Question de M. LECONTE Jean-Yves (Français établis hors de France - SER) publiée le 06/01/2022

Question posée en séance publique le 05/01/2022

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Yves Leconte. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Les 9 et 10 janvier prochains à Genève, de hauts responsables de la Russie et des États-Unis discuteront de la sécurité en Europe. Ils parleront de notre sécurité, sans que nous soyons présents… Depuis plusieurs semaines, nous assistons à une montée des tensions et à une augmentation des mouvements aux frontières de l'Ukraine, dont la Russie a déjà violé l'intégrité territoriale.

Depuis de nombreux mois, Moscou a bloqué les initiatives du format « Normandie », lancé sur l'initiative de la France et de l'Allemagne en juin 2014 pour trouver une issue à la guerre à l'est de l'Ukraine. Ce format ne mobilisait que des Européens.

Aujourd'hui, le président de la Fédération de Russie pose des conditions nouvelles censées être indispensables à la sécurité de son pays.

Il pose des conditions qui portent atteinte au droit de chaque État européen de définir par lui-même sa politique étrangère et sa politique de sécurité.

Il pose des conditions qui violent le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Il pose des conditions à un moment où les évolutions constatées à l'intérieur de son pays inquiètent de nombreux observateurs.

Dans quelques jours, Moscou et Washington parleront de nous sans nous. Nous voilà donc revenus à l'avant-1989, à cette Europe de Yalta, cette Europe divisée, cette Europe mise sous tutelle, que nous ne voulons pas revoir.

Pendant des années, du président Charles de Gaulle au président François Mitterrand, notre politique étrangère n'a eu de cesse de vouloir sortir l'Europe de ses fractures et de ses dépendances, de rendre à chaque peuple européen sa liberté. En 1989, les peuples européens ont gagné le droit de dire : « Rien sur nous sans nous ! » Ce droit constitue le fondement de notre indépendance stratégique.

Nous ne pourrons rien construire en Europe si un seul pays ne dispose pas de sa totale liberté. Nous ne pourrons rien construire si ce droit est violé.

Monsieur le ministre, alors que commence la présidence française du Conseil de l'Union européenne, comment envisagez-vous de défendre cette autonomie stratégique, un objectif majeur affiché par le Président de la République, alors qu'un retour en arrière majeur se profile ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)


Réponse du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères publiée le 06/01/2022

Réponse apportée en séance publique le 05/01/2022

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Leconte, je partage votre diagnostic, ou du moins ses prémisses, sur le moment stratégique qui se déroule en ce moment.

Vous l'avez rappelé, mais je pense que la Haute Assemblée en est bien informée, dans les jours qui viennent, nous allons entrer dans une séquence majeure, avec, simultanément, un dialogue entre les États-Unis et la Russie à Genève, une discussion entre la Russie et l'OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique Nord) à Bruxelles, et une discussion au sein de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) à Vienne. Dans les deux derniers cas, les Européens seront parties prenantes.

Préalablement à ces rencontres, la Russie a déposé sur la table sa conception des paramètres de la sécurité européenne. Face à cela, nous devons avoir, à mon sens, trois réactions.

Premièrement, nous ne devons pas refuser la discussion avec la Russie.

Ce dialogue peut contribuer à renforcer notre sécurité, mais il doit se faire sur la base de paramètres que nous jugeons pour nous pertinents et qui sont conformes à nos intérêts collectifs de sécurité.

Or plusieurs des propositions russes ne sont pas compatibles avec les principes fondamentaux de la sécurité et de la stabilité européennes, auxquels vous faisiez allusion, et qui étaient ceux de l'accord d'Helsinki de 1975. Cela nous ramène loin en arrière, mais il est toujours en vigueur et la Russie l'a signé. Nous devons être vigilants sur ce point et faire en sorte que nos conceptions sur la stabilité stratégique en Europe soient partagées avec nos partenaires européens.

Cependant, j'y insiste, il faut parler avec la Russie et dire ce que nous pensons, c'est-à-dire arriver à la table des négociations avec nos propres éléments et non pas ceux imposés par la Russie.

Deuxièmement, les Européens doivent être pleinement impliqués.

Monsieur le sénateur, je partage votre point de vue, la sécurité européenne ne saurait se discuter sans leur pleine implication. Tel sera d'ailleurs le sujet des premières réunions des ministres des affaires étrangères et des ministres de la défense, qui vont se tenir conjointement à Brest la semaine prochaine, dans le cadre de cette séquence, pour affirmer notre position.

Enfin, troisièmement, le dialogue avec la Russie ne doit pas nous faire oublier la fermeté nécessaire que nous devons manifester sur la crise ukrainienne : nécessité de la discussion en format « Normandie », ce que chacun reconnaît, sauf la Russie aujourd'hui – les États-Unis sont bien sur cette position ; mise en œuvre des accords de Minsk ; menace de conséquences massives s'il y avait une nouvelle atteinte à l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Telle est notre position. Elle est claire et elle va être répétée au sein de toutes les instances internationales dans les jours qui viennent.

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