Question de M. GONTARD Guillaume (Isère - GEST) publiée le 21/07/2022

M. Guillaume Gontard attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur l'usage excessif des interpellations et gardes à vue dans le cadre des mouvements sociaux.
Depuis plusieurs années, citoyens, associations et organisations internationales (Conseil de l'Europe, organisation des nations unies) alertent sur des pratiques des forces de l'ordre entravant le droit de manifester, pourtant protégé par la Convention européenne des droits de l'Homme ou le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Lors du mouvement des gilets jaunes, 11 203 manifestants ont été placés en garde à vue entre le 17 novembre 2018 et le 12 juillet 2019, selon un rapport d'Amnesty international (« Arrêtés pour avoir manifesté : la loi comme arme de répression des manifestants pacifiques en France »). Or, plus de la moitié d'entre eux n'ont finalement fait l'objet d'aucune poursuite, ce qui interroge sur le bien-fondé de leur arrestation. De telles pratiques intimident nombre de nos concitoyens, qui hésitent désormais à descendre dans la rue pour s'exprimer pacifiquement.
Des méthodes similaires ont également été constatées durant les mouvements contre les lois « sécurité globale » et « séparatisme ».

Toujours selon Amnesty (« Climat d'insécurité totale : arrestations arbitraires de manifestants pacifiques le 12/12/2020 à Paris »), près de 80 % des individus interpellés à Paris lors de ces manifestations n'ont fait l'objet d'aucune poursuite. Pour 35 d'entre elles, Amnesty affirme que ces privations de liberté ont eu lieu en l'absence d'éléments permettant raisonnablement de penser qu'ils avaient pu commettre une infraction.

Ces pratiques reposent sur des lois trop vagues, voire contraires au droit international, ce qui est très préoccupant. Ainsi, le délit de participation à un groupement en vue de la préparation de violences (article 222-14-2 du code pénal) a régulièrement été invoqué pour justifier ces interpellations, étant donné qu'il offre une grande liberté d'appréciation quant à ce qui constitue cette « préparation de violences ».

L'arrestation pour dissimulation du visage, interdite depuis avril 2019 (article 431-9-1 du code pénal), pose également question alors que le port du masque a parfois été rendu obligatoire dans l'espace public avec la pandémie. Le délit d'outrage à agent dépositaire de l'autorité publique est lui aussi extrêmement vague, permettant des arrestations reposant souvent sur la seule parole d'un policier.

Le refus de dispersion après sommation, qui semble correspondre au délit de participation à un attroupement (article 431-3 du code pénal) est lui aussi mobilisé. Or, la notion d'attroupement est trop peu définie dans la législation française, car elle inclut certes les rassemblements qui troublent l'ordre public, mais également ceux qui sont susceptibles de le faire. Dans ces conditions, la simple participation à un rassemblement pacifique peut constituer un motif d'arrestation, ce qui entraîne une restriction disproportionnée du droit à la liberté de réunion pacifique.

Alors que le Président de la République s'était engagé à protéger le droit à la liberté de réunion pacifique en 2017 et que plus de 100 000 personnes ont signé une pétition (« Manifestants, pas criminels ! ») pour lui demander de mettre fin à ces pratiques, aucune réforme n'est à l'ordre du jour.

Ainsi, il lui demande quelles évolutions législatives et réglementaires il compte mettre en place afin de garantir pleinement le droit de manifester. Outre le volet légal, il l'interroge quant aux instructions qu'il entend donner aux préfets et aux forces de l'ordre pour établir des consignes respectueuses des libertés lors des procédures d'interpellation ou d'autres mesures risquant d'entraver ce droit fondamental (fouilles, contrôles, mesures d'interdiction, restriction de circulation...).

