue toute mobilisation de la communauté internationale visant à assurer le plein respect du DIH et à assurer la protection des civils lors de conflits armés. Elle participe activement au processus initié à l'automne 2019 en vue de l'adoption d'une déclaration politique visant à renforcer la protection des populations civiles lors de la conduite d'opérations en zones habitées. Dans le cadre de cette déclaration politique, la France appelle les États à réaffirmer leur soutien inconditionnel au DIH, à s'engager à l'appliquer de manière rigoureuse, et à respecter les obligations qui leur incombent, notamment celle de veiller constamment à épargner la population civile, les personnes civiles et les biens à caractère civil. Pour se faire, des procédures strictes en matière d'organisation de la chaîne de commandement, de règles d'engagement, de ciblage ou encore de formation de leurs forces armées doivent être mises en œuvre. La France appelle également les États à condamner les parties au conflit qui violent délibérément les obligations qui sont les leurs au regard du DIH et à en poursuivre les auteurs. Au-delà, la France souhaite que, dans le cadre de cette déclaration politique, les États reconnaissent et prennent en compte les défis inhérents à la conduite d'opérations militaires en milieu urbain. A cette fin, elle a formulé des propositions concrètes, ancrées notamment dans l'expérience opérationnelle de ses forces armées, strictement adaptées au milieu urbain et contribuant à un emploi maîtrisé de la force et à une protection plus efficace des populations civiles et de leur cadre de vie, dans le respect des obligations internationales. Il s'agit plus particulièrement de définir et d'adopter des concepts doctrinaux, des modes d'actions et des parcours de formation spécifiques et rigoureusement adaptés à la conduite d'opérations en zones habitées ; d'appliquer des règles strictes relatives à l'emploi d'armes et de munitions déclinant les principes du DIH et tenant compte de la présence de la population sur les lieux de l'action ainsi que de l'obligation de veiller constamment à épargner la population civile tout comme les biens civils, notamment les infrastructures essentielles. Ces mesures sont d'ores et déjà mises en œuvre par les forces armées françaises qui ont adapté leurs procédures et formations aux spécificités et contraintes posées par l'environnement urbain. La France appelle également les États à s'engager en faveur de la conduite d'actions visant à la protection, à la sécurité et à l'assistance aux populations. Enfin pour la France, cette déclaration doit ouvrir la voie à un renforcement de la coopération et de l'échange de savoir-faire techniques et tactiques entre les États et leurs forces armées. La mise en œuvre, la promotion et le partage des meilleures pratiques dans ces domaines contribueront à mieux traduire les principes du DIH dans la réalité des opérations militaires et à améliorer de façon concrète la protection des civils. Interrompues en 2020 en raison de la situation sanitaire internationale, les négociations de la déclaration politique ont repris récemment. La France a pris part aux dernières consultations organisées en mars dernier et souhaite que les négociations puissent se poursuivre dans le respect des règles du multilatéralisme. Elle entend donc, comme proposé par la CNCDH, continuer à y participer activement, conformément à l'engagement en faveur du DIH.

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