Question de M. ROUX Jean-Yves (Alpes de Haute-Provence - RDSE) publiée le 21/07/2022

M. Jean-Yves Roux attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur la pérennité de la culture de la lavande en Alpes de Haute-Provence
Il rappelle tout d'abord que la filière est en attente des propositions du nouveau règlement sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et la restriction des substances chimiques (REACH), en cours de négociation.

Le 14 juillet 2021 la Commission européenne a adopté des dispositions visant à adapter les politiques de l'Union européenne en matière de climat, d'énergie, de transport et de fiscalité. L'Europe vise en effet à devenir le premier continent climatiquement neutre d'ici à 2050 et à concrétiser le pacte vert pour l'Europe. Le pacte vert, en discussion depuis octobre 2020, comprend une nouvelle stratégie en matière de produits chimiques, qui, dans son application, va sérieusement mettre en danger le secteur de la lavande.
À ce titre, la Commission européenne propose de classer plusieurs molécules présentes dans les huiles essentielles comme allergènes ou toxiques et de réfléchir à un affichage en conséquence.
Le programme REACH - règlement de l'Union européenne destiné à mieux protéger la santé humaine et l'environnement contre les risques liés aux substances chimiques, tout en favorisant la compétitivité de l'industrie chimique de l'UE –prévoit ainsi d'ici la fin de 2022 « d'interdire l'utilisation des produits chimiques les plus nocifs dans les produits de consommation tels que les jouets, les articles de puériculture, les cosmétiques, les détergents ».
Ce nouveau règlement relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances pourrait en particulier affecter les huiles essentielles de lavande, en tant que produits finis mais aussi comme composants de produits cosmétiques.
Il fait remarquer la difficulté de la mise en oeuvre des analyses chimiques préalables à ces classifications, car s'il s'agit de vérifier la conformité de telle ou telle molécule entrant dans la composition des huiles essentielles, les huiles essentielles de lavande en comptant près de 600.
De même le risque est très grand qu'un tel projet de classification détourne en prévention les fabricants de cosmétiques, parfumerie, alimentation, de l'utilisation de telles huiles de lavande, thym ou romarin concernées.

Par ailleurs, la filière lavandière est soumise à une forte concurrence intra-hexagonale, ce qui menace là encore la situation de cultures séculaires et emblématiques des Alpes de Haute-Provence.

Face à cette double difficulté, les acteurs de la filière Alpes de Haute-Provence envisageraient de baisser la surface d'exploitation consacrée à la lavande afin de permettre la survie des petites entreprises locales.

Très attaché à la pérennité de cette culture et de l'identité touristique liée à la lavande, il lui demande de bien vouloir lui indiquer l'état de la négociation du nouveau règlement REACH et leurs conséquences attendues pour le secteur. Il lui demande quelles sont les mesures d'accompagnement prévues par le gouvernement pour garantir, dans un contexte de grande concurrence, la pérennité de la filière lavandière.

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Réponse du Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire publiée le 02/06/2023

Réponse apportée en séance publique le 01/06/2023

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, auteur de la question n° 071, adressée à M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. Jean-Yves Roux. La lavande est « l'âme de la Provence », disait Jean Giono. C'est aussi une filière agricole et industrielle de plus de 3 000 exploitations, aujourd'hui très fragilisée.

Depuis un an, la lavande des Alpes-Provence est confrontée à des intempéries, à la résurgence de la cécidomyie, qui attaque précocement les plants, à une concurrence déloyale, qui fait anormalement baisser les prix, et à la crise énergétique, qui augmente les prix de la transformation industrielle.

En juillet 2022, le Sénat avait adopté, sur mon initiative, un amendement de soutien à la filière pour près de 10 millions d'euros. La Commission européenne vient d'autoriser cette aide exceptionnelle, tout en paraissant exclure de certains dispositifs les agriculteurs en cours de diversification, ce que je regrette.