- page 3832


Réponse du Ministère de l'intérieur et des outre-mer publiée le 23/02/2023

La liberté de manifestation, corollaire de la liberté d'expression, a valeur constitutionnelle et bénéficie d'importantes garanties juridiques. Elle est également protégée par le droit conventionnel. L'encadrement de ces libertés doit être strictement proportionné aux nécessités de l'ordre public. Chargées du maintien de l'ordre pendant les manifestations, la police et la gendarmerie nationales concourent à garantir l'exercice de ce droit fondamental. Egalement chargées d'assurer la sécurité des personnes et des biens, elles ont notamment pour mission de veiller à l'absence de débordements au cours des manifestations, troubles qui nuiraient profondément à l'exercice de cette liberté fondamentale. Que ce soit dans leurs missions de sécurité quotidienne ou dans le cadre de missions d'ordre public, l'action des forces de sécurité intérieure de l'État est menée en application de dispositions législatives et réglementaires et dans le respect des doctrines d'emploi des moyens techniques dont elles sont dotées. Ce cadre légal, fixé pour l'essentiel par le législateur dans le Code de procédure pénale, le Code pénal et le Code de la sécurité intérieure, vise à garantir la liberté d'expression de tout citoyen mais également la sécurité des biens et des personnes. Si exprimer une opinion collectivement et pacifiquement sur la voie publique est un droit fondamental, les violences et exactions de toutes sortes qui peuvent se produire au sein ou en marge de manifestations sont réprimées en application de ce cadre juridique. Les policiers comme les gendarmes sont assermentés et dépositaires de l'autorité publique. A ce titre, toute fausse déclaration qu'ils seraient amenés à faire dans un procès-verbal serait plus sévèrement punie (article 441-4 du Code pénal). De plus, lorsqu'une unité de police ou de gendarmerie est engagée au maintien de l'ordre, il n'est pas prévu, pour des raisons évidentes de sécurité, que les agents soient isolés. Ainsi, en cas d'outrage, plusieurs témoignages peuvent être recueillis dans un procès-verbal. Enfin, il appartient aux magistrats d'apprécier s'il y a lieu d'engager des poursuites et une condamnation. De plus, concernant la dissimulation du visage par un masque sanitaire lors d'une manifestation sur la voie publique, l'article 431-9-1 du Code pénal précise qu'« est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l'issue de laquelle des troubles à l'ordre public sont commis ou risquent d'être commis, de dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime ». Les différents arrêtés pris lors de la période d'urgence sanitaire obligeant le port du masque sur la voie publique ou les recommandations des autorités de santé publique conseillant le port du masque constituent, à ce titre, des motifs légitimes. Dès lors, les personnes portant un masque de protection sanitaire dissimulant leur visage lors d'une manifestation sur la voie publique n'étaient pas en infraction. La France étant un Etat de droit, la police et la gendarmerie nationales sont des institutions extrêmement encadrées et contrôlées, à la fois par des corps d'inspection, des autorités administratives indépendantes et des organes et juridictions nationaux et européens. Les forces de l'ordre sont en outre placées, dans l'exercice de leurs missions de police judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle. Le contrôle médiatique, associatif et citoyen, qui permet de signaler d'éventuels abus, n'a en outre cessé de croître au cours des dernières années. Par ailleurs, tout citoyen dispose de voies de recours pour contester l'action de l'administration, et notamment dénoncer tout manquement supposé aux règles professionnelles et déontologiques des policiers et des gendarmes et, a fortiori, toute infraction présumée : dénonciation auprès des autorités de contrôle internes (inspection générale de la police nationale, inspection générale de la gendarmerie nationale…) ou externes (Défenseur des droits…), plainte (en commissariat, en brigade de gendarmerie, ou devant l'autorité judiciaire), requête devant le juge administratif voire le juge des référés, etc. Concernant la garde à vue, l'ensemble des garanties qui l'entourent s'appliquent aux personnes qui en font l'objet dans le cadre d'une manifestation de voie publique, notamment d'un attroupement. Il convient de rappeler qu'il s'agit d'une mesure prise sous le contrôle de l'autorité judiciaire. Le parquet assure, notamment, un contrôle du déroulement de toutes les mesures de garde à vue, soit à distance soit sur place, et visite de façon périodique les locaux de garde à vue. Il convient de noter que le maintien de l'ordre a profondément évolué ces dernières années sous l'effet de plusieurs phénomènes (radicalisation des mouvements de contestation, nouvelles formes de mobilisation, etc.). Le retour de la radicalité se conjugue avec des mobilisations caractérisées par leur imprévisibilité, l'absence fréquente de déclaration ou de service d'ordre et un refus de l'exercice codifié des manifestations tel qu'il a pu exister dans le passé. Ces évolutions mettent gravement en cause la liberté de manifester et la capacité de la garantir. Une rénovation des principes du maintien de l'ordre était donc nécessaire. Le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer a ainsi adopté en septembre 2020, au terme d'une concertation avec des représentants de la société civile, un nouveau schéma national du maintien de l'ordre (SNMO), avec pour objectif de toujours mieux garantir la liberté fondamentale de manifester, dans le respect des lois et de l'ordre public, mais également de renforcer les conditions de la légitimité de l'action de l'Etat par davantage de communication, de transparence et d'efforts de prévention des tensions. Le SNMO porte plusieurs évolutions importantes : une plus grande transparence dans l'action ; une modernisation des sommations ; un cadrage des techniques d'encerclement ; une intégration plus formelle du dispositif judiciaire, sous l'autorité du parquet, etc. Pensé et construit comme un document par nature évolutif - et public -, le schéma national du maintien de l'ordre a été mis à jour en décembre 2021, notamment dans sa partie relative au travail de la presse, remaniée en lien avec les représentants de la profession pour tenir compte du rapport de mai 2021 de la commission indépendante sur les relations entre la presse et les forces de l'ordre. Si la légitimité intrinsèque de l'État et son autorité doivent toujours prévaloir, il n'en est pas moins essentiel que l'action des représentants de la force publique soit reconnue et comprise par nos concitoyens. Il en va du lien de confiance entre la police et la population, qui est un enjeu de démocratie mais aussi d'efficacité. Enfin, il peut être rappelé qu'au terme du « Beauvau de la sécurité », le Président de la République a annoncé en septembre 2021 plusieurs décisions visant à garantir un contrôle encore plus strict et plus transparent de l'action des forces de l'ordre. Un comité d'évaluation de la déontologie de la police nationale, mis en place en novembre 2021, a d'ores et déjà permis d'instituer une enceinte de réflexion sur les pratiques policières, pluridisciplinaire et ouverte sur la société civile (magistrat, avocat, journaliste, Défenseur des droits, association…), qui travaille sans parti pris et dans un souci de transparence.

- page 1391

Page mise à jour le