Question de Mme TAILLÉ-POLIAN Sophie (Val-de-Marne - GEST) publiée le 11/11/2021

Mme Sophie Taillé-Polian interroge Mme la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion à propos du détournement des missions de l'inspection du travail au nom de « la lutte contre le séparatisme », conduisant à des situations qui semblent mettre en péril l'indépendance des inspections du travail.

Créés par la circulaire du ministère du travail en date du 27 novembre 2019, les cellules départementales de lutte contre l'islamisme et le repli communautaires (CLIR) déployées sur l'ensemble du territoire ont eu recours à des agents et des agentes de contrôle au sein des inspections du travail dans le but de fermer des établissements suspectés de « repli communautaire » et de « radicalisation ».

Ce fut le cas notamment des inspections dans les départements des Hauts-de-Seine, du Haut-Rhin et de Seine-et-Marne, qui au nom de la lutte contre la radicalisation ont été sollicitées pour des contrôles et des opérations qui n'ont aucun lien avec la protection des travailleuses et des travailleurs et plus généralement avec le respect des conditions de travail et de l'application de la législation sociale. En effet, des services de préfectures souhaitaient engager des fermetures administratives d'établissements soupçonnés d'abriter des « activités communautaires » (restaurants et boucheries halal, librairies, salon de barbier) en mettant à contribution les inspections locales.

Ainsi, ces faits contreviennent en tout point à l'article 6 de la convention sur l'inspection du travail de 1947 qui consacre le principe d'indépendance de celles et ceux qui exercent ces fonctions. Ainsi, « le personnel de l'inspection sera composé de fonctionnaires publics dont le statut et les conditions de service leur assurent la stabilité dans leur emploi et les rendent indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue ».

Au-delà du dévoiement des missions des inspecteurs et des inspectrices du travail, ces opérations visent expressément des entreprises, associations ou personnes musulmanes ou supposées l'être. Ce ciblage « communautaire » ne répond en aucun cas au fonctionnement normal des administrations publiques républicaines. Au contraire, ces actions mettent à mal notre État de droit et ont pour conséquence d'entretenir des amalgames entre islam et terrorisme.

Elle souhaite que la transparence la plus totale soit faite sur les demandes faites en ce sens aux inspections du travail et lui demande quels sont les moyens qu'elle compte mettre en œuvre afin d'assurer l'indépendance de l'inspection du travail, et son utilisation exclusive au service des objectifs définis par son ministère. En outre, elle s'interroge sur les liens entre de telles pratiques, si elles sont avérées, et la réforme « organisation territoriale de l'État », qui soulève effectivement des craintes quant à l'indépendance des inspections du travail vis-à-vis des préfets et des préfètes.

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Réponse du Ministère auprès de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion - Insertion publiée le 26/01/2022

Réponse apportée en séance publique le 25/01/2022

M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, auteure de la question n° 1914, adressée à Mme la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la ministre, la lutte contre le terrorisme doit bien évidemment mobiliser tous les moyens de l'État, mais dans le respect de l'État de droit, notamment, si cela est nécessaire – et nous savons que tel est le cas –, en accroissant les moyens du renseignement.

Or on observe une utilisation dévoyée d'autres moyens de l'État, notamment de l'inspection du travail. Plus grave encore, en période de pandémie, alors qu'elle devrait se consacrer pleinement à ses missions de protection des salariés, on a demandé à certains inspecteurs d'effectuer des contrôles qui ne relèvent pas de leurs missions. Cela contrevient non seulement aux règles de l'État de droit, mais aussi aux conventions internationales qui nous lient, en particulier celles de l'Organisation internationale du travail (OIT).

Madame la secrétaire d'État, quels moyens ont été mis en œuvre pour que soient respectées les missions de l'inspection du travail, ce qui est essentiel pour la préservation de notre État de droit ? La réforme de l'organisation territoriale de l'État n'induit-elle pas des effets pervers majeurs, notamment par la mise à disposition, sous le couvert des préfets et des préfètes, de moyens de l'inspection du travail, qui devrait être indépendante, au risque de faire peser un grave danger sur la protection des salariés ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, chargée de l'insertion. Madame la sénatrice, je peux vous assurer que les agents de l'inspection du travail exercent leur activité dans un cadre leur permettant de garantir leur indépendance, conformément à l'article 6 de la convention n° 81 de l'OIT, que vous mentionnez.

Le code du travail prévoit que les agents de contrôle de l'inspection du travail ont pour mission de contrôler l'application du droit du travail ; ils n'ont pas, dans ce cadre, pour mission de lutter contre le séparatisme.

Je le dis clairement : les agents de l'inspection du travail n'ont pas vocation à être mobilisés dans le cadre d'actions ayant pour seule fin la lutte contre le séparatisme et n'ayant aucun lien avec la protection des travailleurs et le respect de la législation du travail.

Pour autant, ces agents peuvent être amenés à contribuer, dans le cadre de leurs missions et prérogatives, à des actions coordonnées en lien avec leurs missions habituelles, comme la lutte contre le travail illégal. En effet, les directions départementales et régionales de l'emploi participent aux différentes instances de coordination interministérielle, notamment les comités opérationnels départementaux anti-fraude (Codaf).

Par ailleurs, il faut rappeler que chaque inspecteur du travail qui aurait connaissance de faits susceptibles de constituer un délit en dehors du droit du travail doit le porter à la connaissance du parquet au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.

L'inspection du travail peut donc être amenée à contribuer indirectement à des actions ayant pour visée la lutte contre le séparatisme, mais toujours dans le plein respect de ses prérogatives, de ses capacités d'action et, bien sûr, de son indépendance.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.

Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la ministre, le nombre d'inspecteurs du travail a baissé ces dernières années, cependant que les salariés expriment des besoins très forts pour que soit garantie la protection de leur santé et de leurs droits.

Il est urgent d'agir pour que ces moyens ne soient pas dévoyés, surtout si c'est pour mener une politique de harcèlement sans visée réelle et sans qu'il soit possible de savoir si le cadre légal a été respecté.

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