Question de M. BONNECARRÈRE Philippe (Tarn - UC) publiée le 05/01/2023

M. Philippe Bonnecarrère interroge M. le garde des sceaux, ministre de la justice concernant la mise en oeuvre des dispositions des articles R. 226-6 et R. 226-7 du code pénal avec leurs conséquences sur le déroulé des enquêtes pénales.

Ces articles concernent des outils technologiques permettant, c'est leur double-face, soit de porter atteinte à l'intimité de la vie privée et au secret des communications téléphoniques, soit au contraire de lutter contre les infractions qui pourraient être commises ou révélées en utilisant les moyens électroniques.

Pour le ministère de la justice, ses procureurs et juges d'instruction, il est important de disposer de moyens d'enquête permettant notamment d'accéder aux informations téléphoniques ou informatiques. À l'heure présente, un seul centre, le centre technique d'assistance (CTA), est en mesure sur le plan national « d'ouvrir des téléphones » lorsque les enquêteurs ne disposent pas des codes d'accès et demande des délais importants , à supposer même qu'il puisse assurer. Ceci a conduit les services d'enquête à faire appel à des experts judiciaires susceptibles de pouvoir leur communiquer plus rapidement les informations nécessaires.

Or, les dispositions citées in limine donnent en pratique compétence à l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) pour agréer, autoriser, en termes d'acquisition ou de détention, les outils permettant d'expertiser les téléphones.

Si l'agrément des experts judiciaires en tant que personnes ne semble pas faire de difficulté, il n'en est pas de même de l'acquisition et la détention des matériels ou des licences permettant d'exploiter ces téléphones et en particulier de contourner, comme précité, les codes que les délinquants se gardent bien de communiquer.

Il lui est demandé d' examiner un possible assouplissement des conditions dans lesquelles l'agrément de l'ANSSI pourrait être acquis aux experts travaillant sous main de justice, régulièrement mandatés dans le cadre d'enquêtes préliminaires ou d'instructions sous le contrôle des parquets et juges d'instruction compétents. Une autre option consisterait à ce que des moyens soient déployés par la puissance publique au niveau des antennes régionales de police scientifique, la question du délai restant essentielle. Un bilan inconvénients-avantages, coûts-délai, serait utile.
Il est en résumé interrogé sur les voies et moyens permettant de s'assurer que les moyens d'enquête pertinents pour « faire parler les téléphones et autres terminaux » soient disponibles, sous main de justice, dans des délais compatibles avec la durée d'enquêtes efficaces, dont il sera rappelé qu'elle a été réduite dans la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 09/11/2023

L'article 434-15-2 du code pénal, créé par la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, sanctionne d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 270 000 euros d'amende « le fait, pour quiconque ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie susceptible d'avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, de refuser de remettre ladite convention aux autorités judiciaires ou de la mettre en oeuvre, sur les réquisitions de ces autorités délivrées en application des titres II et III du livre Ier du code de procédure pénale ». La peine est portée à cinq ans d'emprisonnement et à 450 000 euros d'amende lorsque le refus est opposé alors que la remise de la convention de déchiffrement aurait permis d'éviter la commission d'un crime ou d'un délit ou d'en limiter les effets. En pratique, ce dispositif, qui s'inscrit dans la lutte contre l'usage frauduleux de moyens de cryptologie qui interviennent dans la commission d'infractions, permet, conformément à l'interprétation retenue par la Cour de cassation [1], de sanctionner la personne qui refuse de communiquer à l'autorité judiciaire le code de déverrouillage de son téléphone portable lorsque ce téléphone est équipé d'un moyen de cryptologie. Par ailleurs, les articles 230-1 à 230-5 du code de procédure pénale définissent la procédure applicable à la mise en oeuvre des opérations techniques nécessaires pour mettre au clair des données recueillies dans le cadre d'une enquête ou d'une instruction. Dans ce cadre, l'article 230-1 du code de procédure pénale permet au procureur de la République et à la juridiction d'instruction, « lorsqu'il apparaît que des données saisies ou obtenues au cours de l'enquête ou de l'instruction ont fait l'objet d'opérations de transformation empêchant d'accéder aux informations en clair qu'elles contiennent ou de les comprendre, ou que ces données sont protégées par un mécanisme d'authentification », de « désigner toute personne physique ou morale qualifiée, en vue d'effectuer les opérations techniques permettant d'obtenir l'accès à ces informations, leur version en clair ainsi que, dans le cas où un moyen de cryptologie a été utilisé, la convention secrète de déchiffrement, si cela apparaît nécessaire ». L'article 230-2 du même code prévoit la possibilité de recourir aux moyens de l'Etat couverts par le secret de la défense nationale, ce qui revient concrètement à saisir le centre technique d'assistance pour la réalisation de cette opération. Ces dispositions permettent ainsi aux magistrats de requérir un expert ou le centre technique d'assistance (CTA) pour mettre au clair les données protégées par un moyen de cryptologie et contenues, par exemple, dans un téléphone portable. S'agissant des données informatiques, l'article 706-102-1 du code de procédure pénale permet au procureur de la République ou au juge d'instruction de recourir à un dispositif technique permettant d'accéder, en tous lieux, à ces données et de procéder à leur captation. Depuis l'adoption de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, il est désormais possible pour les magistrats de recourir à cette fin, non seulement aux logiciels développés par les industriels, mais également à toute personne physique ou morale qualifiée afin de fabriquer un tel dispositif technique. Le magistrat peut également requérir le CTA pour procéder à ces opérations. Le dispositif actuellement en vigueur permet ainsi aux autorités judiciaires de bénéficier de moyens efficaces d'interception, de captation et de mise au clair des données conservées sur un téléphone ou sur un support informatique. Enfin, le régime des autorisations de fabrication, d'importation, d'exposition, d'offre, de location, de vente, d'acquisition ou de détention de certains matériels, prévu par les articles 226-3 et R. 226-1 à R. 226-12 du code pénal, fait quant à lui obstacle à l'application des infractions réprimant l'atteinte à l'intimité de la vie privée ou au secret des correspondances. Les matériels concernés, dont la liste figure dans les annexes de l'arrêté du 4 juillet 2012 fixant la liste d'appareils et de dispositifs techniques prévue par l'article 226-3 du code pénal, tel que modifié par l'arrêté du 11 août 2016, sont ceux qui sont destinés à permettre la mise en oeuvre des techniques d'enquête visant à l'interception, l'enregistrement et la transcription des correspondances émises par la voie des communications électroniques prévue aux articles 100 à 100-8 et 706-95 à 706-95-3 du code de procédure pénale. Ces appareils ne sont pas utilisés pour procéder à la mise au clair des données contenues dans les téléphones dans le cadre d'une enquête pénale. [1] Cass. Crim., 13 octobre 2020, n° 20-80.150.

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