Question de M. SUEUR Jean-Pierre (Loiret - SER) publiée le 16/12/2021

M. Jean-Pierre Sueur appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 24 novembre 2021. Cet arrêt concerne le premier cas de mise en examen en France dans le cadre de la compétence universelle en matière de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. La Cour de cassation a considéré que l'accusé ne pouvait être poursuivi en France pour crime contre l'humanité car cette notion n'existe pas dans le droit syrien. Il lui rappelle que le Sénat a adopté une proposition de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale qui avait pour effet d'élargir la compétence territoriale des magistrats français afin qu'ils puissent poursuivre et juger des auteurs de génocides, crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis à l'étranger. Le Gouvernement a finalement donné un avis favorable, en 2019, lors du débat sur le projet de loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice à un amendement ayant pour effet de supprimer ce verrou de la double incrimination, mais en le limitant aux génocides. Cet amendement a été adopté et inscrit dans la loi. Aussi, il lui demande si le Gouvernement entend supprimer le verrou de la double incrimination pour les crimes de guerre et crimes contre l'humanité afin d'éviter toute impunité de leurs auteurs et de répondre aux demandes légitimes des victimes.

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Réponse du Ministère de la mer publiée le 19/01/2022

Réponse apportée en séance publique le 18/01/2022

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question n° 1998, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, j'attire votre attention et celle du garde des sceaux sur l'arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 24 novembre 2021.

Par cet arrêt, relatif à la première mise en examen réalisée en France dans le cadre de la compétence universelle en matière de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, la Cour de cassation a considéré que l'accusé ne pouvait être poursuivi dans notre pays pour crime contre l'humanité, car cette notion n'existe pas dans le droit pénal de son pays, la Syrie.

Le Sénat avait adopté, je le rappelle, le projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale, qui a eu pour effet d'élargir la compétence territoriale des magistrats français, afin que ceux-ci puissent poursuivre et juger les auteurs de génocides, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis à l'étranger.

En 2019, lors du débat sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, le Gouvernement a finalement émis un avis favorable sur un amendement ayant pour objet de supprimer le verrou de la double incrimination, mais en limitant cette faculté aux génocides. Cet amendement a été adopté et cette disposition inscrite dans la loi.

Malheureusement, le dispositif de l'amendement ne prenait pas en compte les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.

Ma question est donc très simple : la double incrimination supposerait que fût identique à notre droit celui de pays qui ne relèvent pas des valeurs démocratiques qui sont les nôtres.

Mme le président. Votre temps de parole est épuisé, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Sueur. Allez-vous donc…

Mme le président. Vous n'avez plus la parole, mon cher collègue !

M. Jean-Pierre Sueur. … lever ce verrou, madame la ministre ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur Jean-Pierre Sueur, je vous prie d'excuser l'absence de mon collègue Éric Dupond-Moretti, qui m'a demandé de vous lire sa réponse.

La France dispose, depuis la loi du 9 août 2010, d'une compétence juridictionnelle en matière de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, instaurée à l'article 689-11 du code de procédure pénale.

Les juridictions françaises peuvent ainsi déclencher des poursuites à l'encontre d'une personne soupçonnée de ces crimes, dès lors que celle-ci réside habituellement en France et sous la réserve qu'aucune juridiction internationale ou nationale n'en demande la remise ou l'extradition, à condition que ces faits – à l'exception du génocide, depuis la loi du 23 mars 2019 – soient également punis dans l'État où ils ont été commis, sauf si ledit État est partie à la convention sur la Cour pénale internationale.

Dans un arrêt du 24 novembre 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation a interprété l'exigence de cette double incrimination au sens de cet article. La procédure ayant donné lieu à cet arrêt concerne un ressortissant syrien entré sur le territoire français en 2015 et mis en examen du chef de complicité de crimes contre l'humanité.

La Cour de cassation a jugé, en ce qui concerne les crimes contre l'humanité, que « l'exigence posée par l'article 689-11 du code de procédure pénale, selon laquelle les faits doivent être punis par la législation de l'État où ils ont été commis, inclut nécessairement l'existence dans cette législation d'une infraction comportant un élément constitutif relatif à une attaque lancée contre une population civile en exécution d'un plan concerté. »

Elle a ainsi cassé l'arrêt de la cour d'appel de Paris, qui avait considéré que le droit syrien, même s'il n'incrimine pas, de manière autonome, les crimes contre l'humanité, réprime les faits – meurtres, actes de barbarie ou tortures – qui les constituent et qui sont à l'origine de la poursuite dans l'affaire dont elle était saisie.

Mme le président. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Annick Girardin, ministre. Il n'appartient pas au Gouvernement de commenter une décision judiciaire. Les conséquences de cette décision sur les procédures ouvertes des chefs de crimes contre l'humanité et crimes de guerre sont en cours d'évaluation.

M. Jean-Pierre Sueur. Je demande la parole pour la réplique !

Mme le président. Votre temps de parole est épuisé, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Sueur. Sur une question aussi importante…

Mme le président. Chacun sait le temps de parole dont il dispose pour cette séance de questions orales : sénateurs comme membres du Gouvernement.

Du reste, vous êtes arrivé juste à l'heure pour votre question, monsieur Sueur, et d'autres collègues arrivent même en retard ; nous devons faire face à tout cela, au plateau. Je n'ai jamais vu une telle séance…

M. Jean-Pierre Sueur. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

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