Depuis la fin de 2022, les lavandiculteurs se préparent à la mise en oeuvre du règlement européen (CE) n° 1097/2006 sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et les restrictions de substances chimiques, dit Reach, et du règlement européen (CE) n° 1272/2008 relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges, dit CLP, qui prévoient une évaluation de la dangerosité de chacun des composants des huiles essentielles de lavandin.

En se fondant sur ces analyses, les huiles essentielles pourraient être classées comme des substances chimiques, sans évaluation complète de l'ensemble des interactions entre les différents composants.

Il est sans doute possible de protéger les consommateurs tout en disposant d'une parfaite connaissance scientifique des mécanismes biologiques. Je plaide pour une solution concertée, qui assure la pérennité de la production de lavande et des revenus des agriculteurs, dans des conditions optimales de sécurité des produits transformés.

Aujourd'hui, la procédure de révision du règlement relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges est en cours.

Après les décisions du Conseil de l'Europe, de la Commission européenne, du Parlement européen fin octobre, la filière de la lavande, en particulier nos agriculteurs, est suspendue à de nouvelles décisions, aux conséquences considérables et qu'il convient d'anticiper.

Monsieur le ministre, quelle est la position défendue par la France dans la révision de ce règlement, plus précisément sur l'avenir des huiles essentielles de lavandin ? Des mesures dérogatoires ou des analyses complémentaires sont-elles prévues pour les prochaines classifications ? Est-il envisagé, en cas d'évolution majeure, d'aider les acteurs de la filière ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur, je salue votre engagement constant à défendre cette filière emblématique de votre département et de votre belle région.

Vous m'interrogez sur deux points : la mise en place du plan et la réglementation Reach.

En ce qui concerne les règlements Reach et CLP, la position constante de la France est de demander la prise en compte des spécificités des huiles essentielles, ainsi que les adaptations nécessaires.

C'est dans cet esprit que nous avons travaillé pour donner suite à l'ouverture de la Commission européenne sur l'approche par constituant. C'est également dans ce cadre que nous avons porté les inquiétudes des professionnels sur la confusion possible entre perturbateurs endocriniens et substances entraînant une activité endocrinienne - cela n'est pas de même nature.

L'enjeu de l'évolution de la réglementation reste l'application de la règle des mélanges à l'ensemble des substances de plus d'un constituant, dite Mocs (More than One Constituent Substances).

La France défend une possibilité de dérogation à cette règle, afin de tenir compte des propriétés spécifiques de certaines substances complexes, telles que les huiles essentielles naturelles. Les secteurs concernés devront ensuite apporter les preuves scientifiques pour justifier d'une exemption. Nous travaillons sur cet axe pour essayer d'avancer dans les semaines et les mois qui viennent.

Nous souhaitons également que l'évaluation des dossiers d'exemption et l'adoption des actes délégués se fassent dans un délai raisonnable, afin de permettre aux opérateurs de s'adapter le cas échéant.

Vous m'interrogez par ailleurs sur les mesures d'accompagnement prévues pour permettre la pérennité de la filière lavandicole. Je vous ai dit que nous serions au rendez-vous de l'engagement budgétaire, et je crois que nous y sommes, même si tout n'est pas parfait. Nous avons eu de nombreux échanges sur cette question depuis septembre dernier.

Nous avons élaboré un plan de filière, auquel je tiens particulièrement s'agissant d'une filière qui risquait de disparaître, notamment dans votre région, pour des raisons structurelles et conjoncturelles.

Une partie des pertes de chiffre d'affaires des producteurs de lavande traditionnels spécialisés dans la lavande ou le lavandin pourra être prise en charge sur la base réglementaire d'un régime d'aide d'État, autorisé par la Commission européenne dans le contexte de la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine.

Nous allons également développer un volet recherche doté de plus d'un million d'euros pour trouver une solution de substitution à la suppression d'un certain nombre de produits phytosanitaires, un sujet important pour cette filière comme pour bien d'autres.

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